Voulant assurer sa souveraineté sanitaire, le Maroc change de logiciel en mobilisant un investissement de 500 millions d’euros qui en fera un pôle africain d’innovation biotechnologique et vaccinale.
« Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise ». Ce vieux dicton qu’on attribue à Winston Churchill laisse croire qu’une crise apporte toujours son lot d’opportunités et de chances. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire du modèle marocain de gestion de cette crise sanitaire. Ainsi, plutôt que de cibler uniquement les retombées de la pandémie sur le plan socioéconomique, le Maroc a compris qu’il convient mieux de se focaliser sur les opportunités et l’urgence de remédier aux carences structurelles amplifiées par la pandémie. Ce pays de 36 millions d’habitants propose ainsi un changement de paradigme sur la base du triptyque résilience-convergence-rebond.
Résilience face aux chocs exogènes
Face aux risques sanitaires, aux dépendances extérieures et aux contingences politiques, le Maroc a choisi la voie des réformes structurantes pour renforcer aussi bien le dispositif de protection sociale, que la couverture maladie. De fait, le pays s’est mis en ordre de marche, suivant les directives de Mohammed VI, prodiguées le 14 avril 2021, pour universaliser le système national de protection sociale au profit de tous les Marocains à l’horizon 2025.
Aussi, le pays n’y a-t-il rien laissé au hasard. Pour assurer un approvisionnement continu en produits médicaux essentiels (médicaments, dispositifs médicaux, équipements et consommables, vaccins,…), le tissu industriel pharmaceutique s’est mobilisé depuis le début de la pandémie en vue de limiter tout risque de pénurie grâce à la gestion optimale des stocks de sécurité.
De plus, pour mettre toutes les chances de son côté, le royaume chérifien s’est engagé pour fabriquer ses propres vaccins anti-Covid.19, et lance, pour ce faire, un mégaprojet dont la cérémonie de signature de la convention a été présidée le 5 juillet par le Roi Mohammed VI, avec l’objectif de créer, dans les cinq années à venir, un champion continental des vaccins et des biothérapies.
Convergence des luttes africaines
En Afrique, la pandémie de Covid-19 a eu la vertu de rappeler quelques évidences : il n’existe que dix sites de production de vaccins sur l’ensemble du continent, dont certains ne fournissent que des prestations de base. Sans surprise, la fabrication locale de médicaments, de vaccins et de dispositifs médicaux s’avère plus que jamais nécessaire dans ce continent où seulement 10 % des populations sont vaccinées, pendant que les pays riches stockent des millions de doses. Un constat conforté par le rapport publié par la Fondation Mo Ibrahim en décembre 2021, alertant sur les défis que le continent doit relever en 2022. « Si on n’accélère pas la vaccination, il y a peu de chances que l’Afrique prenne le chemin de la reprise », relève la fondation.
Malgré tout, l’Afrique, contrairement à l’Europe, a réagi d’une façon concertée en affichant une solidarité inédite. Il s’agit d’une vocation naturelle du Maroc, qui n’a pas manqué, une fois encore, d’être en première ligne sur le sujet des partenariats Sud-Sud. Dans un élan d’entraide, le souverain chérifien a pris l’initiative, le 14 juin 2020, d’envoyer à destination de 15 pays d’Afrique subsaharienne une aide médicale comprenant 8 millions de masques, 30 000 litres de gel hydroalcoolique, ainsi que 75 000 boîtes de chloroquine. L’aide marocaine a englobé également 900 000 visières, 600 000 charlottes et 60 000 blouses destinées au personnel hospitalier, ainsi que 15 000 boîtes d’Azithromycine, antibiotique associé à la chloroquine.
A situation exceptionnelle, rebond exceptionnel
Cette vocation du Maroc -de pourvoyeur de sécurité sanitaire au sein de son environnement continental- se renforce par le lancement des travaux de réalisation d’une méga usine panafricaine de production de vaccins, visant à faire du pays un champion africain.
En réalité, c’est un projet africain multidimensionnel, solidaire, qui est en train de se développer pour fabriquer 900 millions d’unités de vaccins durant les cinq prochaines années. Fruit d’un partenariat public-privé avec la société suédoise Recipharm, l’investissement consenti à ce projet sera de 500 millions d’euros à terme.
Le royaume chérifien pourra ainsi se targuer dans les prochaines années d’abriter la capitale africaine de la biotechnologie : Benslimane, située à quelques kilomètres de la capitale économique du pays, où sera implantée cette usine, ardemment voulue par Mohammed VI qui souhaite assurer aussi bien la souveraineté sanitaire de son pays que celle du continent.
Ce projet faramineux se décline en trois étapes dont l’inauguration de l’unité de fabrication constitue la première. Face à l’urgence sanitaire, le Maroc passe à la vitesse supérieure et annonce d’ores et déjà le lancement de la production de flacons à essai à partir de juillet 2022. Le pays pourra ainsi couvrir ses besoins nationaux avant la fin de l’année en cours avec une capacité de production qui s’élèvera à 160 millions d’unités, soit 600 millions de doses.
Outre le volet industriel, le Maroc se lance également dans la recherche et développement visant la création de vaccins et de produits biotechnologiques proprement marocains. D’ici 2023, cette usine, baptisée « Sensyo Pharmatech », sera en mesure de contribuer à la fabrication de 60 % des vaccins utilisés en Afrique.
À horizon 2025, cette capacité sera portée à 900 millions d’unités, soit 6 à 9 milliards de doses. Ces objectifs chiffrés, une fois réalisés, permettront au Maroc de se positionner au 2e ou 3e rang mondial en la matière. Un nouvel ordre sanitaire régional est-il en train d’émerger ? Assurément.
(*) Directeur de recherche au sein du think-tank IMIS.