Infrastructures, industries, énergies, transports, télécommunications,… comment financer efficacement des projets en Afrique ? La question est clé pour tous ceux qui s’intéressent à miser sur le continent. Boris Martor, avocat associé chez Bird & Bird/ fondateur de Bird & Bird Africa et Ousmane Diawara, expert en financement des infrastructures ont choisi d’y apporter des réponses dans « Le Financement de projets en Afrique », un ouvrage paru chez Lextenso Editions. Pour La Tribune Afrique, Boris Martor revient sur le fruit d’une douzaine d’années d’accompagnement de projets sur le continent. Entretien.
Le financement de projet en Afrique fait déjà l’objet de beaucoup d’analyses ces dernières années tant le continent est devenu la nouvelle frontière du monde. Pour quelles raisons en avez-vous un ouvrage ? Qu’apporte ce dernier en plus ?
BORIS MARTOR – Le financement de projet en Afrique a fait l’objet de nombreuses analyses notamment sur le manque d’infrastructures pour favoriser le développement économique et social. Toutefois, il s’agit du premier ouvrage sur ce sujet relatif à l’Afrique et en français. C’est un ouvrage pratique, qui décrit l’état du marché des acteurs et permet de comprendre toutes les étapes relatives au développement de projets à leur financement, et à leur exécution une fois la construction achevée. C’est un véritable outil opérationnel réalisé par des praticiens qui permet d’appréhender le sujet de manière globale et chronologique ; cet ouvrage donne également les clefs de compréhension d’une matière riche aux niveaux juridique, technique et financier. Nous l’avons construit pour les praticiens mais aussi pour tous types de chercheurs et étudiants qui sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au continent et à la matière.
Vous avez une longue expérience dans ce domaine. Quelles sont les particularités du financement de projet d’infrastructures sur le continent ?
L’Afrique est un continent en devenir et certainement le dernier à s’équiper, s’industrialiser : sa croissance démographique nécessite l’équipement en infrastructures et le financement de celles-ci ne peut être le fait que du secteur public. Le secteur privé peut apporter des solutions, expériences et faciliter la mise en œuvre de solutions déjà expérimentées ailleurs. Le continent africain jouera aussi un rôle clef dans le développement durable et la transition écologique, car son développement pourrait être plus vertueux que celui d’autres zones si les projets qui y sont financés sont responsables. L’Afrique constitue une vaste zone de développement de projets énergétiques non polluants compte tenu de son potentiel hydroélectrique, solaire ou éolien par exemple. Si l’Afrique devait choisir de recourir à des solutions énergétiques conventionnelles de manière durable et prépondérante, cela pourrait avoir un impact plus lourd sur les émissions à long terme. L’Afrique et les solutions à venir en termes de financement de projet sont donc au cœur des préoccupations actuelles sur le devenir de notre planète.
Le financement en Afrique comporte néanmoins des particularités. De nombreuses solutions de financement sont disponibles mais les risques sont importants pour les investisseurs privés, qu’ils soient politiques, financiers ou juridiques. La particularité du financement de projet en Afrique réside certainement dans la capacité des acteurs à trouver des moyens de réduire ou aménager ces risques et de proposer des montages qui permettent de mettre en œuvre des projets de manière rapide, sure et bancable pour les institutions financières qui les financent. Notre ouvrage fournit de nombreux exemples sur la structuration de projets dans tous les secteurs : énergie, eau, transport, télécommunications par exemple.
Publier un livre, c’est partager la connaissance. Ce livre est destiné, dites-vous, aux banquiers, aux universitaires, aux étudiants, aux fonctionnaires africains ou internationaux, aux collaborateurs de groupes internationaux… Alors que le financement reste le talon d’Achille des projets de développement sur le continent, comment la mobilisation de tous les acteurs autour de la connaissance des marchés peut-elle contribuer à accélérer la machine financière ?
Partager la connaissance c’est permettre de partager ses expériences, de proposer des solutions ainsi que de former des personnes sur le sujet. C’est donc un moyen de favoriser l’émergence de nouveaux projets et de faciliter leur mise en œuvre. Nous formons le vœu que cet ouvrage puisse susciter l’intérêt de nombreux acteurs locaux et internationaux déjà impliqués ou qui ne le seraient pas encore. Il peut s’agir de nombreux acteurs de différentes communautés : ils sont chaque année de plus en plus nombreux sur le continent où de nombreuses personnes se forment et cherchent à contribuer à l’essor du continent. La formation, la mobilisation et le partage permettent de favoriser l’intérêt pour le continent, pour ses projets d’infrastructures et de créer plus d’opportunités pour les nations africaines. L’objectif est également de répondre à des besoins sociaux conséquents pour le développement harmonieux dans chaque pays. Le continent est souvent associé à une mobilisation financière centrée autour des acteurs du développement.
Toutefois, l’Afrique change : l’intérêt croissant de fonds investis dans les infrastructures, de banques régionales et l’acquisition d’une certaine maturité pour créer un écosystème favorable aux projets dans certains pays africains, montrent que l’accélération financière est possible. Le potentiel en matière d’énergie renouvelable est également un atout conséquent du continent et un formidable grand terrain d’expérimentation pour des projets innovants. L’ouvrage cherche à accompagner ces développements et sera mis à jour régulièrement pour en tenir compte, ainsi que pour intégrer les commentaires des lecteurs.
Le monde connait un contexte assez particulier. Alors que les économies retroussent leurs manches pour la relance, elles doivent composer avec les retombées contraignantes de la crise ukrainienne, les budgets des Etats et des entreprises n’étant pas épargnés d’une certaine pression. Comment poursuivre efficacement le financement des projets en dépit de ce contexte global pour finalement aller dans le sens des objectifs de développement ?
La situation actuelle est certainement inquiétante pour les économies africaines. Les contraintes étaient fortes et elles le sont certainement plus. La sécurité alimentaire en particulier devrait connaitre de fortes tensions. Il est justement plus qu’impératif et urgent de consacrer des efforts pour financer des infrastructures favorisant le développement social et donnant accès aux populations à des biens essentiels comme l’électricité ou l’eau qui manquent encore aujourd’hui à beaucoup d’Africains. Nous devons aussi certainement considérer que les projets d’infrastructures peuvent contribuer à une relance forte de l’activité et assurer des moyens de produire localement certains biens pour préserver les droits humains et permettre un développement social harmonieux et aussi heureux et rapide que possible sur le continent.