Agroforesterie : l’or brun ou l’alternative gabonaise à l’économie du « tout-pétrole »

A l’heure où les ressources pétrolières se raréfient, la filière bois porte les ambitions de la diversification engagée par le Gabon. Parallèlement à l’arrivée de nouveaux acteurs asiatiques incités par l’attractivité de la zone économique spéciale de Nkok et bousculé par le « Kevazingo Gate », le pays réglemente l’agroforesterie pour conjuguer développement économique et préservation de l’environnement.

Entre l’épuisement des ressources pétrolières, la chute des cours de l’or noir et les exigences climato-responsables des bailleurs multilatéraux, le Gabon est en pleine redéfinition de son modèle économique. Selon la Banque mondiale, le secteur pétrolier représentait encore 80% des exportations nationales, 45% du PIB et 60 % des recettes budgétaires, sur les 5 dernières années. En avril 2020, la Covid-19 a fait plonger le prix du baril sous la barre historique de zéro dollar (-37,63 dollars). Consécutive au contexte pandémique, cette nouvelle alerte a confirmé l’impérieuse nécessité d’accélérer la diversification économique du Gabon qui reste le 5e producteur de pétrole du continent.

Le pays riche en ressources naturelles pourra s’appuyer sur une population jeune et urbanisée. Il compte près de 1,7 million d’habitants dont 50 % de moins de 20 ans et 4 Gabonais sur 5 vivent en milieu urbain. Classé 169e sur 190 du Doing Business de la Banque mondiale en 2020, le pays est bien décidé à améliorer son climat des affaires et multiplie les incitations fiscales auprès des investisseurs étrangers.

Longtemps négligée au profit du pétrole, l’industrie du bois est devenue l’axe sur lequel se structurent désormais les bases de la politique de diversification gabonaise, à travers la construction de chaînes de valeur locales. Cela fait 10 ans que la zone économique à régime privilégié (ZERP) de Nkok située à plus d’une vingtaine de kilomètres de Libreville a vu le jour. Gérée par la GSEZ ou « Gabon Special Economic Zone » (une joint-venture née en 2010 du partenariat public-privé (PPP) entre l’Etat gabonais et la société singapourienne OLAM pour un coût de 140 millions d’euros financés par OLAM à 60 %), la ZES spécialisée dans le commerce et la transformation du bois, a permis la création de plus de 5 000 emplois directs (dont 65% de nationaux), devenant ainsi l’étendard de la stratégie de transformation nationale et s’imposant comme un formidable produit d’appel pour les investisseurs étrangers. Elle compte aujourd’hui 141 investisseurs venus de 18 pays.

Une ZES devenue la vitrine de l’attractivité nationale

La ZES de Nkok qui s’étendra à l’issue de la 2e phase, sur 1 126 hectares, comprend une zone commerciale et une zone industrielle qui s’étend sur 560 hectares. On y trouve aussi des entreprises de sidérurgie, de métallurgie, d’agro-industrie, de chimie ou de matériaux de construction ainsi qu’une zone résidentielle de 44 hectares. A ce jour, 62 entreprises sont actives dans la ZES dont l’écrasante majorité dans le secteur du bois et 14 sites de production sont en cours de construction (8 nouvelles pour le secteur du bois). Au total, Nkok compte déjà 68 entreprises spécialisées dans l’industrie du bois (séchage, sciage, rabotage, déroulage, placage et fabrication de meubles).

L’attractivité de la ZES s’explique par les incitations fiscales mises en place pour attirer de nouveaux investisseurs. Exonérations d’impôts sur les dividendes, sur la propriété foncière, exonération de l’impôt sur les sociétés pendant 10 ans (10 % d’IS à partir de la 11e année) et de la TVA pendant 25 ans, les entreprises implantées à Nkok peuvent par ailleurs, rapatrier leurs fonds à 100% et bénéficient de facilités en matière de recrutement de main-d’œuvre étrangère. Elles sont exonérées de taxe douanière sur l’importation d’équipements, de machines et des pièces de rechange. L’accès à la propriété étrangère leur est ouvert à 100%. Enfin, la ZES s’est dotée d’un guichet unique composé de 23 administrations opérationnelles (directions générales des impôts, des Douanes, de l’Environnement, ministère des Affaires étrangères, agence nationale de promotion des investissements, Trésor public, Inspection du travail…) pour accompagner les nouveaux arrivants.

Nkok ou l’Eldorado sino-indien de la filière bois gabonaise

Les incitations fiscales adossées au plan de diversification que propose l’Etat, visent à favoriser les exportations des produits « Made in Gabon » et à séduire de nouveaux acteurs. Le temps où la France, ancienne puissance coloniale du Gabon, s’imposait dans tous les secteurs-clés du pays est révolu, comme en témoigne le tour de force d’OLAM en 2017, avec la construction du Terminal d’Owendo en un temps record de 18 mois, quitte à chahuter au passage le géant Bolloré. L’heure est à la diversification, y compris en matière de partenariats. Le président Ali Bongo Ondimba a d’ailleurs récemment réitéré sa demande d’intégrer le Commonwealth. Parallèlement, la puissance d’Olam Gabon a entraîné dans son sillage, de nouveaux investisseurs venus d’Orient, accessoirement anglophones (Inde, Singapour, Malaisie). Entreprises à capitaux indiens comme Otim Veener, Akachi Wood, TouchWood, Evergreen ou chinois tels que Gabon Original Fourniture (GOF) ou Lida Bois International du Gabon (LBIG), les entrepreneurs venus d’Asie sont majoritaires à Nkok

A l’intérieur, le rythme de production est soutenu et les managers veillent au grain. L’entreprise Greenply, compte 1 superviseur expatrié pour 9 salariés gabonais. « Pour le transfert de compétences, nous avons rencontré un problème de langue », reconnaît Valéry Mbouroukounda, le directeur des ressources humaines (DRH). Dans les sites de production asiatiques de Nkok, le management est bien souvent assuré par des cadres et des techniciens expatriés non francophones, rendant toute communication schématique. « La main d’œuvre de l’entreprise est renouvelée à 80% tous les six mois », estime le manager d’un site de production voisin. « La main-d’œuvre est volatile, ce qui explique qu’ils (les salariés) n’aient pas tous des équipements adaptés. Les mieux formés vont négocier un contrat avec la concurrence [] Les salaires journaliers varient de 8 000 Fcfa par jour pour un opérateur de base ici à 15 000 Fcfa par jour dans une entreprise chinoise de la même zone », explique le DRH de Greenply. La guerre des talents n’épargne pas Nkok.

« Je travaille de 7h30 à 16h30 dans l’entreprise Gorilla [implantée dans le Cluster Bois de la ZES, ndlr] », explique un jeune opérateur. « C’est dur et il faut rester vigilant, car j’ai déjà vu à Nkok, des gens se blesser gravement et perdre un doigt ou une main », se souvient-il, casque vissé sur la tête et chaussures de protection aux pieds.

Entre développement économique et protection de l’environnement

Depuis 2010, le Gabon a interdit l’exportation de grumes afin de favoriser la transformation locale du bois et de générer davantage de valeur ajoutée à l’export. Cette décision a impacté nombre de petits exploitants locaux qui ont revendu leur permis forestier à la hâte, n’ayant pas les moyens de supporter le coût des équipements nécessaires à la transformation du bois. La redistribution des permis a entraîné leur concentration, ce qui inquiète les ONG environnementales selon lesquelles les investisseurs asiatiques détiendraient aujourd’hui près de 70% des permis forestiers du Gabon.

Après le scandale du « Kevazingo-Gate » (la saisie record de 5 000 m3 de bois kévazingo le 28 février 2019, pour une valeur de 7 millions d’euros dans des sites d’entreposage appartenant à des sociétés chinoises), l’Etat serre la vis. Interdit à l’exportation, le Kevazingo, ce bois rare et précieux recouvre une dimension sacrée au Gabon, notamment parmi les populations Baka. Cette interdiction ne fait pas les affaires du groupe français Rougier, 1er employeur privé de la filière bois au Gabon. « Nous respectons les normes environnementales en vigueur depuis de nombreuses années. Nous avons même anticipé », avance Eric Chezeaux, directeur RSE et certification de Rougier Gabon. « Après 10 ans de concurrence déloyale d’un certain nombre d’acteurs et malgré des investissements massifs consentis par le groupe Rougier dans le respect de l’environnement, nous sommes pénalisés », regrette-t-il.

Avec la « forte exigence de bois certifié au Moyen-Orient, aux Etats-Unis et en Europe », observe Hervé Ekoué, le directeur général de l’entreprise Gorilla, « la certification s’impose peu à peu chez nos clients ». Les exigences des bailleurs internationaux et la consommation « responsable » en Occident ont induit des modes de production « durables » sur le continent. Aussi, afin d’assurer la traçabilité du bois qui transite par Nkok, la GSEZ a mis en place une agence indépendante de contrôle (Tracer), en 2018. « Elle est composée de 2 partenaires : FRM (Forêt Ressources Management), une société française et l’ONG gabonaise Brainforest », précise Cécile Hervo, la directrice de Tracer. « Nous avons à nos côtés des spécialistes de la certification FSC [Forest Stewardship Council, ndlr] », précise-t-elle. Ces procédures ont font apparaître leurs premiers résultats, faisant chuter le nombre de fournisseurs d’une centaine à une quarantaine, entre 2018 et 2021. « Le coût de la certification n’est pas à la portée de n’importe quel petit producteur local », regrette néanmoins Marc Ona de Brainforest, désormais membre de l’agence Tracer.

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