Une autre menace, qui ne bénéficie pas de « l’aura » médiatique de la Covid-19 ni de son exposition, continue de progresser, particulièrement dans la Corne d’Afrique.
On pourrait penser de prime abord à la Covid-19, sujet d’actualité numéro un en 2020 et qui devrait rester au centre de l’attention médiatique en 2021. Ce coronavirus qui a entraîné une pandémie mondiale faisant des millions de victimes à travers le monde a aussi mis à mal les économies en troublant les échanges internationaux, provoquant la perte de plusieurs milliers d’emplois à travers le monde.
Et pourtant, une autre menace, qui ne bénéficie pas de « l’aura » médiatique de la Covid-19 ni de son exposition, continue de progresser indéniablement en Afrique et en Asie, et tout particulièrement dans la Corne d’Afrique. Cette menace est plus communément connue sous le nom de criquet pèlerin.
Si ce petit insecte de seulement 2 grammes est inoffensif lorsqu’il évolue seul, il se mue en redoutable prédateur agricole lorsqu’il évolue en essaim, car il est capable d’ingurgiter son propre poids chaque jour. Il est reconnu comme l’insecte migrateur le plus destructeur au monde. Un seul de ces essaims au début de l’année 2020 couvrait à lui seul la superficie du Luxembourg, avec près de 200 milliards d’individus, répartis sur 2 400 km carrés. Ces essaims se déplacent grâce aux vents et peuvent parcourir plus de 150 km chaque jour. Ils peuvent ainsi rapidement se reproduire à des distances très éloignées.
Cette menace n’est pas nouvelle et a déjà fait des ravages par le passé. Un certain nombre de conditions climatiques sont nécessaires pour leur prolifération et ces dernières sont réunies depuis plusieurs mois. Cyclones, pluies saisonnières, inondations sont autant de facteurs permettant leur reproduction rapide. Tant qu’ils peuvent se nourrir, ils peuvent survivre et se reproduire si le terrain leur est favorable.
La corne d’Afrique est particulièrement exposée et le risque de crise alimentaire y est très présent. Bien que certains pays aient mis en place des stratégies communes, la lutte est particulièrement compliquée à mettre en place. L’utilisation de pesticides est aujourd’hui nécessaire pour endiguer leur prolifération. Toutefois, la Covid-19 a entraîné des fermetures temporaires de frontières et a donc limité les échanges de produits chimiques, seules solutions permettant de lutter efficacement contre cette menace.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a tiré la sonnette d’alarme et a lancé une campagne massive d’intervention dans dix pays pour lutter contre ce risque depuis 2020. Outre l’épandage de pesticides, la surveillance aérienne ou terrienne est un facteur déterminant pour endiguer la prolifération du criquet. La FAO estime que près de 2,7 millions de tonnes de céréales ont été sauvées, représentant une valeur de 800 millions de dollars. Mais plusieurs centaines de milliers d’hectares ont déjà été endommagés l’année dernière.
Le Kenya n’avait pas connu d’invasion de cette ampleur depuis plus de 70 ans. Somalie, Ethiopie, Soudan et Yémen sont également particulièrement touchés. Rien que dans cette région, la situation alimentaire pourrait rapidement se dégrader et impacter près de 3,6 millions de personnes supplémentaires. En 2020, la FAO estime que près de 35 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire à cause de ces insectes.
Dans des pays déjà frappés par des famines, marqués parfois par des guerres civiles, la sécurité alimentaire représente un enjeu primordial. Les efforts ne peuvent être relâchés et la FAO prévoit de maintenir son aide jusqu’en juin prochain au moins, mais les besoins en financement se font cruellement ressentir. L’avenir des récoltes et la sécurité alimentaire de plusieurs millions de personnes dans ces régions sont en jeu. Ces enjeux ne sauraient être longtemps éclipsés par la Covid-19.
(*) Augustin Doittau est analyste chez Ebury France