Abi Mustapha-Maduakor : « La pandémie n’a pas freiné l’intérêt des investisseurs pour l’Afrique »

Influence de la crise sur le comportement des investisseurs, rapport au risque, attentes vis-à-vis de l’écosystème africain des affaires, Abi Mustapha-Maduakor, directrice générale de l’Association africaine de capital-investissement et de capital-risque (AVCA), fait le point dans cet entretien avec notre rédaction à Paris

La crise de Covid-19 a influencé d’une certaine manière les modes d’investissement dans le monde. Comment les investisseurs se sont-ils finalement comportés vis-à-vis de l’Afrique ?

ABI MUSTAPHA-MADUAKOR – Au départ, les investisseurs s’inquiétaient des effets qu’aurait la pandémie, en raison de l’évolution constante de l’épidémiologie du virus et de la variation régionale de son impact. Leurs attentes à l’égard du continent ont considérablement diminué : 96 % des « General Partners » -dans l’enquête de l’AVCA sur le Covid-19- ont fait état d’une baisse des perspectives macroéconomiques pour l’Afrique en avril 2020, par rapport à quelques mois auparavant.

Cependant, alors que la pandémie et le choc qui en a résulté pour l’économie mondiale ont inauguré une période d’activité d’investissement modérée en Afrique, cette accalmie dans les négociations a été de courte durée. Dans l’ensemble, la pandémie n’a pas freiné l’intérêt des investisseurs pour l’Afrique. À la mi-2020, les investisseurs manifestaient une confiance renouvelée dans le continent, se tournant vers les opportunités émergentes dans les secteurs défensifs. Les entreprises opérant dans les secteurs de la finance, des services publics, de la santé et de l’éducation, qui étaient jugées critiques pendant la pandémie, ont réussi à lever des fonds de capital-risque au cours du second semestre 2020. Les exemples incluent le cycle d’investissement de 3,75 millions de dollars de série A dans la startup kényane d’e-santé Ilara Health dirigé par TLcom Capital en décembre. Je pourrai en citer beaucoup d’autres. Les investisseurs nationaux et internationaux étaient suffisamment confiants pour soutenir les startups africaines pendant la pandémie, ce qui illustre la force de leur engagement et de leur intérêt pour l’investissement privé en Afrique. D’ailleurs, L’enquête 2021 de l’AVCA sur le secteur régional du capital-investissement l’atteste bien.

Justement, les secteurs « défensifs » dont vous parlez sont-ils ceux qui intéressent le plus les investisseurs cette année ?

En tant que secteur le plus actif en 2020 attirant la plus grande part des transactions (21%), la finance continue effectivement de dominer les investissements en capital-investissement et en capital-risque en Afrique et nous prévoyons que cette tendance restera prédominante au cours des prochaines années. Au sein de la finance, la technologie financière a représenté 70 % du nombre total d’opérations et attire systématiquement une proportion importante de la valeur des fonds de capital-investissement acheminés vers le continent. Cinq des six « licornes » du continent (startups qui ont atteint une valorisation de 1 milliard de dollars US) sont des fintechs. La croissance rapide de la pénétration de la téléphonie mobile et de l’Internet en Afrique subsaharienne, associée aux défis liés aux infrastructures et services bancaires traditionnels dans la région, ont jeté les bases de l’essor des fintechs et de la transformation du secteur des services financiers sur le continent. En tant que tel, le secteur de la finance restera probablement d’un grand intérêt pour les investisseurs en 2021.

La technologie est également devenue l’un des secteurs émergents les plus intéressants pour l’investissement privé en Afrique. Les technologies de l’information ont attiré 13% du volume total en 2020 et les transactions dans les entreprises technologiques représentaient 55% du volume total des transactions enregistrées. Reconnaissant le rôle de catalyseur que la technologie et la numérisation peuvent jouer pour permettre au continent de réaliser un leapfrogging vers la modernité, les investisseurs recherchent de plus en plus des entreprises et des modèles commerciaux qui exploitent le pouvoir de la technologie pour transformer les industries traditionnelles. Alors que les segments FinTech et ceux compatibles avec ces derniers (comme le commerce électronique) devraient attirer une proportion importante de nouveaux investissements, plusieurs autres secteurs verticaux sont également prêts à croître. La HealthTech, l’EdTech, la CleanTech et l’AgriTech figuraient parmi les premiers choix des investisseurs.

Au milieu de cette révolution numérique, le secteur des infrastructures, en particulier les infrastructures numériques, intéresse également beaucoup les investisseurs en 2021.

Enfin, la santé est un autre secteur qui a suscité un intérêt croissant de la part des investisseurs en capital-investissement et en capital-risque, et nous prévoyons que cela continue d’autant plus qu’il existe un déficit de financement de la santé estimé à 66 milliards de dollars par an en Afrique, ce qui nécessite en outre des investissements privés dans les pays africains.

Le continent africain est souvent considéré comme risqué. Les décisions d’investissement sont alors attentivement étudiées. Comment les investisseurs approchent-ils la notion de risque dans le contexte actuel ?

Il est important de noter que la question du risque accru n’est pas unique au continent africain : investir dans les marchés émergents est plus généralement associé à des degrés plus élevés d’incertitude macroéconomique par rapport aux marchés plus développés et établis. Néanmoins, en Afrique subsaharienne, le risque général d’investissement est amplifié par les degrés plus élevés de volatilité géopolitique et monétaire qui existent dans certaines parties du continent. En conséquence, les gestionnaires de fonds actifs y ont cultivé des stratégies pour faire face à ces risques tout en saisissant les opportunités présentes dans l’industrie africaine du capital-investissement.

Les gestionnaires de fonds accordent également la priorité à une présence physique sur les marchés d’intérêt. Ils gèrent les risques en établissant des bureaux régionaux à travers l’Afrique avec des équipes locales qui ont l’expérience des exigences uniques et variées du paysage africain du capital-investissement.

Non seulement le fait d’avoir une présence locale leur permet de se rapprocher de leur portefeuille, mais le fait d’avoir des équipes de gestion locales ayant une compréhension du terrain et des risques qui y sont associés garantit que ces risques sont pris en compte dans leurs processus d’approvisionnement et de due diligence. De plus, en tant qu’organisme panafricain chargé de promouvoir l’investissement privé en Afrique, AVCA joue un rôle de soutien dans la réduction des risques d’investissement privé en Afrique en publiant des aperçus détaillés des pays et des secteurs afin d’aider les investisseurs internationaux et les parties prenantes de l’industrie à mieux comprendre l’environnement socio-économique et commercial du continent. En outre, le comité juridique et réglementaire d’AVCA publie également des guides par pays qui aident les investisseurs à comprendre l’état de droit pour opérer et investir dans des pays spécifiques à travers le continent.

Enfin, le fait que les « Limited Partners » investissant en Afrique soient fortement motivés par un désir d’impact affecte leur tolérance ou leur seuil de risque, où des niveaux de risque plus élevés dans cette « dernière frontière » deviennent plus acceptables dans la poursuite de résultats de développement parallèlement aux retours financiers.

Dans le cadre de la reprise, quelles sont les attentes des investisseurs vis-à-vis des gouvernements africains et des entreprises ?

Suite aux turbulences macroéconomiques de 2020 qui ont entraîné la contraction de plusieurs économies africaines, la Banque africaine de développement (BAD) prévoit une reprise partielle fragile d’environ 3 % en 2021. Les investisseurs et les gouvernements africains partagent une attente mutuelle de gains modestes et de reprise économique partielle en 2021, en s’appuyant sur une collaboration public-privé accrue. Plusieurs gouvernements africains ont mis en place des plans de relance nationaux qui visent à revitaliser leurs économies et à encourager davantage d’investissements étrangers. Chacune de ces stratégies de croissance post-pandémie s’efforce de stimuler une croissance équitable et inclusive pour leurs populations respectives et de remodeler leurs divers paysages économiques.

Cet effort transcontinental pour réorienter les priorités stratégiques et non seulement s’adapter mais prospérer dans le nouveau contexte économique post-Covid-19 renforcera probablement la confiance des investisseurs dans l’ensemble de l’écosystème des affaires et renouvellera l’optimisme dans la promesse de l’histoire de la croissance de l’Afrique. Alors que le continent entame sa reprise économique et que chaque pays s’éloigne du protectionnisme qui a coïncidé avec les mesures de confinement, les investisseurs peuvent également s’attendre à une intégration régionale, au commerce et à l’investissement accrus à mesure que l’Accord de libre-échange continental africain (Zlecaf) gagne du terrain.

Propos recueillis par Ristel Tchounand.

Challenges Radio

Read Previous

La France s’engage sur la voie d’une dynamique commerciale européo-africaine [Entretien]

Read Next

Après la récession de 2020, la zone CEMAC renoue avec la croissance

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.