Bilel Jamoussi : « l’Afrique doit diriger le Bureau de l’UIT ! »

Seul candidat à la direction du Bureau de normalisation de l’Union internationale des télécommunications, un poste jamais occupé par un dirigeant venant de la région africaine, Dr Bilel Jamoussi revient dans cet entretien sur son parcours, ses soutiens à sa candidature en Afrique et sur ses priorités pour son éventuel premier mandat pour la période 2023-2026.

Vous vous portez candidat au poste de directeur du Bureau de normalisation des télécommunications de l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour la période 2023-2026. Qu’est-ce qui a motivé votre décision de briguer ce poste ?

Dr Bilel Jamoussi : Ce poste n’a jamais été occupé par un dirigeant venant de la région africaine, et ce, depuis la création de l’Union Internationale de télécommunication en 1865 !  Le Bureau de normalisation des télécommunications a été dirigé au cours des 32 dernières années par des directeurs asiatiques ou européens. J’ai la totale conviction que cette fois c’est le tour de l’Afrique !

L’Afrique et les autres pays en développement souhaitent désormais être acteurs et créer des solutions qui répondent à leurs besoins et non plus être de simples consommateurs de technologies digitales !

Ma carrière internationale distinguée et reconnue dans le secteur de normalisation des télécommunications, ma passion de connecter le monde et faciliter la révolution digitale à travers des normes internationales pertinentes, inclusives, et transformationnelles sont autant d’éléments qui m’ont motivé pour devenir le premier directeur africain à ce poste au cours des 157 ans d’existence de l’UIT.

Les pouvoirs publics et le secteur privé ont besoin d’un processus de normalisation international efficace, rapide, équitable, harmonisé et transparent qui permette de concevoir des réseaux et des services interopérables prêts à être exploités au profit des citoyens et des consommateurs.

La Covid-19 a mis en avant l’importance cruciale que revêtent la connectivité et les technologies numériques pour fournir des services essentiels intégrés aux personnes, notamment en permettant le télétravail, l’enseignement à distance, les soins et la santé numérique ainsi que l’inclusion financière numérique.

Les technologies numériques renforcent notre capacité d’atteindre les 17 Objectifs de développement durable définis par les Nations Unies à l’horizon 2030. Les normes internationales jouent un rôle essentiel pour atteindre ces objectifs, dans un monde qui évolue rapidement sous l’effet de la transformation numérique.

Vous avez une longue expérience dans le domaine des télécommunications, notamment au sein de l’UIT où vous occupez le poste de chef du Département des commissions d’études au Bureau de la normalisation des télécommunications. Vous êtes également un spécialiste des réseaux de télécommunications et vous êtes titulaire d’une vingtaine de brevets d’invention. Ce parcours vous destine-t-il tout naturellement à prendre la tête du Bureau de normalisation de l’UIT ?

C’est d’abord un parcours de 27 années qui me positionne naturellement à être le candidat le plus qualifié pour ce poste. Les membres de l’UIT ont besoin d’une tribune neutre et impartiale, permettant de collaborer avec d’autres organisations de normalisation et institutions du système des Nations Unies, en vue d’assurer la transformation numérique à l’échelle mondiale dans le cadre d’un processus fondé sur le consensus. En ma qualité de chef du Département des commissions d’études du Bureau de la normalisation des télécommunications de l’UIT depuis 12 ans, j’ai aidé nos membres à atteindre ces objectifs.

Grâce à une définition claire de la proposition de valeur du Secteur de la normalisation des télécommunications de l’UIT (UIT-T), ainsi qu’à l’intérêt grandissant que suscite la transformation numérique, nous avons réussi à attirer 200 nouvelles entreprises du secteur privé, qui ont rejoint l’UIT-T au cours des quatre dernières années.

De plus, pendant les 15 années que j’ai passées dans le secteur privé en tant que directeur chargé des normes au sein de l’entreprise Nortel aux Etats-Unis et au Canada, et en tant que titulaire de 23 brevets aux Etats-Unis, j’ai pu mesurer directement l’importance de disposer d’une politique en matière de brevets qui soit stable et permette au secteur privé de concrétiser rapidement les innovations technologiques pour en faire des normes internationales.

Enfin, ma formation universitaire aux Etats-Unis, couronnée par l’obtention d’une licence, d’un mastère, et d’un doctorat en génie informatique dans la spécialité réseaux des communications de l’université de l’Etat de Pennsylvanie, m’a permis de maitriser les complexités   des technologiques émergentes pour diriger ce bureau très technique.

Votre candidature est soutenue par la cheffe du gouvernement tunisien. Cette démarche pourrait-elle jouer en votre faveur ?

C’est évident, car les candidatures à l’UIT sont soumises par les Etats membres au Secrétaire général de l’UIT. Son Excellence Madame la cheffe du gouvernement tunisien appuie fortement ma candidature. Le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Technologies de communications en Tunisie prennent le dossier de ma candidature comme l’une des priorités nationales. Et j’en suis très honoré !

Je suis touché de l’élan diplomatique tunisien à travers le monde, des efforts pour présenter ma candidature et solliciter l’appui de tous les Etats membres de l’UIT. Monsieur le ministre des Technologies de communications et son équipe ont contacté tous leurs homologues pour demander leur appui. La délégation de la Tunisie à la conférence des plénipotentiaires à Bucarest sera forte et dirigée par Monsieur le ministre pour appuyer directement notre candidature lors des élections prévues le 29 ou 30 septembre 2022.

Qui sont vos soutiens au sein de l’UIT pour votre candidature ?

L’Union africaine, lors de la session de 2021 de son Conseil exécutif, a décidé d’endosser ma candidature en tant que seul candidat africain au poste de directeur du Bureau de la normalisation des télécommunications de l’UIT, ainsi que les ministres des TIC des pays arabes sous tutelle de la Ligue des États arabes à Riyad (Arabie saoudite), en 2019, faisant en sorte que je sois le seul candidat arabe à un poste de fonctionnaire élu de l’UIT, lors des élections qui se tiendront à Bucarest en Roumanie), du 26 septembre au 14 octobre 2022.

Les Etats membres de l’UIT représentés par les ministères de communications ou les instances de régulations de télécommunications ; ainsi que le secteur privé me connaissent très bien grâce à bientôt 30 ans de carrière dans ce domaine et particulièrement mes 12 ans au sein du bureau de normalisation en qualité de chef de département des commissions d’études:, couronnés par le rôle que j’ai joué lors de l’assemblée mondiale de normalisation des télécommunications tenue cette année au mois de mars à Genève en qualité d’organisateur et de secrétaire de plénière.

Si vous êtes désigné à la tête du Bureau de normalisation de l’UIT, quelles seront vos priorités pour les trois prochaines années ? Avez-vous déjà établi un agenda de travail pour votre éventuel mandat ?

En capitalisant sur mon expérience, mes priorités seront, premièrement, la réforme et restructuration des commissions d’études de l’UIT-T: Fournir de manière transparente les données, les compétences et les orientations nécessaires pour aider les membres à donner la meilleure structure possible aux commissions d’études de l’UIT-T, en tirant parti de la collaboration et en veillant à ce que le cadre que constituent ces commissions d’études conserve toute leur pertinence et leur intérêt.

Deuxièmement, le renforcement des normes inclusives : par la réduction de l’écart en matière de normalisation en collaboration avec le Bureau de développement des télécommunications et les bureaux régionaux de l’UIT, rationaliser l’application des normes et des connaissances spécialisées nouvelles et émergentes dans le cadre des projets mis en œuvre dans les pays en développement. Je suis convaincu que l’UIT peut être encore plus efficace, plus inclusive, et cela passera aussi par l’inclusion des femmes avec des rôles de leader dans le développement des normes en tant que déléguées ou membres du personnel de l’UIT. Personne ne doit être exclu de la révolution numérique qui s’opère aujourd’hui.

Et troisièmement, l’accélération de la transformation de l’UIT, par le renforcement de l’application de méthodes de travail innovantes et porteuses de transformation à des fins d’élaboration des normes, dans le cadre des réunions physiques, hybrides ou entièrement virtuelles. Dans le contexte du projet de construction du nouveau bâtiment de l’UIT à Genève, il s’agit d’ assurer la continuité des services fournis aux membres, tout en accélérant la transformation numérique de l’UIT et en améliorant sa durabilité environnementale.

Comment se présente aujourd’hui la collaboration entre l’UIT et les organisations panafricaines de télécommunication, notamment l’UAT et l’ARSO ?

Personnellement j’ai une excellente relation avec mon Frère le Secrétaire général de l’UAT, Mr John Omo, et toute son équipe. L’UAT joue un rôle très important dans les préparations et la coordination de la position africaine dans les conférences et assemblées de l’UIT.

Aussi, avec l’ARSO un mémorandum de coopération avec l’UIT est déjà en vigueur pour soutenir le développement économique durable et faciliter le commerce régional et international.

Pour finir, inutile de rappeler le soutien que me porte l’Union Africaine qui a appelé tous les Honorables, les ministres africains des TIC, les Régulateurs africains de télécommunication et tous les chefs de délégations africaines qui seront présentes « à faire bloc » et à voter d’une manière unanime en ma faveur.

Quels sont les défis auxquels l’Afrique fait face aujourd’hui afin d’accélérer l’harmonisation des politiques de régulation des télécommunications ?

Les trois défis en Afrique sont les suivants d’abord le manque de ressources humaines capables de participer convenablement dans les commissions d’études et les négociations technologiques internationales nécessaires pour être efficace et contribuer au processus de développement des normes

Ensuite, les barrières linguistiques, financières, et géographiques qui limitent le nombre d’experts africains dans les travaux de normalisation. Et enfin, les insuffisances dans la transposition des normes internationales à l’échelle nationale

Certainement, ma réussite dans l’obtention de ce poste va permettre d’apporter un soutien supplémentaire aux programmes de l’UIT qui visent la réduction de la fracture de normalisation – un programme que j’ai initié – aux groupes régionaux permettant la réduction des barrières linguistique et de distance, et va permettre un meilleur transfert des nouvelles normes et technologies entre le secteur de normalisation et celui de développement de l’UIT. Dans cette perspective les levées de fonds à travers des contributions volontaires telles que celles que j’ai réussi à mobiliser de la fondation Bill & Melinda Gates pour accélérer cette inclusion financière à travers le déploiement de services financiers numériques.

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