Ce qu’il faut retenir de la tournée africaine d’Emmanuel Macron

Du 25 au 28 juillet, Emmanuel Macron avait choisi le Cameroun, le Bénin et la Guinée Bissau pour sa première tournée africaine depuis le début de son second mandat présidentiel. Sur fond de guerre en Ukraine, agriculture, patrimoine et sécurité ont ponctué ce déplacement qui fit la part belle aux sociétés civiles et aux diasporas inscrites au cœur de la « refondation » des relations franco-africaines.

Arrivé le 25 juillet aux alentours de 22h40 à Yaoundé, accompagné de Catherine Colonna, la ministre des Affaires européennes et étrangères, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, Franck Paris, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée, Olivier Becht, le ministre délégué au Commerce extérieur et Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d’Etat chargée du Développement, Emmanuel Macron a été accueilli sur le tarmac de l’aéroport, par Joseph Dion Ngute, le Premier ministre camerounais, tout sourire. C’était la première fois depuis 2015 qu’un chef d’Etat français foulait le sol camerounais.

Le 26 juillet, le président français rencontrait Paul Biya, lors d’une rencontre très attendue. Entre la lutte contre Boko Haram au nord du pays et le conflit qui oppose les groupes séparatistes au pouvoir central, la question sécuritaire était au menu de ce déplacement présidentiel à Yaoundé qui recouvrait en sus, une dimension commerciale.

En 2021, le pays affichait une croissance de 3,6 % selon le FMI (qui prévoit 4,6 % de croissance en 2022). Avec un flux d’échanges de 780 millions d’euros en 2021, le pays reste le premier partenaire commercial de la France en Afrique centrale. Par ailleurs, le Cameroun accueille à ce jour, près de 6 000 ressortissants français.

Ouvrant un nouveau chapitre mémoriel après l’Algérie et le Rwanda, le président Macron proposa la création d’une commission indépendante qui ferait la lumière sur la décolonisation au Cameroun grâce à la mise à disposition des archives françaises.

Sur le plan géopolitique, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président Biya, il dénonça « l’hypocrisie » des pays africains dans le conflit russo-ukrainien (suite à l’abstention de 17 pays africains dont le Cameroun, pour condamner l’invasion russe de l’Ukraine aux Nations Unies), suscitant une vague d’indignation sur les réseaux sociaux.
La journée d’Emmanuel Macron s’acheva à Etoudi, le village natal de Yannick Noah, le chanteur franco-camerounais, vainqueur du tournoi de Roland-Garros en 1983.

« Lune de miel » entre Paris et Cotonou

« Cinq ans de développement sans pareil (…) les relations économiques entre la France et le Bénin ont atteint un niveau inespéré (soit) 10 fois leur volume (moyen) des 30 dernières années », s’est félicité Patrice Talon le 27 juillet, aux côtés d’Emmanuel Macron arrivé au Bénin pour la seconde étape de sa « Saga Africa ».

Entre Paris et Cotonou, le climat est au beau fixe depuis la restitution des 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey. Le président français s’est rendu « ému » à l’exposition « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation : Trésors royaux et art contemporain du Bénin », promettant que le processus de restitution se poursuivrait.
Ce déplacement au Bénin recouvrait des enjeux plus prosaïques, car les réformes engagées, laissent apparaître de juteux marchés pour les entrepreneurs français.

« C’est ici au Bénin à Cotonou qu’il faut être aujourd’hui ! Les premiers venus seront les mieux servis », lance le président Talon, en conférence de presse. L’appel est entendu. « Vous pouvez compter sur nous pour investir », répond Emmanuel Macron qui était venu, accompagné de plusieurs managers d’entreprises français.

Le déplacement présidentiel aura donné lieu à la signature de plusieurs contrats de formation à Sèmè City, mais aussi à la signature d’un contrat entre les groupes Eiffage, Spie Batignolles, l’entreprise Adeoti SARL (BTP) et l’Etat béninois, pour l’extension et la rénovation des quais Nord du port de Cotonou.

Les bonnes grâces des bailleurs internationaux et les profondes réformes économiques favorisant le climat des affaires ont réveillé l’intérêt des opérateurs français. En 2021, le Bénin affichait 6,6 % de croissance selon la Banque mondiale, portée par les secteurs des services et de la construction. Les grands travaux se poursuivent à marche forcée. Le président Talon a indiqué que le Bénin investissait près de 2 milliards d’euros pour créer un environnement culturel, touristique, artisanal et artistique qui rayonnerait bientôt dans toute la sous-région.

« Nous sommes fiers de nous engager aujourd’hui avec le Bénin, dans un partenariat culturel d’exception au cœur de cette région qui de Lagos à Abidjan, a tout pour devenir en effet, un des  cœurs vibrants de la culture du continent africain et du monde », déclarait Emmanuel Macron à Cotonou, annonçant toute une série d’accords de coopération culturelle : réforme de l’Institut français, création d’un espace inspiré de la Villa Médicis, mais aussi soutien à la formation professionnelle (création d’une dizaine de lycées agricoles avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD), à l’entrepreneuriat, à l’investissement et participation à la construction de deux nouveaux Campus).

Patrice Talon : « On a besoin d’armement, d’équipements, de matériel militaire »

Parallèlement, le président du Bénin a insisté sur l’urgence de renforcer l’aide militaire française dans la lutte contre le terrorisme, au-delà du renseignement et de la formation.
« Nous n’avons pas encore obtenu gain de cause auprès des autorités militaires françaises (…) on a beau être formés, braves, disposés à aller au front, on a besoin d’armement, d’équipements, de matériel militaire (…) Nous avons les moyens financiers d’acquérir cet équipement, mais aujourd’hui, avec les tensions dans le monde (cela) devient problématique », déclara Patrice Talon.

Pour Emmanuel Macron, en plein rééquilibrage du dispositif antiterroriste post-Barkhane, la question est épineuse. Affirmant être prêt à livrer rapidement « pickups, équipements de déminage, gilets pare-balles et équipements de vision nocturne demandés », mais aussi « drones et autres équipements de surveillance » dans un second temps, il a rappelé que cette lutte contre le terrorisme, se ferait « aux côtés des Africains », « à leur demande » et que la réponse sécuritaire devait « s’accompagner d’une réponse politique et de développement ». Il a également précisé qu’il se rendrait disponible pour assister à une réunion des pays de l’Initiative d’Accra, le cas échéant.

Tout comme son homologue béninois, Emmanuel Macron estime que la relation entre Paris et Cotonou constitue « un partenariat inédit » qu’il veut pousser « plus loin », pour faire du Bénin « un exemple de développement économique, de clarté du cadre de concurrence loyale, un pays exemplaire en termes de formation, de développement culturel, touristique, sportif ».

Seule ombre au tableau : la question du journal Le Monde sur l’emprisonnement d’opposants politiques (Reckya Madougou et Joël Ahivo, respectivement condamnés à 20 et 10 ans de prison, en particulier) en conférence de presse, qui a passablement irrité le président béninois. Patrice Talon a regretté que l’écho donné à ces arrestations dans la presse « pollue un peu (les) efforts économiques » du Bénin. « Droit dans (ses) bottes », il a affirmé qu’« au Bénin, il n’y a pas de détenus politiques ». Il évoqua ensuite la possibilité de future(s) amnistie(s) ou de grâce(s) présidentielle(s).

Un peu plus tard, l’AFP annonçait qu’en marge de la rencontre, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) avait « libéré et placé sous contrôle judiciaire cet après-midi trente personnes arrêtées pour des infractions commises durant la période électorale ».

Vers un renforcement de la relation entre Paris et Bissau ?

Arrivé le 27 juillet au soir à Bissau, Emmanuel Macron y acheva sa tournée africaine, attendu de pied ferme par le président Umaro Sissoco Embalo, car c’était la première fois qu’un président français se rendait dans ce pays lusophone peuplé de moins de 2 millions d’habitants (un déplacement en Angola est prévu fin 2022). Le moment était solennel, mais, malgré le caractère  « historique » de cette rencontre présidentielle de mémoire de Bissau-Guinéens, elle n’en fut pas moins écourtée par l’arrivée du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane à Paris, attendu pour le dîner par Emmanuel Macron.

La Guinée Bissau connaît un contexte volatile. Le 1er février 2022, le président de la République échappait in extremis à une tentative de coup d’Etat. Ce pays d’Afrique de l’Ouest, entouré par des pays francophones, n’est que le 195e client et le 212e fournisseur commercial de la France dans le monde, selon les données du trésor français. La présence de l’Hexagone y reste limitée à de grandes enseignes  comme Orange ou Eiffage.

« Nous avons par le passé entretenu une relation dense avec la Guinée Bissau, brutalement interrompue avec la guerre civile de 1998. Nous souhaitons aujourd’hui participer à la réouverture du pays en direction des partenaires internationaux, permise par cette stabilité retrouvée », a déclaré Emmanuel Macron, saluant au passage la lutte contre les narcotrafics, avant de procéder à une série d’annonces : aide budgétaire de 3 millions d’euros à court terme « pour contribuer à la stabilité du pays », 1,5 million d’euros pour former une quinzaine de jeunes agronomes (dont 10 femmes) à l’école d’agronomie de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire dans une logique de soutien à l’intégration régionale, ouverture d’une école française à Bissau,  « grâce la mobilisation d’investisseurs privés issus de la sous-région » et réhabilitation des structures omnisport, de formation et d’éducation sportives avec le concours de l’Agence française de développement (AFD).

A la recherche de nouveaux soutiens face à Moscou

Le président français s’est engagé à renforcer la relation bilatérale avec Bissau, sur le plan de la formation des cadres militaires, de la défense, dans le domaine de l’équipement, de la lutte contre la piraterie maritime et de la pêche illicite.

Un sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devrait être prochainement organisé sur les questions sécuritaires (centré sur le Sahel), auquel Emmanuel Macron s’est dit prêt à participer. Revenant sur « les exactions commises par les éléments mercenaires déployés au Mali, dont les agissements sont désormais documentés par les rapports des Nations unies, Wagner pour ne pas les citer », Emmanuel Macron a appelé les Etats de la région à « sanctionner les coupables ».

De son côté, le président Embalo a précisé la position de la Guinée Bissau qui s’était abstenue à l’ONU en mars dernier. « Malgré notre politique non alignée, nous condamnons cette agression contre l’Ukraine », a-t-il déclaré aux côtés d’Emmanuel Macron qui a immédiatement salué « la clarté du propos » de son homologue bissau-guinéen.

Malgré un poids relativement marginal en termes d’échanges avec l’Hexagone, Bissau s’inscrit dans la logique présidentielle de sortir de l’ancien pré-carré de la France en Afrique. Par ailleurs, son président est à la tête de la CEDEAO qui fait face à de nombreux défis (économiques, politiques, sécuritaires) ainsi qu’à la défiance grandissante d’une partie des populations qui la juge inféodée à des puissances extérieures (en particulier à la France).

Emmanuel Macron est venu assurer du soutien indéfectible de la France aux organisations régionales et renvoya le président de Guinée Bissau à ses responsabilités en tant qu’actuel président de la CEDEAO, en énumérant les dossiers brûlants, à commencer par les juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée et le risque de déstabilisation régionale générée par la crise sahélienne. Le nouveau président de la CEDEAO a fait savoir qu’une réflexion était en cours concernant la création d’une force anti-putsch.

Pour cette première tournée africaine de son second mandat, Emmanuel Macron est sorti de sa zone d’influence traditionnelle, planifiant la « réarticulation » de ses alliances militaires régionales à l’heure où la présence française au Sahel devient critique, fragilisée par un sentiment de défiance populaire accessoirement instrumentalisé par des influences extérieures. Emmanuel Macron a néanmoins réaffirmé la volonté de « la France de rester engagée au Sahel et dans toute la région », mais en en « changeant sa doctrine et ses modalités ».

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