Admassu Tadesse : « Les récentes crises poussent le continent africain à l’action »

Président directeur général de la Trade and Development Bank Group, Admassu Tadesse est un financier reconnu à travers le monde pour ses réalisations à la tête de cette banque sous-régionale couvrant l’Afrique de l’Est et australe, mais qui a depuis étendu ses cordages regardant désormais à l’Ouest. Pour La Tribune Afrique, l’expert éthiopien revient sur les enjeux stratégiques du commerce et du développement du continent, dans un contexte international inédit. Entretien.

Fondée en 1985 et basée à Bujumbura (Burundi) et à Ebène (Maurice), la Trade and Development Bank (TDB) Group finance le commerce international et le développement de l’Afrique de l’Est et australe. En 38 ans d’exercice, la banque multilatérale a su s’étendre ailleurs sur le continent couvrant 22 économies et s’est faite une place de choix au sein de l’écosystème financier à travers le monde.

Banquier international de premier plan passé notamment par les fonds et institutions newyorkais, Admassu Tadesse est Président émérite et directeur général de TDB Group depuis avril 2012.  Ce lauréat de Harvard et de la London School of Economics -entre autres- est connu pour avoir révolutionné cette banque sous-régionale. Sa stratégie a permis d’augmenter de 400% le capital de la banque et d’attirer au tour de table plusieurs investisseurs institutionnels de classe mondiale, dont des fonds de pension, des institutions de financement du développement (IFD) ou des compagnies d’assurances. Notée « Investment Grade » par Moody’s depuis 2018, l’institution dispose d’un total bilan qui frôle les 8 milliards de dollars à fin 2021, contre un peu plus de 1 milliard l’arrivée de l’expert éthiopien.

La banque que vous dirigez travaille désormais au-delà des sous-régions orientale et australe de l’Afrique. Quelle est votre philosophie concernant la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) ?

ADMASSU TADESSE, PDG DE TDB GROUP – Nous sommes historiquement nés et avons grandi en Afrique orientale et australe. Mais au fil des ans, nous nous sommes étendus vers le Nord et le Centre. Cela fait une dizaine d’années que nous travaillons en République démocratique du Congo (RDC). Nous sommes également en Égypte et regardons à la Tunisie et la Libye.  Plus au Sud, nous travaillons au Mozambique depuis environ cinq ans et nous nous intéressons désormais à l’Afrique de l’Ouest. Nous venons d’arriver au Ghana et au Sénégal, nous visons d’autres pays à l’avenir.

Je crois au potentiel de la Zlecaf. TDB Group a été créée par plusieurs pays africains différents pour précisément pousser l’intégration économique régionale et le commerce est une partie très importante de ce processus d’intégration. L’investissement est important, l’investissement transfrontalier est important, mais le commerce transfrontalier est très important pour le développement de notre région et cela a toujours été au cœur de notre mandat. La Zlecaf nous a permis d’être beaucoup plus expansifs et de commencer à regarder à l’échelle du continent, par opposition à une simple sous-région de l’Afrique.

Il existe pourtant des banques panafricaines au sens large …

Certes nous avons des banques qui ont une couverture continentale comme Afreximbank ou d’autres, mais nous pensons que la demande est si grande, le besoin est si grand que de plus en plus d’acteurs doivent se positionner et se rendre disponibles pour renforcer le soutien au développement de l’Afrique. Notre plan est de créer des liens entre les entreprises de notre sous-région et celles du reste du continent, afin de faciliter l’accès aux produits et services. Cela se met progressivement en place depuis quelques années et la Zlecaf vient renforcer et surtout consolider le dispositif commercial continental.

L’idée est clairement de promouvoir le commerce au sein du continent. Nous sommes très engagés dans l’agenda du commerce intra-africain et soutenons la croissance de l’industrie, des parcs industriels pour faire en sorte que les pays africains, les grandes entreprises et les PME puissent conséquemment ajouter de la valeur à leur production et améliorer les perspectives du commerce intra-africain.

Le chamboulement des chaînes d’approvisionnement provoqué par la guerre en Ukraine -mais avant, la pandémie de Covid-19- a placé plusieurs pays d’Afrique de l’Est au cœur des préoccupations, notamment en raison de leur dépendance aux céréales russes et ukrainiens. Quelle est votre recette pour faire face à cette crise qui semble s’éterniser ?

Nous avons eu de multiples crises ces trois dernières années. Et les chocs d’approvisionnement se sont manifestés dans chacune d’elles. Nous avons donc eu des chocs d’approvisionnement pendant et après la Covid-19, puis il y a eu la guerre en Ukraine. Ce conflit a entraîné une exacerbation de ces chocs d’approvisionnement dans les produits de base que vous avez mentionnés, mais aussi dans d’autres produits tels que le carburant et les engrais dont les prix ont augmenté.

Ce que nous avons fait et continuons de faire, c’est de nous assurer que nous sommes prêts à répondre aux demandes qui peuvent arriver, parce que nous sommes une banque de financement du commerce entre autres. Nous finançons l’importation de produits de base essentiels tels que le blé, les produits pharmaceutiques, les engrais, mais aussi les équipements agricoles. Nous sommes donc depuis lors très actifs dans notre rôle de facilitateur du commerce. En raison de la hausse des prix et des factures plus importantes que les pays et les entreprises doivent payer, nous devons fournir des facilités de financement plus importantes, car le volume des besoins est plus élevé en termes de niveaux de financement réels.

Nous répondons également en investissant dans des interventions à moyen et long terme, pas seulement dans le commerce, mais aussi dans le secteur de la santé. Nous disposons d’installations et nous aidons certains de nos clients et de nos pays à renforcer leurs capacités dans les hôpitaux du secteur tertiaire, mais aussi dans la fabrication des produits pharmaceutiques et des vaccins.

Le renforcement de la production agricole et de la transformation locale sont également érigés en urgence. Comment abordez-vous cette question ?

Oui, des ressources spécifiques sont mobilisées pour l’agriculture durable. Cela est très important pour nous. Nous savons que dépendre de marchés lointains pour importer des denrées alimentaires essentielles peut être un problème, lorsque survient une crise comme celle en cours en Ukraine. Nous soutenons donc également le développement agricole en aidant à stimuler la productivité de l’agriculture, au travers du financement d’équipements, d’entrepôts de stockage et dans certains cas, l’irrigation.

Le développement de l’agriculture durable est donc en partie une réponse efficace à la situation actuelle de nos pays. L’Afrique aurait dû s’y atteler avant la Covid-19 et avant la guerre en Ukraine. Mais le conflit russo-ukrainien et la Covid-19 ont rendu beaucoup plus clair le fait que l’Afrique doit s’organiser, parce qu’il est absurde d’importer sa nourriture quand on a tant de terres, d’eau et un climat magnifique pour cultiver sa propre nourriture. Pourquoi utiliser de précieuses finances publiques pour importer de la nourriture quand vous avez été béni par Dieu pour avoir tout cela sur place ? J’estime que ces crises sont une bonne claque pour le continent africain pour favoriser un éveil des consciences et surtout pousser à l’action.

Vu d’ailleurs, on perçoit une Afrique de l’Est et australe plutôt dynamique, du miracle économique de l’Ethiopie ou du Rwanda à la révolution numérique au Kenya, en passant par le réveil énergétique du Mozambique. Aujourd’hui, quels sont les défis du développement dans cette partie de notre continent ?

Comme partout ailleurs, les défis du développement sont nombreux à l’Est et au Sud de l’Afrique. L’un d’entre eux qui me paraît pressant est le fait qu’il n’y ait pas de sécurité d’approvisionnement des produits de base essentiels et que le coût de cet approvisionnement est volatile. La plupart des pays d’Afrique orientale et australe sont des importateurs de pétrole. L’or noir y est donc un produit qu’il faut constamment acheter à l’étranger, de même que les engrais. L’importation de carburant, à titre d’exemple, constitue une énorme ponction dans les finances publiques, car les pays qui importent ce type de produits, de la nourriture et des produits liés à l’alimentation des populations utilisent leurs précieuses devises. L’inversement de cette tendance est d’un enjeu crucial.

Et quand vous échangez avec les gouvernements, que leur recommandez-vous à ce sujet ?

Nous les encourageons à accélérer leur stratégie de diversification. La diversification économique est très importante pour s’assurer qu’un pays est moins vulnérable à ces contraintes conjoncturelles.

Les PME constituent l’écrasante majorité du tissu économique dans nos pays, mais souffrent encore de problèmes de financement. Comment traitez-vous cette question en tant que banque multilatérale de développement ?

En tant qu’institution de financement du commerce entre autres, nous avons toujours eu une stratégie de soutien aux PME. Avec le temps, nous avons beaucoup plus cherché comment être plus accessibles à plus de PME, car nous n’avons pas un grand réseau d’agences, nous sommes plutôt une banque de gros. À cet égard, nous avons commencé à travailler avec de nombreuses autres institutions financières en leur fournissant des garanties et des facilités afin qu’elles puissent atteindre un plus grand nombre de petits emprunteurs. C’est une activité que nous avons intensifiée et nous travaillons avec des intermédiaires plus petits afin qu’ils puissent atteindre beaucoup plus de PME que nous ne le pourrions nous-mêmes.

Propos recueillis par Ristel Tchounand.

Challenges Radio

Read Previous

Foire internationale de Madrid : Siandou Fofana et ses pairs de l’UEMOA déploient une promotion ouest-africaine

Read Next

Réforme des retraites en France  : vers un jeudi noir

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.