Au Bénin, la cherté de la vie alimente la vie politique et plombe le budget des ménages

Depuis quelques semaines, la « vie chère » est de toutes les conversations. Impacts de la pandémie de Covid-19 puis de la guerre en Ukraine ont successivement touché les Béninois au portefeuille. Entre revendications sociales et syndicales, le gouvernement a pris des mesures d’exception pour sécuriser l’approvisionnement en pétrole et contrôler les prix des denrées de première nécessité.

En ce début du mois de mai, ce n’est pas l’ambiance des grands jours sur le marché Dantokpa de Cotonou. Les prix ont connu une hausse aussi rapide que malvenue. « Entre le mois de décembre et aujourd’hui, le prix de l’arachide est passé de 600 francs CFA le kilo à 800 francs CFA et le prix du sorgho est passé de 300 francs CFA à 600 francs CFA. Quant au mil qui valait 250 francs CFA à la fin de l’année dernière, il coûte maintenant 500 francs CFA », déplore Blanche qui vend ses céréales sur le marché. « En quelques semaines, j’ai perdu pratiquement 70 % de mes clients », estime la commerçante qui attend patiemment, assise sur un petit tabouret de bois, à l’ombre du soleil du midi, que des clients puissent garantir le succès de cette journée de travail. « D’abord, il y a une sécheresse qui ne nous aide pas. Ensuite, on est dans une période de césure où l’offre est moins importante que la demande. Les greniers sont vides. Et pour finir, la hausse des prix a poussé plusieurs marchands à arrêter leurs activités », ajoute-t-elle. D’un geste large, elle se retourne sur la petite allée qui a perdu trois commerces sur vingt en quelques semaines. « Ils ne pouvaient plus payer leur loyer », explique la marchande qui a l’avantage d’être propriétaire de son local.

Pascaline, une vieille femme à la peau ébène et au visage émacié, s’arrête devant le stand de Blanche. Elle est venue chercher des arachides. « Normalement, je prends trois portions, mais avec l’augmentation du prix, je n’en prends plus qu’une seule », explique Pascaline qui vend des arachides grillées, près de la route où les passages des clients sont plus fréquents. « Il me faut du gaz pour faire griller les arachides, mais là aussi, le prix a augmenté. Tout augmente ! On est obligé de faire des efforts sur notre nourriture », se plaint-elle.
Un peu plus loin dans l’allée des céréales, Rosalyne attend les clients avec patience et résignation. Ses bénéfices ont soudainement chuté. Avec les 400 francs CFA de taxi par jour pour se rendre au travail et la location du local à 8 000 francs CFA par mois, elle n’arrive plus à joindre les deux bouts et a dû emprunter pour poursuivre son activité. Le nombre de ses clients a lui aussi, été réduit des deux tiers depuis le début de l’année. « Le client vient et dit que l’Etat a pris des mesures pour contrôler les prix, mais on ne voit pas les résultats ici », explique-t-elle, en désignant les denrées disposées devant elle.

Des mesures d’urgence pour contrecarrer la cherté de la vie

« Le Bénin n’est pas un pays isolé, nous subissons tous les mêmes défis concernant la hausse des prix consécutifs à la situation en Ukraine. Le prix du pétrole fluctue. En trois semaines, le gasoil a enregistré une augmentation de 30 % », explique Shadiya Alimatou Assouman, la ministre de l’Industrie et du Commerce qui précise que « l’Etat a pris des mesures pour sécuriser les approvisionnements en pétrole ».
« Depuis juin 2021, avec la pandémie de Covid-19, le fret est devenu extrêmement cher. Sur certains produits, il a été multiplié par six », poursuit-elle. Redevances à l’exportation, exonération de la TVA sur les produits importés de grande consommation comme l’huile ou le blé et réduction de 80 % des taxes sur le riz importé, sont quelques-unes des mesures mises en place pour contrecarrer la flambée des prix. Au total, l’Etat a investi 68 millions de dollars dans la réduction des prix de produits de grande consommation. « Nous n’avons pas opté pour des mesures démagogiques reposant sur le blocage des prix. D’ailleurs, une telle mesure est-elle réaliste ? », interroge la ministre de l’Industrie et du Commerce.  « C’est la spéculation qui est à l’origine de la hausse des prix. Nous ne sommes pas en période de pénurie. D’ailleurs, nous avons pris des mesures qui nous assurent la pérennité de nos productions », poursuit-elle. La population béninoise est mise à contribution et dispose d’un numéro vert pour dénoncer les spéculateurs.
Le 26 avril, suite à une rencontre entre le président Talon et les organisations syndicales, une revalorisation de 30 % du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), passant de 40 000 francs CFA à 52 000 francs CFA), était annoncée. Il fut également décidé que la souscription des employeurs à l’assurance maladie pour les salariés à faibles revenus deviendrait obligatoire, dès le 1er janvier 2023. « Cette revalorisation salariale portée par le chef de l’Etat n’est pas liée à la cherté de la vie. Elle a été prise antérieurement », précise la ministre de l’Industrie et du Commerce. Hasard du calendrier, cette revalorisation intervient en plein débat sur la cherté de la vie, huit ans après la dernière hausse du Smig.

Poursuite des négociations avec les associations de consommateurs et les syndicats

« Depuis longtemps déjà, les salaires ne sont plus adaptés au coût de la vie et la conjoncture internationale n’a fait qu’aggraver la situation. Avec l’arrivée de la Covid-19, nous avons assisté à une hausse vertigineuse des prix de produits de grande consommation. Les travailleurs n’arrivent plus à faire face », explique Noël Chadare, secrétaire général de la COSI Bénin, une confédération des organisations syndicales indépendantes. « Entre la réforme du code des pensions des fonctionnaires qui nous a fait perdre jusqu’à 3 % de salaire lors du premier mandat de Patrice Talon et la réforme de cette année, nous avons connu deux baisses de salaires », calcule-t-il. L’augmentation du Smig ? « C’était un accouchement dans la douleur qui a fait suite à une grande manifestation organisée le 18 février où les syndicats avaient lancé un ultimatum au gouvernement (…) Ces 30 % ne sont pas une victoire, car ce n’est pas suffisant pour couvrir les charges d’un ménage », regrette-t-il.
Pour Ernest Gbaguidi, président de Bénin Health & Consumes Survival (association de consommateurs), c’est le contexte social fragilisé par des crises exogènes qui a poussé le gouvernement à prendre des mesures d’urgence sur les prix. La pandémie de Covid-19 puis la crise à l’est de l’Europe ont impacté la production mondiale, produisant un déséquilibre entre l’offre et la demande qui s’est accompagné d’une envolée des prix. « Avec l’Ukraine aujourd’hui, c’est le déluge ! La hausse des prix du gasoil complique le fonctionnement des entreprises. Quant au prix du blé, il a augmenté au point d’être pratiquement trois fois plus cher », poursuit le président de l’association.
Du côté des organisations patronales, les mesures engagées par le gouvernement font grincer des dents. « Avant que l’Etat ne décide de fixer les prix de certains produits de première nécessité, les acteurs économiques n’ont pas été consultés », regrette Albin Feliho, président de la CONEB et chef d’entreprises. Quant à la revalorisation du Smig de 30 %, il s’interroge : « Qu’est-ce qui s’est passé dans les entreprises pour qu’elles soient en mesure d’augmenter le Smig de 30 % ? ».
Entre avancées macroéconomiques, revendications syndicales et inquiétudes sanitaires et sociales, le Bénin reste suspendu à l’actualité géopolitique qui bouleverse les cours des marchés mondiaux et affecte le pouvoir d’achat des ménages. « Nous sommes mobilisés et l’Etat reste vigilant sur l’évolution de la situation », assure la ministre de l’Industrie et du Commerce.

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