Du 9 au 20 mai, Abidjan accueillait la COP15 sur la lutte contre la désertification. A ce jour, l’ONU estime que 40% des terres seraient dégradées au niveau mondial. Entre enjeux fonciers, lutte contre la déforestation et impacts migratoires, cette conférence des parties qui s’est aussi penchée sur l’insécurité alimentaire dans un contexte géopolitique incertain, s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin.
Après Delhi en 2019, c’est dans la capitale ivoirienne que se tenait l’un des grands rendez-vous onusiens de l’année, où près de 7.000 participants étaient attendus. La COP15 portait sur le thème « Terres. Vie. Patrimoine : d’un monde précaire vers un avenir prospère ». Moins connue que la COP pour le climat, qui se déroulera également en Afrique dans la ville de Charm el-Sheikh en novembre prochain, la convention sur la lutte contre la désertification adoptée en 2014 et ratifiée par 196 pays et par l’Union européenne (UE), est la dernière des 3 COP (après celles pour le climat et pour la protection de la biodiversité).
« Elle a été principalement établie pour l’Afrique et correspond à l’objectif de développement durable 15.3 des Nations unies d’atteindre la neutralité en termes de dégradation des terres », explique Sandra Rullière, responsable adjointe de la division agriculture, développement rural et biodiversité au sein de l’Agence française de développement (AFD).
« Contrairement aux idées reçues, la lutte contre la désertification n’est pas synonyme d’avancée du désert. Elle concerne la dégradation des terres dans les régions arides, semi-arides et subhumides sèches, générée soit par le changement climatique, soit par les activités anthropiques », précise-t-elle. La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) privilégie une approche intégrée visant à restaurer ou à protéger les sols à travers la gestion optimisée des ressources naturelles.
Plusieurs temps forts ont rythmé la COP15 qui fut précédée d’un Forum pour la jeunesse les 8 et 9 mai. Le Sommet des chefs d’Etat (qui a réuni une douzaine de présidents dont Muhammadu Buhari du Nigeria, Faure Gnassingbé du Togo, Georges Weah du Liberia ou Félix Tshisekedi de la République démocratique du Congo) des 9 et 10 mai, fut suivi d’un Green Business Forum les 10 et 11 mai en présence des géants de l’agrobusiness comme Nestlé ou Barry Callebaut et une large place fut accordée à la question du genre. En Afrique subsaharienne, plus de 50% de la main-d’œuvre agricole est féminine, pourtant les femmes ne détiennent que 18 % des titres fonciers associés.
« Nous sommes à des niveaux d’insécurité alimentaire jamais atteints »
La désertification affecte non seulement la sécurité écologique de la planète, mais aussi sa stabilité socioéconomique. D’après les Nations unies, 50 millions de personnes pourraient être déplacées au cours des dix prochaines années en raison de la dégradation des terres arables. Alors que 2 milliards de personnes dépendent directement des écosystèmes des zones arides, la pression démographique se répercute sur l’exploitation agricole de ces zones marginalement productives et surpâturées, générant l’épuisement des terres et la surexploitation des eaux souterraines. Toujours selon l’ONU, la dégradation des terres serait le principal facteur de transmission des maladies infectieuses émergentes chez l’homme (dont 60 % de zoonoses).
« En Afrique de l’Ouest, la désertification se traduit aussi par une dégradation de la sécurité alimentaire depuis 3 ans. Le réseau de prévention des crises alimentaires qui évalue la situation alimentaire dans les pays d’Afrique de l’Ouest et du nord-Cameroun, nous indique que si rien n’est fait, 40 millions de personnes, seront en situation de crise alimentaire d’ici juin 2022 (…) La production céréalière des pays sahéliens est globalement en baisse de 11%. Le Niger enregistre une baisse de 39%, le Mali de 15% et le Burkina Faso de 10%. Au Cap-Vert, pour la cinquième année consécutive, aucune production céréalière significative n’a été enregistrée (…) Nous sommes à des niveaux d’insécurité alimentaire jamais atteints », avertit Sandra Rullière.
319 millions d’hectares en Afrique sont menacés de désertification selon la FAO
En chiffres, la dégradation des sols touche 74 % des personnes en situation de pauvreté. Par ailleurs, 12 millions d’hectares de terres sont perdus chaque année des suites de la désertification, soit l’équivalent de 23 hectares par minute.
Plusieurs éléments de réponse expliquent l’accélération du phénomène, tels que le changement climatique ou la multiplication des conflits régionaux. « Certains territoires ne sont plus accessibles aux agriculteurs du fait des conflits, notamment dans la zone des 3 frontières », précise Sandra Rullière. A ces phénomènes, s’ajoute la surexploitation des sols (absence de jachère et de rotation des cultures, épuisement des nappes phréatiques ou exploitation des ressources minières).
La FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) estime que le désert avance à un rythme annuel de 5 km dans les zones semi-arides d’Afrique de l’Ouest sur un continent recouvert à 65% de terres sèches (dont un tiers est inhabité et deux-tiers abritant 400 millions de personnes). Le Sahel est l’une des trois régions les plus touchées au monde par la sécheresse, avec la Chine et l’Australie. Entre reboisement, optimisation de la gestion de l’eau, mise en place de contreforts au sol ou enrichissement des terres : tous les moyens sont déployés pour faire face à l’avancée de la désertification.
Quelle stratégie pour accélérer la grande muraille verte (GMV) ?
Lancé en 2005, le projet de GMV pour restaurer 100 millions d’hectares de terres arides sur 8.000 km (où vivent 135 millions d’habitants entre Dakar et Djibouti) a pris un sérieux retard. La COP15 fut l’occasion de revoir la feuille de route de ce projet pharaonique dont les résultats tardent à se matérialiser. En effet, entre 10% et 15% des terres seulement auraient été restaurées, en une quinzaine d’années. Ce constat a poussé la France à mobiliser tous les acteurs lors du dernier One Planet Summit, pour porter à 14 milliards d’euros, les fonds internationaux destinés à relancer ce projet. « Ce sont de très mauvais résultats qui ont conduit la France à mettre en place un accélérateur doté d’un dispositif de mise en œuvre plus efficace, en faisant appel aux canaux habituels des bailleurs, dans un rapport bilatéral avec les pays de la zone sahélienne, plutôt qu’à travers une agence spécialisée et un processus qui n’a pas permis de faire atterrir les financements sur les territoires de façon suffisamment efficace », explique Gilles Kleitz, directeur du département transition écologique et gestion des ressources naturelles de l’AFD.
La GMV ne se résume pas à la plantation d’arbres, elle recouvre notamment des projets d’agroécologie, de formation rurale, de création d’emplois, d’énergie solaire et renouvelable. « Nous avons une discussion assez forte autour des moyens de faire remonter les demandes des associations, des villages, des territoires, des ministères (…) afin que les bailleurs puissent les financer de façon efficace. Nous avons besoin d’une coordination au niveau des pays », précise Gilles Kleitz.
Restaurer 35% de la surface terrestre d’ici 2030
« La lutte harassante de l’Afrique contre la sécheresse et ses conséquences a donné lieu à une multitude de stratégies. A la vérité, toutes ces stratégies et toutes ces conférences n’ont pas atteint les résultats attendus », déclarait Moussa Faki Mahamat, le président de la commission de l’Union africaine, au premier jour de la COP15. De son côté, le président Emmanuel Macron « a souligné la responsabilité des pays du nord en matière de désertification », ce qui en soit « représente une avancée, un propos fort et original », considère Gilles Kleitz de l’AFD.
Alassane Ouattara, en qualité de président du pays hôte de cette COP15, a rappelé que l’heure était à « l’urgence climatique », depuis la Côte d’Ivoire devenue pendant une dizaine de jours, le « laboratoire d’une nouvelle stratégie de restauration des terres dégradées ». Bien que le pays du cacao ne connaisse « pas vraiment la sécheresse et les problématiques liées au désert », explique Jean-Luc Assi, ministre ivoirien de l’Environnement et du Développement durable, il a néanmoins maille à partir avec « l’épuisement des terres cultivables et la perte de fertilité, qui impactent la production agricole du fait des activités humaines et du changement climatique ».
Suite à la dégradation des terres arables, la boucle du cacao de la zone est s’est progressivement déplacée dans la zone ouest du pays. Quinzaine de l’environnement, Programme d’investissement forestier (PIF) et vigilance renforcée sur l’utilisation des engrais : les grands moyens sont déployés pour contrer la désertification en terres ivoiriennes, car, comme le rappelle le ministre, « l’agriculture est le principal moyen de subsistance des 2/3 des ménages et reste le pilier de l’économie du pays. Elle représente un quart du PIB et constitue 75% des exportations ». Ce dispositif national fut renforcé à l’occasion de la COP15, avec le lancement de l’Initiative d’Abidjan (Abidjan Legacy Program) qui entend restaurer 20 % du couvert forestier initial, pour un coût de 2,5 milliards de dollars d’ici 2030.
Parallèlement, la Déclaration finale de la COP15 a concentré ses ambitions sur « la restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030 » à l’échelle mondiale. Quelque 128 pays se sont déjà engagés dans une « dégradation neutre » de leurs terres. L’ambition est colossale et les moyens qu’elle suppose le sont tout autant. Néanmoins les timides propositions du secteur privé, interrogent sur la matérialisation de tels engagements, dans une conjoncture internationale particulièrement troublée.