À bientôt 28 ans, Anthony Koka est l’une des figures des Young Leaders 2023 de la French African Foundation. Dénicheur de séries africaines à succès pour le compte du groupe Canal+, mais aussi auteur et réalisateur, il entend s’appuyer sur sa nomination pour promouvoir des talents africains auprès d’un plus large public.
Qui aurait pu prédire le destin d’Anthony Koka, qui a grandi dans le quartier populaire de la Faourette (Grand Mirail) à Toulouse ? De parents congolais (République démocratique du Congo) et issu d’une fratrie de cinq enfants, le jeune homme a connu une scolarité perturbée dans une zone d’éducation prioritaire au sein du collège Stendhal où ses professeurs ne donnaient pas cher de son avenir professionnel. « Quand je relis mes bulletins scolaires, je m’aperçois qu’une bonne partie de mes professeurs me promettaient une fin de scolarité prématurée, car j’avais de sérieux problèmes de comportement au collège », reconnaît-il rétrospectivement.
C’est après un voyage de plusieurs mois au Canada que l’adolescent décide de reprendre son destin en main. « Cette expérience a élargi mon horizon. À mon retour, j’avais changé d’état d’esprit. J’ai travaillé pour améliorer mes résultats scolaires. Je voulais m’en sortir ! Deux ans plus tard, j’intégrais le prestigieux Lycée Ozenne, situé en plein centre-ville de Toulouse », ajoute-t-il. Malgré des résultats scolaires en nette progression, il est confronté « au choc des cultures ». « Je vivais à dix minutes du métro du lycée, mais je n’avais pas les mêmes codes que les autres élèves. Le choc a été violent, mais je voulais m’adapter. J’ai changé de style vestimentaire et je soignais mon vocabulaire. Le soir venu, je retrouvais les codes du quartier. C’était une période un peu schizophrénique de ma vie », explique-t-il en riant. Cette capacité d’adaptation lui a néanmoins permis de faire ses premières armes en tant qu’acteur.
De la Cité à la télé…
Entre le lycée cossu du centre-ville et le quartier sensible du Mirail, Anthony cherche à briller. De castings régionaux en auditions nationales, il est sélectionné comme figurant dans des publicités, puis comme acteur entre l’âge de 16 et 22 ans. De la série policière Alice Nevers qui recueille un certain succès d’audience sur TF1, aux premiers longs-métrages – Braqueurs de Julien Leclercq (2015) ou Abdel et la Comtesse, réalisé par Isabelle Doval (2017) – il enchaîne les petits rôles et les apparitions publicitaires. « En tant que jeune acteur noir en France, je me suis souvent vu proposer des rôles de délinquants ou de racaille de banlieue », explique-t-il.
La gloire n’est pas au rendez-vous et, prudent, il décide de poursuivre ses études. Sitôt son baccalauréat ES en poche, il s’installe à Paris et obtient un master 2 en marketing et pratiques commerciales à l’IAE Panthéon-Sorbonne, « pour rassurer mes parents, mais aussi pour assurer mes arrières », admet-il.
Devenu conseiller de programmes, en charge des fictions au sein du groupe Canal+, il accompagne désormais les producteurs, les auteurs et les acteurs de séries africaines à mener à bien leurs projets en Afrique subsaharienne. « L’ambition de Canal+ en Afrique est de porter une dizaine de séries originales, chaque année. À ce jour, j’ai déjà eu la chance de travailler sur des séries produites en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Sénégal ou encore en Afrique du Sud », se réjouit-il.
Plusieurs séries dénichées par Anthony ont déjà rencontré des succès d’estime comme Ô Batanga (format 52 minutes en six épisodes, co-produite par Canal+ et Plan A). Ce thriller dont l’intrigue se déroule dans un pays fictif, fruit d’une collaboration entre le scénariste camerounais Henri Melingui et le réalisateur ivoirien Alex Ogou a été primé au Festival TV de Luchon, au FESPACO (Burkina Faso) ainsi qu’au Festival Vues d’Afrique de Montréal.
Réécrire le narratif du continent africain
Fils de peintre en bâtiment et de femme de ménage, Anthony n’en revient toujours pas d’avoir été sélectionné parmi les Young Leaders 2023, sous le haut patronage des présidents français Emmanuel Macron et rwandais Paul Kagamé. « Je porterai la voix des milieux populaires et j’espère bien que d’autres profils comme le mien suivront, car nous avons toute notre place dans le débat public ! », assure-t-il dans un large sourire. Pour Nachouat Meghouar, la directrice générale de la French African Foundation, « le parcours d’Anthony et son expertise audiovisuelle, peuvent inspirer de nombreux jeunes issus de milieux modestes ».
Aujourd’hui, Anthony s’est fixé l’objectif de faire briller les productions africaines de Canal+, tout en portant la diversité des cultures du continent, bien au-delà de la géographie subsaharienne. « Il existe un véritable enjeu pour libérer les imaginaires et pour sortir l’Afrique des figures imposées. C’est un combat que je souhaite porter tout au long de l’année, au sein de cette promotion 2023 des Young Leaders. J’aimerais mettre en lumière l’excellence des cultures africaines. Je veux participer à écrire un nouveau narratif qui soit positif pour l’Afrique. Les programmes de Canal+ sont riches et expriment de vraies singularités. Certains d’entre eux sont d’ailleurs disponibles en langues locales comme le wolof (Sunu Yeuf au Sénégal), ndlr ou le lingala (Maboke TV, ndlr), par exemple », explique-t-il.
Alors que l’Afrique est friande de programmes internationaux, des telenovelas sud-américaines aux blockbusters nord-américains, en passant par les succès de Nollywood nigérians ou les soap-opera indiens (Bollywood), Anthony ambitionne d’imposer peu à peu les productions africaines dans les foyers de l’Hexagone.
« Les séries occidentales ne sont pas les seules qui puissent rencontrer leur public en France. Une bonne partie de nos séries africaines sont disponibles sur MyCanal et les premiers épisodes de nos séries originales sont disponibles gratuitement en streaming sur Youtube, afin d’attirer un plus large public. Nous avons porté des projets comme « Spinners » (Afrique du Sud, ndlr) co-produite par Canal+, Studiocanal, Showmax et Empreinte Digitale, qui a récemment été sélectionnée à Canneséries et qui sera prochainement diffusée sur les antennes de Canal+ en Afrique, mais aussi France. Je suis convaincu que la notoriété des séries africaines en France va se développer », affirme-t-il avec optimisme.
Entre projet cinématographique et mentoring social
En parallèle à ses fonctions au sein du groupe Canal+, Anthony Koka n’a pas abandonné toutes velléités artistiques et travaille sur un projet de film. Déterminé, il a suivi des formations scénaristiques et « s’est fait la main » en accompagnant des talents africains dans la fabrication de leurs séries premium avec Canal+ International.
« J’ai écrit un scénario de court-métrage, que je co-produis. Il s’agit d’une fiction sociale qui se déroule à Toulouse et qui est inspirée de ma propre expérience, même si ce n’est pas un film autobiographique. Je recherche des fonds pour matérialiser ce projet que j’aimerais tourner en 2024. Pour l’instant, les choses sont en bonne voie », déclare-t-il.
Plus engagé que jamais dans des projets à caractère social, Anthony Koka structure aussi une association de mentoring destinée aux élèves des collèges du Mirail, où il avait jadis suivi une scolarité perturbée.
« Je veux briser ce plafond de verre qui empêche la créativité des jeunes issus de quartiers populaires, de s’exprimer. Chacun doit pouvoir faire entendre sa voix. Il suffit parfois d’une rencontre ou d’un conseil pour changer une vie. Cela a été mon cas et aujourd’hui, j’aimerais être celui qui accompagnera les jeunes à révéler leurs talents. La French African Foundation me permettra, je l’espère, de valoriser l’excellence des cinéastes africains sur la scène internationale », assure-t-il.