Antoine Glaser: « Avec la guerre en Ukraine, la France se réveille en Afrique! »

Le 27 février, Emmanuel Macron a présenté sa stratégie africaine à 48 heures d’un déplacement qui le conduira du Gabon à l’Angola et du Congo à la République démocratique du Congo, entre le 1er et le 5 mars. Antoine Glaser, spécialiste des questions africaines et co-auteur du « Piège africain de Macron » revient sur cette nouvelle « séquence africaine » et sur les enjeux du déplacement présidentiel.

Que faut-il retenir de la nouvelle stratégie pour l’Afrique annoncée par Emmanuel Macron le 27 février ?

Antoine Glaser : Emmanuel Macron a cherché à déminer le terrain, diplomatiquement et politiquement, avant son déplacement en Afrique. Il a quasiment acté l’échec militaire de la France dans le Sahel. Il redoute aujourd’hui que ce piège se reproduise ailleurs. Il a insisté sur le fait qu’il n’était pas question que la présence française devienne une assurance-vie pour les pouvoirs en place, affirmant qu’il ne voulait plus que la France soit le gendarme de l’Afrique. Il a également annoncé un réajustement du dispositif militaire, tout en précisant que les bases ne seraient pas fermées, mais transformées. L’armée ne devrait plus intervenir en première ligne comme autrefois, car la France cherche désormais à sortir du « tout sécuritaire ».

Qu’est-ce que ce discours laisse présager du déplacement à venir ?

Ce déplacement est semé de chausse-trappes dans chaque pays.Il part au Gabon pour parler d’environnement, alors que l’opposition gabonaise est vent debout considérant qu’il s’agit d’un soutien indirect au président sortant, dans le cadre d’une initiative bilatérale prise à l’occasion de la COP27. Il a parlé d’agriculture en Angola alors que les intérêts sont avant tout pétroliers.

Il se rendra à Brazzaville pour ne pas froisser les susceptibilités régionales. Il a ajouté qu’il serait question de business et de culture en République démocratique du Congo alors que les Congolais attendent une condamnation du président français sur ce qu’ils considèrent être une agression du Rwanda derrière les milices armées du M23 (…). Enfin, il a criminalisé la milice Wagner tout en évitant de se laisser enfermer dans une confrontation avec la Russie. Sur ce point, le ton présidentiel a sensiblement évolué par rapport à son précédent déplacement au Cameroun et au Bénin.

Que recouvre cette première étape à Libreville dans le cadre du One Forest Summit ?

Il s’agit d’une initiative bilatérale franco-gabonaise assez inédite qui s’est décidée à Sharm-el-Sheikh. Alors que la France fait l’objet de vives critiques parmi la jeunesse africaine, Emmanuel Macron veut ouvrir une nouvelle « séquence » qui ferait oublier l’image d’une France assimilée au gendarme de l’Afrique. L’aspect sécuritaire doit laisser place à un nouveau narratif. Or, la protection des forêts, en particulier dans le bassin du fleuve Congo, représente un enjeu capital.

Que reste-t-il du new-deal appelé de ses vœux par Emmanuel Macron lors de son premier mandat ?

En 2017, il assurait qu’il n’y avait pas en France, de politique africaine et voulait sortir de l’ancien pré-carré français. Il avait marqué sa volonté de s’orienter vers les pays anglophones et lusophones et s’était détourné des chefs d’État d’Afrique centrale.

Peu à peu, le discours de Ouagadougou sur la fin du système intégré a laissé place à la realpolitik, après la débâcle de l’armée française dans le Sahel. Elle s’est exprimée à la mort d’Idriss Déby, lorsqu’Emmanuel Macron s’est retrouvé dans une position de devoir avaliser la prise de pouvoir de Mahamat Déby, le fils du défunt maréchal, ou avec le troisième mandat d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, derrière un discours relatif au new-deal reposant sur le business et la culture, il réinvestit les territoires comme le Gabon et le Congo où la France conserve de solides positions.

Quelles sont les principales raisons qui expliquent la montée du sentiment anti-français en Afrique ?

La France n’a pas vu l’Afrique se mondialiser. L’image anachronique des soldats français dans le Sahel qui montraient finalement peu de résultats, au regard de la complexité et de la multiplicité des défis à relever sur les plans sécuritaires, mais aussi en matière d’économie et de gouvernance, a participé à ternir l’image de la France.

La colonisation française était très différente de la colonisation britannique où chacun restait dans son « club ». Cela a conduit au pire et au meilleur. Le pire s’est matérialisé par le régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Parallèlement, une fois partis, les Britanniques ont laissé les anciennes colonies gérer leurs affaires, sans intervenir (…).

Quand les étudiantes nigérianes furent kidnappées à Chibok au Nigéria en 2014, le Premier ministre britannique estimait qu’il s’agissait d’un problème nigérian. La France avait développé une politique beaucoup plus assimilationniste. Lorsqu’un criquet stridule dans le Sahel, on a toujours l’impression que la France doit intervenir. Il y a désormais un retour de boomerang qui semble anachronique, car finalement, la force militaire a servi de cache-misère à une présence globalement en déshérence, la France n’ayant plus les ressorts économiques suffisants pour peser face aux nouveaux acteurs.

En mai 2022, l’Afrique du Sud était traversée par des manifestations anti-françaises insufflées par Julius Malema du parti EFF (Economic Freedom Fighters). Cette tendance pourrait-elle se répandre dans d’autres géographies anglophones d’Afrique ?

Je ne pense pas. Je crois que la France a voulu conserver une forme de leadership occidental en Afrique et qu’elle en paye le prix aujourd’hui. C’est la France qui a entraîné ses partenaires anglais et américains dans la guerre en Libye. Barack Obama estime que c’était sa principale erreur. Joe Biden alors vice-président, refusait d’y aller, faute de visibilité sur le long terme…

On peut aussi prendre l’exemple des interventions en Côte d’Ivoire qui étaient conduites sous la bannière de l’ONU à l’initiative de la France, qui conserve depuis quarante ans, le siège de secrétaire général-adjoint aux opérations de maintien de la paix et qui a longtemps été consultée sur les affaires africaines.

Aujourd’hui, la jeunesse africaine veut regagner sa souveraineté et s’affirme contre la France. Il est souvent prêté beaucoup plus d’importance à la France qu’elle n’en a réellement. Cette situation n’était pas pour déplaire aux partenaires de la France, car pendant qu’elle jouait le rôle de gendarme de l’Afrique, les autres faisaient du business…

Alors que de nombreux pays africains refusent de s’aligner sur la position de la France à l’ONU contre la Russie, sera-t-il question de la guerre en Ukraine ?

Le 23 février dernier à l’Assemblée générale des Nations unies, lors du vote de la résolution exigeant un retrait immédiat des troupes russes ayant envahi l’Ukraine, la plupart des pays africains dans lesquels s’était rendu Emmanuel Macron se sont abstenus, refusant d’adopter la position française. Il faut donc réagir. Avec la guerre en Ukraine, l’ours russe a réveillé le coq gaulois en Afrique !

La présence de hauts représentants européens à Libreville comme Ursula von der Leyen et Olaf Scholz permettra-t-elle de faire évoluer les alliances africaines dans le conflit russo-ukrainien ?

En juillet, lors de ses déplacements au Cameroun et au Bénin, le discours d’Emmanuel Macron avait été particulièrement incisif à l’endroit des États africains qui refusaient de condamner Moscou, affirmant que les néocoloniaux étaient désormais les Russes.

Désormais, la stratégie a évolué vers une diplomatie d’influence plus soft. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il portera son discours aux côtés de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, du chancelier Olaf Scholz et de Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur, car cela lui permettra d’européaniser son discours.

Départ de Véolia en 2018, intégration du Gabon dans le Commonwealth en 2022, arrivée des acteurs asiatiques dans les forêts du Gabon,… Que reste-t-il de la relation entre Paris et Libreville ?

Il reste des groupes français importants comme Castel, mais l’époque a changé et la France a perdu sa rente politique dans ce pays qui s’est mondialisé, tout comme le reste de l’Afrique. En vingt ans, la France est passée de 10 % à 4 % des parts de marché en Afrique. La France n’a jamais acté la mondialisation de l’Afrique. En 2000, l’arrivée des Chinois a été sous-estimée par Paris. Puis, de nouveaux acteurs comme les Turcs, très actifs dans les infrastructures et le BTP, sont arrivés.

Aujourd’hui, le monde entier se retrouve en Afrique et même les partenaires européens de la France lui font concurrence. L’Allemagne est devenue le premier exportateur bilatéral européen sur le continent.

Emmanuel Macron s’intéresse de plus en plus à l’Angola. Quels sont les intérêts de la France dans ce pays lusophone ?

Emmanuel Macron a toujours voulu sortir de l’ancien pré-carré français et à ce titre, l’Angola représente une destination particulièrement attractive. Entre le champ pétrolier de Bégonia, les champs gaziers de Quiluma et Maboqueiro, et le projet photovoltaïque de 35 MWc, l’Angola est devenu le jardin extraordinaire de TotalEnergies en Afrique.

Ne pouvant pas vraiment s’implanter en Afrique du Sud, eu égard aux récentes manœuvres militaires avec les Chinois et les Russes au large des côtes sud-africaines, le président français mise beaucoup sur l’Angola et compte entraîner de nouveaux opérateurs français, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’eau et de l’électricité, dans le sillage de Total. L’Agence française de développement investit déjà massivement dans ce pays qui est devenu une cible de choix pour se repositionner en Afrique.

Quelles sont les raisons qui poussent le président Macron à se rendre à Kinshasa ?

Emmanuel Macron sera accompagné de représentants de la société civile et d’artistes, mais aussi d’entrepreneurs. Il veut montrer que le temps est aux priorités environnementales et culturelles sur fond de francophonie, en parallèle au business. Géant minier et forestier, la République démocratique du Congo est plus grand pays francophone d’Afrique et représente un marché considérable.

Il y a aussi le dossier du barrage d’Inga dans lequel la France est absente et autour duquel tous les grands acteurs comme la Chine ou les États-Unis se retrouvent. Ce projet monumental du barrage hydroélectrique sur le fleuve Congo au coût de 80 milliards de dollars sera à terme le plus grand barrage au monde, avec une capacité de production de 40.000 mégawatts. Il pourrait alimenter en énergie plus de la moitié du continent africain.

Quelles sont les retombées attendues par les pays visités ?

Emmanuel Macron se penchera certainement sur les sociétés civiles, mais les autocrates essayeront d’en tirer le meilleur parti (…) Tout un travail a été mené par l’Élysée en amont de ce déplacement. Il y a encore 350 soldats basés à Libreville et pour la jeunesse africaine, ce n’est pas l’Europe qui arrive au Gabon, mais Emmanuel Macron qui se déplace à Libreville pour la première fois depuis qu’il est élu, et ce, en période de pré-campagne électorale.

En décembre dernier, Paris dénonçait le soutien de Kigali aux rebelles du M23 par la voix de sa secrétaire d’État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux. Quel rôle peut jouer la France dans la résolution du conflit qui secoue l’est de la RDC ?

Plusieurs acteurs se sont engagés dans la médiation de ce conflit comme l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta ou le président angolais João Lourenço. Pour l’instant, ces initiatives n’ont pas fonctionné. Pour Emmanuel Macron, qui ne cache pas son admiration pour Paul Kagamé, la situation est complexe. D’ailleurs, il n’a pas clairement pris position dans son discours du 27 février. La France s’est réconciliée avec le Rwanda et nourrit de grandes ambitions avec ce pays. Parallèlement, les Américains essaient de se réinvestir en RDC. La marge de manœuvre de la France est donc très étroite dans ce dossier.

Challenges Radio

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