Allemagne boycotte le gaz russe, la récession garantie selon 5 instituts allemands

Picture taken on September 22, 2020 shows storage facilities of Klaipedos Nafta (KN), a company of energy resources logistics specialising in oil and gas industry, at the Port of Klaipeda, Lithuania. – Klaipeda is a vital commercial maritime hub for Belarus, a landlocked country without an own access to the sea. The port of Klaipeda, which is the biggest in the Baltic region, risks to suffer the economic consequences of the hard line taken by Belarusian President Alexander Lukashenko. (Photo by PETRAS MALUKAS / AFP)

Si Berlin décidait de stopper ses importations de gaz russe dont elle dépend massivement, l’économie allemande plongerait dans la récession, affirment à l’unisson les cinq grands instituts de prévision économique allemands. Mais la menace de récession remonte dès avant l’invasion de l’Ukraine, la guerre menée par la Russie n’ayant fait qu’accentuer les difficultés de l’appareil productif à négocier la reprise post-Covid. Sans oublier une volonté de désengagement des industriels allemands face à leur forte dépendance à la Chine.

Perspectives sombres pour l’Allemagne prise au piège inextricable de sa dépendance aux énergies fossiles russes: si le pays interrompt aujourd’hui ses approvisionnements énergétiques en provenance de Russie, notamment de gaz, il basculera dès l’an prochain dans la récession, affirment ce mercredi à l’unisson pas moins de cinq instituts de prévision économique allemands (DIW, IFO, IfW, IWH et RWI).

Cet avertissement pourrait apporter de l’eau au moulin de ceux qui freinent des quatre fers, comme le chancelier Olaf Scholz, contre l’adoption de « puissantes sanctions » incluant l’arrêt des achats de pétrole et de gaz, demandées par le président ukrainien Volodymyr Zelensky et alors que la Commission européenne prépare une 6e vague de sanctions afin de casser la machine de guerre de Vladimir Poutine.

« Nous venons d’imposer de lourdes sanctions à la Russie et nous sommes en train de préparer une sixième vague« , avait déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de sa visite à Kiev, vendredi 8 avril, avec le chef de la diplomatie Josep Borrell.

Mais cela ne doit pas faire oublier que le risque de récession était déjà très présent pour l’Allemagne avant même l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, et ce, en raison de multiples difficultés à remettre en marche l’outil productif mis à mal par les conséquences de la pandémie avec la désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les instituts relèvent globalement que l’économie allemande « traverse des eaux difficiles » et ce au moment où la levée des restrictions liées à la pandémie pouvait donner un coup de fouet à l’activité.

Pour mémoire, trois jours avant le passage à l’acte de la Russie contre son voisin ukrainien, la situation économique était déjà si préoccupante que la Bundesbank lançait cet avertissement: après un recul de 0,7% au quatrième trimestre 2021, l’Allemagne « pourrait à nouveau chuter sensiblement en raison de la pandémie » de janvier à mars 2022, écrivait-elle dans son bulletin mensuel publié lundi 21 février.

Prévision de PIB abaissé à 2,7% en 2022 (contre 4,8% auparavant)

Pour rappel, techniquement, la récession se définit par un recul du PIB sur deux trimestres consécutifs. Et certes, si la « Buba » avait alors laissé une petite lueur d’espoir entrevoyant -au conditionnel- que la croissance devrait « accélérer à nouveau au printemps », celle-ci s’est évaporée avec l’invasion de l’Ukraine.

Ce mercredi, dans un premier scénario « central », qui prend en compte les conséquences de la guerre en Ukraine avec un conflit et des sanctions qui perdurent mais sans prendre en compte un arrêt des livraisons de gaz, les cinq instituts de prévision ont considérablement abaissé leurs prévisions de croissance pour 2022, désormais attendue à 2,7%, contre une estimation à 4,8% en octobre. Cela se traduit également dans un taux d’inflation attendu de 6,1% cette année. Et pour 2023, ils tablent sur un PIB remontant à 3,1%.

L’arrêt des importations de gaz russe, un scénario sombre

Dans un « scénario alternatif », les cinq organismes de prévisions ont calculé quelle serait l’évolution économique en cas d’arrêt des approvisionnements russes en gaz naturel et en pétrole à partir de la mi-avril – autant dire immédiatement.

Dans ce cas, c’est une « récession brutale » en 2023 qui s’abattrait sur l’Allemagne: l’économie allemande pourrait reculer de 2,2 % et l’inflation pourrait grimper à 7,3 %, soit « la valeur la plus élevée depuis la fondation de la République fédérale ».

La chute du PIB serait notamment de 5% au deuxième trimestre de 2023, avant que l’économie ne se reprenne en fin d’année. Cette perte de PIB s’élèverait à 220 milliards d’euros pour 2022 et 2023, l’équivalent de 6,5% de la richesse annuelle, précisent .

Un noeud gordien

Berlin, qui se fournissait avant la guerre à plus de 55% auprès de la Russie, a déjà réduit cette part à 40%, mais malgré de multiples démarches, trouver d’autres fournisseurs qui permettent de compenser les quantités manquantes et dans des délais satisfaisants reste hypothétique.

Au plan politique, l’embargo éventuel sur le gaz russe fait depuis plusieurs semaines l’objet d’âpres discussions entre les États membres de l’UE, Berlin étant l’un des principaux opposants à un arrêt immédiat des importations, estimant qu’il en va de la paix économique et sociale en Allemagne.

Pour l’heure, l’Allemagne n’envisage pas pouvoir se passer de gaz russe avant mi-2024 et elle a activé fin mars le premier niveau de son plan d’urgence pour garantir l’approvisionnement en gaz naturel face à la menace d’un arrêt des livraisons russes.

Réveil difficile pour l’Allemagne qui mesure la fragilité de son économie

Globalement, la guerre russe en Ukraine a véritablement mis en lumière la fragilité de l’économie allemande.

Car outre la dépendance au charbon, pétrole et gaz russes, maintes fois été évoquée par Berlin pour s’opposer à toute interdiction des importations de gaz en provenance de Russie dans l’UE, cette guerre a révélé une autre dépendance, également liée à son modèle basé sur les exportations: celle à l’égard de la Chine.

En effet, nation exportatrice, l’Allemagne est le principal partenaire économique de la Chine. En 2021, plus de 245 milliards d’euros ont été échangés entre les deux pays , un chiffre en hausse de 15,1% par rapport à l’année précédente, qui fut marquée par le Covid-19.

Or une prise de conscience est en train de prendre corps parmi les industriels allemands, dont la moitié d’entre eux, selon une étude parue en mars, serait prêts à réduire leur importations de produits issue de Chine pour des raisons éthiques. La guerre en Ukraine a posé la question des liens commerciaux qu’entretient Berlin avec d’autres pays accusés de bafouer les droits humains, comme la Chine.

Le 6 avril dernier, dans une interview accordée au journal Die Zeit, le ministre allemand des Finances, Christian Lindner (également chef de file du parti libéral FDP), s’inquiétant de la « forte dépendance » économique de l’Allemagne à la Chine, appelait les industriels allemands à « diversifier » les partenaires commerciaux du pays, dans un contexte de tensions internationales exacerbées par la guerre en Ukraine.

« Le moment est peut-être venu de faire des affaires de préférence avec ceux qui ne sont pas seulement des partenaires commerciaux, mais qui veulent aussi être des partenaires du point de vue des valeurs », a commenté Christian Lindner.

(avec AFP et Reuters)

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