Dans le monde de l’entreprise, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) prennent de plus en plus de place, sonnant désormais comme des incontournables en matière de performance. Qu’en est-il au Maghreb ? La Tribune Afrique fait le tour de la question avec Assia Benhida, Associée PwC au Maroc, Market & ESG Leader Maghreb. Entretien
A la performance financière s’ajoute désormais un autre « baromètre » de l’excellence d’une entreprise : les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). n.Pour quelles raisons sont-ils si importants pour les entreprises aujourd’hui et quel sens donnent-ils à la redéfinition du rôle de l’entreprise?
ASSIA BENHIDA – La période que nous traversons ne fait que renforcer l’importance des sujets Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), au cœur de la stratégie des entreprises et plus largement, au cœur du Nouveau Modèle de Développement du Maroc pour mentionner le cas du Royaume chérifien. Il devient de plus en plus évident qu’une croissance économique qui a un impact environnemental ou social négatif est une croissance qui n’est pas durable. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, le rôle de l’entreprise est en train de se redéfinir profondément, en se donnant un sens nouveau qui allie enjeux business et contribution sociétale et environnementale.
Certes, le suivi des indicateurs économiques et financiers reste essentiel mais il est indispensable d’y associer les données qui traduisent la bonne prise en compte des différents risques (risque climat, risques sociaux…) dans la stratégie de l’entreprise ainsi que ses engagements vis-à-vis de ses parties prenantes (salariés, partenaires, sous-traitants, clients, investisseurs…).
Au niveau des entreprises, l’adoption d’une approche ESG commence par un engagement fort du top management. Ce sont les dirigeants qui donnent le ton dans toute organisation pour faire en sorte que les sujets comme le climat, le développement durable ou la diversité fassent partie intégrante de leur stratégie. C’est la raison pour laquelle nous constatons aujourd’hui que les entreprises engagées dans une stratégie net zéro et qui créent de la valeur pour l’environnement et pour la société arrivent à bâtir de la confiance plus facilement à leur égard. Créer la confiance est plus que nécessaire aujourd’hui pour adresser les enjeux ESG de manière durable, éthique et inclusive .
Chez PwC au Maroc, nous concentrons tous nos efforts pour continuer à façonner notre vision et notre savoir-faire en matière de développement durable et d’exigences ESG car c’est ce que les entreprises attendent de nous. Il s’agit d’un domaine qui évolue rapidement. Les enjeux des entreprises ne cessent de croître, nous avons un rôle important à jouer pour les aider à se réinventer durablement et à anticiper les grandes évolutions socioéconomiques et réglementaires.
Selon le Global Investor ESG Survey 2021, les investisseurs veulent de plus en plus voir les entreprises intégrer les facteurs ESG à leur stratégie globale. Comment réagissent les entreprises maghrébines (Maroc, Algérie, Tunisie) ? Ont-elles suffisamment pris le train en marche ?
Aujourd’hui, l’intégration des facteurs ESG dans la stratégie des Investisseurs tels que les bailleurs de fonds et institutions internationales qui s’intéressent au Maghreb, ainsi que les Fonds d’investissement, est quasiment une évidence. En effet, près de 60% des investisseurs évaluent systématiquement les risques et les opportunités ESG de leurs cibles avant l’acquisition. Plus de 7000 fonds durables existent aujourd’hui à travers le monde et nous prévoyons une forte croissance des actifs sous gestion intégrant des critères ESG. La France, à titre d’exemple, est aujourd’hui le deuxième centre financier « vert » mondial, avec une croissance significative des fonds durables. On trouve actuellement près de 1200 fonds sur le marché français dans lesquels sont investis près de 900 milliards d’euros. Deux tiers d’entre eux ont un label ISR (Investissement Socialement Responsable). Au Maroc, l’industrie est en pleine transformation et les acteurs intègrent de plus en plus le développement durable dans leurs priorités. Le ministère du Commerce et de l’Industrie joue également un rôle majeur en favorisant cette transformation.
Il faut dire que de manière générale, les fonds d’investissement qui regardent aujourd’hui les marchés maghrébins ont une stratégie d’investissement mondiale et les facteurs ESG font partie de leur ADN.
Et qu’en est-il des fonds d’investissement locaux ?
Concernant notamment les fonds d’investissement marocains, plus de 50% d’entre eux mènent une politique ESG formalisée qui définit leurs engagements en matière sociale et environnementale. Plus de deux-tiers d’entre eux réalisent des due diligences ou audits ESG en phase d’acquisition ou de cession.
Bien que chacun des pays du Maghreb soit à un niveau de maturité différent, du point de vue réglementation et stratégie nationale (réglementation en termes de communication extra financière, stratégie nationale en faveur de la décarbonation industrielle…), on constate l’émergence, voire la forte volonté pour certains d’entre eux, de s’engager dans une stratégie de Développement Durable.
Le Maroc s’est engagé de manière volontariste dans une stratégie permettant : d’afficher à la fois un bilan carbone très performant pour les secteurs industriels énergivores traditionnels (tels que la métallurgie, le ciment, etc.) en s’appuyant sur son gisement d’énergie renouvelable ; de se mettre à produire les équipements et les services de la transition énergétique (à titre d’exemple la production et l’export d’hydrogène vert, la création d’une usine géante de fabrication de panneaux solaires ou encore la fabrication de pièces mécaniques de haute technologie pour les éoliennes offshore) ; et de veiller à la compétitivité de son industrie exportatrice, à l’aune du Green Deal aux frontières européennes.
En Tunisie, la publication en 2021, du premier guide tunisien d’émission des obligations vertes, socialement responsables et durables (réalisé par le CMF en collaboration avec l’IFC – Banque Mondiale) marque un tournant. L’objectif de ce guide est de promouvoir le rôle du marché financier dans le financement de projets répondant aux besoins environnementaux, sociaux et aux impératifs de développement durable du pays.
L’Algérie s’est dotée, en janvier 2021, d’un Conseil National Economique, Social et Environnemental. De même, le Plan National Climat (PNC) élaboré en 2019 porte sur les actions devant être mises en œuvre par l’Algérie pour respecter ses engagements en matière de lutte contre les changements climatiques contenus dans sa Contribution Prévue Déterminée au niveau National (CPDN), afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Pour les entreprises et les fonds d’investissement, l’impact de l’intégration des facteurs ESG est réel. En effet, plusieurs études ont montré que l’investissement ESG permet d’obtenir des rendements similaires voire supérieurs par rapport aux investissements traditionnels. A titre d’exemple, la pandémie de la Covid-19 a démontré que les grands fonds qui ont appliqué les critères ESG ont surperformé entre mars 2020 et mars 2021, avec une croissance moyenne d’environ 27%. Les investissements ESG sont plus durables et surtout moins volatiles. L’investissement dans les sociétés avec un score ESG élevé réduit les risques de volatilité globale.
Dans le contexte de relance économique actuel après la crise de deux ans liée au Covid-19, quels sont les défis que doivent relever les entreprises qui intègrent les ESG à leur stratégie?
La crise Covid-19 joue clairement un rôle d’accélérateur dans la prise de conscience des entreprises, quant à la nécessité d’intégrer dans leurs stratégies, les questions environnementales, sociétales et de gouvernance. Plus qu’une exigence réglementaire, c’est un enjeu clé pour leur pérennité, leur attractivité et leur compétitivité. Face à ce contexte, l’entreprise doit s’engager à non seulement relever ses propres défis mais également les défis communs et collectifs qui ont un impact sur son écosystème ou elle est active et sur la planète entière au sens large. Pour y parvenir, l’adoption d’une politique ESG intégrée n’est pas juste une case à cocher mais une nécessité pour l’ensemble des organisations.
S’agissant des défis propres, l’entreprise est plus que jamais consciente de la nécessité de se réinventer en plaçant son capital humain au centre de ses préoccupations.
D’autant plus que ces deux dernières années de pandémie et leur lot de perturbation ont poussé les employés à réévaluer leurs motivations et attentes personnelles et professionnelles. Pour attirer et retenir ses talents, l’entreprise doit être en mesure de rendre compte de ses actions ESG de manière transparente.
Quant aux défis collectifs, les entreprises doivent de plus en plus intégrer les enjeux ESG pour avoir une empreinte durable et responsable. De la décarbonation à l’investissement durable jusqu’à l’éthique de la chaîne d’approvisionnement, les entreprises doivent réagir vite pour poursuivre leur transformation.
Aussi nous sommes convaincus qu’il s’agit du bon moment pour encourager nos entreprises vers une intégration plus forte des facteurs ESG dans leurs pratiques en anticipant les exigences réglementaires pour gagner en transparence et en performance, en intégrant les exigences ESG pour pouvoir attirer et maintenir la confiance des financements internationaux, et en s’engageant dans la décarbonation industrielle pour préserver la compétitivité des entreprises exportatrices.