Entre nécessaire changement de paradigme commercial et crises internationales successives, l’Afrique est à la croisée des chemins. A l’occasion de ses assemblées annuelles 2022 qui se tiennent au Caire, la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) ouvre un autre chapitre, celui du renforcement de la puissance commerciale régionale. Explications.
Cuivre, Cobalt, fer, bauxite, Or, diamant, lithium, pétrole, gaz,… Mais aussi cacao, café, bois, mais, coton, … 90% des exportations de l’Afrique sont des matières premières à l’état brute. Cependant, le continent importe jusqu’à 72 à 80% des produits consommables distribués sur ses marchés. Pour inverser cette tendance, l’industrialisation a déjà été identifiée comme la voie royale, notamment après l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), sur fond d’un engrenage de crises. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) choisit d’approfondir le sujet lors de ses 29è assemblées annuelles qui se tiennent du 15 au 18 juin au Caire sous le thème : « Réaliser le potentiel de la Zlecaf à l’ère post Covid-19 – Tirer parti du pouvoir de la jeunesse ». Le mindset dominant à cette grande messe du financement du commerce qui retourne en présentiel après deux ans de distanciel : en finir avec les discours et enchainer des actions concrètes. « Nous ne pouvons plus accepter qu’après 60 ans d’indépendance, l’Afrique reste fragmentée financièrement et économiquement. Nous ne pouvons plus continuer à épouser les avantages d’un continent intégré, mais en ne faisant pas grand-chose pour y parvenir », déclare Bénédict Oramah, président d’Afreximbank.
« Nous devons commencer par construire des infrastructures modernes »
« Moi aussi j’ai un rêve africain », confie le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui a officiellement ouvert les travaux ce jeudi après une première journée d’échanges. « Ce continent jouit de la plus grande démographie et du pourcentage le plus élevé de la jeunesse au monde. Comment répondre à leurs attentes alors qu’on ne peut pas aller en Ethiopie par la route ? Si nous voulons transformer ce continent, nous devons commencer par construire des infrastructures modernes. Le défi est d’avoir une très bonne infrastructure », a-t-il insisté. Muni d’un calepin et d’un stylo et prenant des notes lors des interventions des speakers, le locataire du palais d’el-Orouba a donné son propre exemple pour illustrer la priorité des infrastructures sur une trajectoire de transformation. Lui, qui poursuit les travaux de construction de la nouvelle capitale administrative du Caire, dotée d’infrastructures à la pointe de la technologie et dont il lui a fallu calculer le coût global dès le départ, soit plus de 470 milliards de dollars.
La problématique des infrastructures en Afrique a fait l’objet de plusieurs études ces dernières années. Et le défi est surtout d’ordre financier. Le Global Infrastructure Hub estime le gap à combler à environ 1000 milliards de dollars pour seulement une dizaine de pays dont l’Egypte, le Maroc et la Côte d’Ivoire. Et le secteur privé apparait comme le partenaire « idéal » pour appuyer les Etats. En cela Al-Sissi la nécessité de relever le défi sécuritaire pour faciliter le développement des infrastructures de pointe : « Dans mon pays à titre d’exemple, il y a des risques qui planent. Et cela a un impact sur le coût. Personnellement, je dis que pour tout changement adéquat, on a besoin de paix et de sécurité. Sinon, les investisseurs ne viennent pas, y compris le secteur privé national ».
Le déficit commercial, une « maladie » à soigner
Depuis l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) le 1er janvier 2021, les leaders du continent cherchent les moyens d’accélérer la machine. Alors que le retour à la croissance se profilait après la crise sanitaire, la guerre en Ukraine a davantage ébranlé les fondamentaux commerciaux d’une Afrique largement dépendante des céréales et des engrais russes et ukrainiens. Cela a renforcé l’enjeu de l’agriculture. Pour le président égyptien -qui estime que la situation pourrait être plus confortable si les échanges intra-africains étaient plus fluides- les Etats devraient multiplier les initiatives audacieuses et innovantes pour la production des ressources. « Je suis en train de mettre en place une politique pour transformer une terre inappropriée à l’agriculture afin d’en faire une terre agricole. Cela passe aussi par l’infrastructure nécessaire », affirme Abdel Fattah al-Sissi dont le pays fortement dépendant du blé russe et ukrainien a dû se mobiliser pour garantir des stocks conséquents à sa population. D’après les autres pays du continent devraient emprunter cette voie, surtout ceux ayant des terres arables et non exploitées.
A ce stade, les besoins de l’Afrique en intrants agricoles seraient évalués à environ 50 milliards de dollars et pourraient montrer à 100 milliards si la situation perdure, tandis que les besoins en engrais sont évalués à environ 85 milliards de dollars. « Ces chiffres montrent que la maladie, je dis bien la maladie qui est à l’origine de l’inflation et du chômage réside dans le déficit commercial », remarque Tarek Amer, gouverneur de la Banque centrale d’Egypte. « Si nous ne sommes pas honnêtes envers nous-même, pourquoi venir à de telles rencontres ? Il nous faut avoir des surplus commerciaux et non des déficits. Il faut que les pays développent une puissance économique et commerciale pour faire une vraie Zlecaf », martèle-t-il.
De l’avis d’Amani Asfour, présidente de l’African Business Council et présidente fondatrice du Congrès africain des femmes entrepreneurs, cette « puissance commerciale » viendra d’une chose : « nous devons prendre le temps de maitriser les systèmes de transformation. Le marbre brut est vendu à la Chine et revient sous forme de produit fini. Il faut changer cela et ce changement passe par les infrastructures, l’industrie, la propriété intellectuelle … ».
Les jeunes et leurs entreprises au cœur du dispositif
C’est à ce niveau que le rôle de la jeunesse est souligné. « Nous devons faire plus afin de réaliser nos ambitions en mettant l’accent sur le développement industriel, la jeunesse et les petites entreprises d’aujourd’hui », estime Wamkele Mene, secrétaire général de la Zlecaf.
Rappelant l’exemple de figures de l’entrepreneuriat africain comme Aliko Dangote -première fortune du continent -qui a démarré son aventure à la fleur de l’âge avant de devenir un mastodonte du commerce et l’industrie-, le président Benedict Oramah, a souligné la nécessité de donner l’espace et les moyens à cette jeunesse. « Les jeunes vont être le catalyseur dans la réalisation de l’agenda du continent. […] Ils ont un rôle crucial à jouer. C’est la raison pour laquelle Afreximbank va soutenir les petites entreprises pour leur permettre de participer à la Zlecaf », déclare-t-il.
« La ressource la plus importante, c’est la ressource humaine. Celle qu’on ne peut pas manufacturer », explique Hippolyte Fofack, économiste en chef et directeur de la coopération internationale d’Afreximabank. « La question qui se pose aujourd’hui, poursuit-il, est de savoir comment accompagner cette jeunesse pour faire de l’Afrique le moteur de la croissance mondiale, faire de l’Afrique le laboratoire de l’industrie manufacturière. Alors que le monde va vers la déglobalisation, l’Afrique a créé un grand marché -la Zlecaf- qui est une autre opportunité car suite à cet est espace de libre-échange, les questions de compétitivité et de productivité vont être adressées et les économies d’échelle permettront aux entreprises d’accroitre leurs marges bénéficiaires ».
Diversifier les solutions de financement
Après les analyses de toutes sortes demeure la même question : où et comment trouver du « carburant » pour démarrer la « voiture » du développement ? Le financement reste donc un point central. Pour faire face aux dommages collatéraux provoqués par la crise, le continent affiche un besoin de financement de 425 milliards de dollars qui pourrait grimper jusqu’à 600 à 700 milliards de dollars selon les projections du Fonds monétaire international (FMI). Pour les leaders africains, la mobilisation de ces fonds passe notamment par le déblocage des droits de tirage spéciaux. « Il faut qu’on ait ces DTS », déclare Vera Songwe, secrétaire générale de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (UNECA) qui recommande également que les Etats collaborent davantage avec les institutions financières du continent à l’instar d’Afreximbank, qui peuvent les aider à obtenir du financement à des taux plus bas.
L’autre solution proposée par Rosa Whitaker consiste à miser sur les richesses naturelles. « Il faut revoir la gestion des ressources naturelles et en utiliser le produit financier pour trouver de nouvelles sources de financement », a-t-elle défendu.
A quand une multitude de « banques puissantes » en Afrique ?
A cette rencontre business cependant, certains experts pensent que le salut viendra de la solidité financière des banques du continent. « Ce sont les grandes banques qui peuvent nous aider à relever le défi financier. Il faut absolument qu’à l’instar de la Chine, nous établissions de grandes banques en Afrique, fortes et puissantes, pour financer les projets. Cela nous empêchera d’aller toquer à d’autres portes », défend l’homme d’affaires nigérian Arnold Ekpe, ancien directeur général d’Ecobank Group.
C’est donc une équation à plusieurs variables qui est posée à cette grande messe du financement du commerce et dont les différentes pistes ouvertes par les réflexions partagées, les négociations en cours et les deals noués devraient permettre d’en amorcer la résolution.