A cheval entre le golfe de Guinée et le Sahel, la Côte d’Ivoire, et dans une moindre mesure le Ghana, sont les deux locomotives économiques d’Afrique de l’Ouest. Ils sont aujourd’hui rattrapés par le Bénin, qui, fort de sa stabilité politique, est parvenu à mettre en œuvre un arsenal de réformes destinées à développer son économie .
Le Bénin commence à mesurer les premières retombées de son train de réformes, issues du plan d’action gouvernemental (PAG). Le pays est entré en 2020 dans la catégorie des pays à revenus intermédiaires : la croissance y est robuste (6,4%) et reste la première des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) malgré la pandémie mondiale. Les institutions internationales se montrent par ailleurs positives quant à leurs observations de l’évolution de la situation intérieure du pays. Ainsi le FMI a décerné au pays la mention « très bien » sur son échelle de notation quant à la gestion des finances publiques. De plus, selon la CNUCED, le Bénin est le pays où la création d’entreprises est la plus facile au monde. Plus récemment encore, le pays s’est hissé à la 88eplace du Word Hapiness Review (153e en 2017).Les défis du pays restent cependant importants notamment en matière énergétique et de diversification économique. Un état de fait rappelé implicitement par le président Talon lors de ses vœux pour la fin de l’année 2020 qui a rappelé la nécessité de « consolider les acquis […] engrangés ces dernières années».
Assainir l’appareil d’Etat
Issu de la volonté du Président Talon, le PAG est destiné à réformer l’Etat en profondeur :un préalable à la stimulation du secteur privé. Ce dernier est vu comme le levier principal du développement du pays via l’investissement et la création d’emplois. Le gouvernement ambitionne de financer progressivement la rationalisation de l’État sur les fonds propres du pays, avec la volonté de s’affranchir progressivement des aides publiques internationales ; tout en améliorant la traçabilité et la pertinence de celles déjà perçues.
A cette fin, ce sont près d’une cinquantaine de réformes qui ont été lancées par le gouvernement du président Talon. Avec pour fer de lance le ministère de l’Economie et des finances dirigé par Romuald Wadagni, récemment distingué « meilleur ministre d’Afrique » par les Financial Afrik Awards. Toutes les réformes ont un objectif commun : la rationalisation de l’appareil d’Etat afin d’en faire un pôle régional d’activité économique, via l’accélération de la création d’entreprises (quelques heures), accès à l’eau et à l’électricité, clarification des procédures de permis de construire, rationalisation de la politique fiscale (collecte impôts), simplification des procédures de commerce transfrontalier (guichet unique pour les opérations), accès au crédit et aux marchés publics, bancarisation, etc.
Ces réformes sont transcendées par plusieurs axiomes parmi lesquels la simplification des procédures, la clarification juridique et surtout, la digitalisation des opérations. Il s’agit pour l’Etat de gagner en souplesse, rationaliser et contrôler ses recettes et lutter contre la corruption via la dématérialisation des procédures. Ces réformes sont calquées sur les canons de gouvernance du Doing Business, le rapport de référence, dans la prochaine édition duquel le Bénin devrait enregistrer des progrès, selon des sources internes. Pour le président Talon, ces progrès de gouvernance sont « un motif de satisfaction collective ».
Diversifier l’économie
L’économie du Bénin dépend largement de l’agriculture (70% du PIB), mais reste toujours peu industrialisée. L’objectif du gouvernement est de drainer les investissements vers le secteur primaire afin de financer sa transformation technologique et logistique, mais aussi la filière de transformation. L’industrie transformative est en effet nécessaire pour apporter de la valeur ajoutée aux produits agricoles nationaux tout en rendant la filière moins dépendante des cours internationaux. Si le taux de transformation de la filière ananas est déjà passé de 15 à 20% entre 2015 et 2020, le gouvernement souhaite aussi stimuler la filière anacarde, coton, karité, culture maraichère, coton, karité, soja, mangue, pêche et aquaculture et l’élevage.
Les efforts du gouvernement se portent également sur les infrastructures lourdes, telles que les routes ou la réfection du port de Cotonou, afin de faciliter la circulation des flux de capitaux et de marchandises vers et à l’intérieur du pays. Par ailleurs de nombreux efforts ont été consentis dans l’assainissement urbain et la réfection de la voirie : un progrès pour les conditions de vie des riverains.
Le mix électrique n’est pas délaissé et le raccordement au réseau d’une nouvelle centrale a permis de faire passer le taux d’électrification de 46,6 à 55,1% entre 2015 et 2020. Il s’agit d’un progrès certain, mais qui apparaît encore insuffisant compte tenu de la criticité du secteur et de son rôle dans le PAG.
Le maintien du niveau de croissance pendant la pandémie de 2020, malgré la fermeture de la frontière avec le Nigeria, a confirmé une certaine robustesse de l’économie béninoise. En effet, les opérations de réexportation de produits nigérians contribuent pour près de 20% à la richesse nationale. Un résultat nuancé par la réalité de la fermeture de la frontière, particulièrement poreuse. En tout état de cause, cette dépendance au marché nigérian pourrait être atténuée par la constitution d’un tissu industriel manufacturier : un parent faible du PAG.
Stabilité politique
Malgré la crise politique qui a marqué le pays lors des élections législatives de 2019, du fait de l’abstention d’une partie de l’opposition, la présidentielle de 2021 s’annonce plus apaisée avec de fortes probabilités de victoire pour le Président Talon. La réforme du système électoral, cause des troubles, semble avoir été digérée, même si des débats subsistent. Elle avait simplifié la donne politique du pays en restreignant les conditions nécessaires pour être reconnu comme formation politique : permettant de ramener le nombre de partis de 250 à une quinzaine. Une volonté de clarification pour les électeurs autant qu’une opération destinée à lutter contre les financements occultes.
Sur le plan sécuritaire, le Bénin fait presque figure d’exception dans une région largement déstabilisée par le terrorisme islamique. Ce dernier est plus souvent un corollaire des troubles inter-ethniques ancestraux qui secouent la région à l’image du Burkina Faso, du Niger ou du Nigeria qui ont pourtant des frontières communes avec le Bénin. Cela s’explique entre autres par une répartition ethnique assez équilibrée ; et une conflictualité historique sous-régionale moins intense que dans le rift sahélien. Sur la quarantaine de groupes ethniques que compte le pays, les principaux sont les Fons (39%), nettement majoritaires, suivis des Guns (« cousins » des Fons) et des Yoruba (apparentés aux Fons). La partie septentrionale du pays, moins peuplée et à majorité musulmane, est composée de Baribas (Voltaïques) et dans une moindre mesure, de Peuls. S’il existe un facteur de risque très modéré du fait des rivalités qui peuvent se manifester entre ces deux dernières ethnies, elles ne sont à ce stade pas de nature à poser des problèmes sérieux de sécurité. Mais rien de comparable avec la poudrière qui caractérise le Sahel. Autant d’arguments appréciables pour les investisseurs internationaux.
(*) Pierre d’Herbès est consultant en intelligence économique (Herbès Conseil)