Coup de tonnerre ! Les Etats-Unis imposent un embargo sur le pétrole russe

Sous pression du Congrès américain, le président Joe Biden a annoncé cet après-midi un embargo sur le pétrole russe, son quatrième fournisseur, en représailles à l’invasion de Moscou en Ukraine. Bien plus dépendante de l’or noir de Moscou que l’Oncle Sam, l’Union européenne ne devrait pas suivre la décision des Etats-Unis. Quelques minutes après l’annonce par la presse américaine, les cours du pétrole se sont envolés de plus de 7%, tutoyant les plus hauts historiques. Dans la foulée, Kwasi Kwarteng, la ministre britannique des Entreprises et de l’énergie a annoncé que le Royaume-Uni arrêterait d’ici à fin 2022 les importations de brut et produits pétroliers russes.

La menace pesait depuis ce weekend et faisait trembler les marchés et les économies mondiales, et notamment l’Union européenne. La nouvelle est tombée cet après-midi : les États-Unis vont imposer un embargo sur les importations de pétrole russe, son quatrième fournisseur en 2021, en représailles à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’annonce est brutale et va impacter fortement et durablement les cours du pétrole, qui flambent déjà depuis plusieurs semaines. Celui du baril de Brent de la mer du Nord a frôlé dimanche les 140 dollars vers 23h00 GMT, proche de son record absolu de juillet 2008 où il avait tutoyé les 150 dollars. Quelques minutes après l’annonce de ce mardi, le cours du Brent de la mer du Nord remontait à 132,20 dollars en Europe (+7%) tandis que le brut américain WTI grimpait de 6,20% à 128.38 dollars.

Le chef de l’Etat américain, Joe Biden, a annoncé mardi avoir ordonné un embargo sur les importations américaines de pétrole et de gaz russes, afin d’alourdir les sanctions imposées à la Russie et « porter un nouveau coup puissant à Poutine ». Cette décision a été prise « en coordination étroite » avec les alliés des Etats-Unis, a-t-il précisé. « Nous ne contribuerons pas à subventionner la guerre de Poutine. »

Initialement réticent à l’idée d’un embargo, qui risque d’accélérer encore l’inflation aux Etats-Unis, Joe Biden a été mis sous pression par le Congrès, où un consensus avait été trouvé lundi en vue de soumettre au vote une proposition de loi en ce sens.

Dans la foulée, Kwasi Kwarteng, la ministre britannique des Entreprises et de l’énergie a annoncé que le Royaume-Uni arrêterait d’ici à fin 2022 les importations de brut et produits pétroliers russes.

Vers les 300 dollars ?

Les conséquences économiques ne sont pas encore connues, les prix vont encore grimper ce jour, mais le vice-Premier ministre russe, chargé de l’Énergie, Alexandre Novak, mettait en garde dimanche contre cette éventuelle mesure, qui pourrait, selon lui, pousser le baril « à plus de 300 dollars ».

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Reste à savoir quelle va être la position de l’Union européenne. Pour le moment, la communauté européenne n’a pas emboîté le pas à l’Oncle Sam. Et pour cause : elle est bien plus dépendante du pétrole russe que les Etats-Unis. Environ 30% des besoins de l’Europe en pétrole sont assurés par la Russie, contre 8% seulement pour les Etats-Unis.

Sur les 10,5 millions de baril/jour (mbj) produit par la Russie, les exportations s’élèvent à 4,27 mbj, dont 60% sont livrées à l’Europe et 35% à l’Asie (1,44 mbj, dont 56% (805.000 b/j) par la Chine).

« La Russie est aussi un centre important de raffinerie et un exportateur de produits raffinés comme le diesel, l’essence, et le fuel domestique. En 2021, les exportations de produits raffinés ont atteint 2,69 mbj. Comme le pétrole brut, elles ont aussi une dimension mondiale avec l’Union européenne constituant un important marché pour le diesel russe (580.000 barils par jour), le naphta (matière première pour la pétrochimie) et l’essence (234.000 barils par jour), le mazout (223.000 barils par jour) et le fioul domestique (214.000 barils par jour) », indiquent les experts du Oxford Institute for Energy Studies.

L’UE va-t-elle suivre les Etats-Unis sur l’embargo ?

Il est peu probable que l’Union européenne adopte cette position. La réponse russe pourrait en effet être radicale : couper l’alimentation en gaz de l’Europe, dont près de 40% des importations proviennent de la Russie (55% pour l’Allemagne).

Alors que l’Allemagne a suspendu le mois dernier le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2 devant la relier à la Russie, Moscou a prévenu qu’il pourrait geler les livraisons via Nord Stream 1. « Nous avons le droit de prendre une décision similaire et d’imposer un embargo sur les arrivées de gaz via le gazoduc Nord Stream 1 », a, en effet, déclaré Alexandre Novak. Ce gazoduc qui achemine du gaz russe vers l’Europe est rempli actuellement « à 100% ».

Ce mardi, le ministre de l’Économie, Robert Habeck, a lancé aux puissants pays exportateurs, menés par l’Arabie Saoudite, un « appel urgent à augmenter le niveau de production pour soulager le marché » alors que le prix du Brent, déjà à des niveaux records, grimpait encore mardi en raison de l’embargo américain attendu sur les importations russes. La semaine dernière, les treize membres de l’Opep, en coordination avec leurs dix alliés conduits par Moscou, n’ont décidé de n’augmenter que légèrement la production, malgré l’embrasement des cours.

Les importations d’énergie fossile en provenance de Russie sont « essentielles » pour la « vie quotidienne » des Européens, avait d’ailleurs mis en garde le chancelier allemand Olaf Scholz lundi. D’autres pays se sont également montrés sceptiques à l’idée d’un embargo.

Les responsables américains « m’ont dit qu’ils ne demandent pas et n’exigeront pas que l’Allemagne prenne la même décision » de bannir les importations de pétrole, voire de gaz ou de charbon russes, a expliqué Robert Habeck mardi.

« Mais j’en déduis que nous devons créer le plus rapidement la possibilité de prendre des mesures similaires » en réduisant la dépendance envers la Russie, a-t-il ajouté lors d’une conférence en ligne.

Réduire la dépendance de l’Europe russe

C’est dans cette optique que Bruxelles a présenté mardi des solutions pour amortir l’impact de la flambée des prix énergétiques et réduire de deux-tiers les importations de gaz russe de l’UE dès cette année, avant un sommet où les Vingt-Sept devraient s’engager à « sortir » de la dépendance aux hydrocarbures russes.

La Commission européenne soumettra d’ici avril une proposition législative pour établir un niveau moyen de stockage d’au moins 90% d’ici fin septembre, afin de préparer le continent au prochain hiver, avec des objectifs pour chaque pays, a annoncé la commissaire à l’Énergie Kadri Simson. Le projet évoquait initialement un niveau de 80%. Outre un recours accru à l’hydrogène et au biométhane, la Commission veut diversifier tous azimuts les approvisionnements gaziers de l’UE, en intensifiant les pourparlers déjà engagés avec les principaux pays producteurs (Norvège, États-Unis, Qatar, Algérie), tout en coordonnant mieux l’utilisation des terminaux et gazoducs en Europe. L’UE appelle aussi à accélérer les efforts de décarbonation dans les bâtiments (meilleure isolation, modes de chauffage…) et dans l’industrie, prévu dans son plan climat pour 2030:  « sa mise en œuvre complète permettrait de réduire la consommation européenne annuelle de gaz de 30% », estime Bruxelles.

Les mesures présentées « peuvent réduire la demande européenne de gaz russe de deux-tiers d’ici la fin de l’année » et « rendre l’UE indépendante des hydrocarbures russes bien avant 2030 », a assuré l’exécutif européen dans un communiqué. La Russie fournit 45% des importations de gaz et de charbon de l’UE, et 25% de celles de pétrole.

La feuille de route sera discutée jeudi et vendredi par les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réunis à Versailles. Ils devraient s’engager à « sortir de (leur) dépendance aux importations de gaz, pétrole et charbon russe », mais sans préciser de calendrier, selon un projet de conclusions consulté par l’AFP.

Un défi pour des pays comme la Finlande, la Slovaquie, la Hongrie ou la République tchèque qui importent l’essentiel de leur gaz de Russie, ou encore l’Allemagne, dépendante à 55% de la Russie pour ses approvisionnements. Berlin a rappelé qu’il n’existait aucune alternative pour s’en affranchir « pour le moment ». La Commission elle-même appelle à une rupture progressive: « Ne nous faisons pas davantage de mal qu’on en fait à Poutine. Il ne faut pas déstabiliser nos sociétés à un moment où nous devons rester unis », a reconnu lundi devant les eurodéputés le vice-président de l’exécutif européen, Frans Timmermans.

Dans l’immédiat, Bruxelles veut modérer l’impact sur les factures des ménages et des entreprises en élargissant la « boîte à outils » dévoilée à l’automne: une panoplie de mesures (régulation des prix, aides directes, abattements fiscaux, suppression de la TVA…) que les États peuvent adopter face à la crise de l’énergie.

Au-delà de conditions déjà assouplies pour les aides publiques, la Commission permettra aux États de taxer les bénéfices des entreprises énergétiques générés par la flambée des cours afin de les redistribuer mais à condition de « ne pas générer de distorsion inutile du marché ». La Commission envisage par ailleurs des mesures d’urgence pour limiter l’effet de contagion des cours du gaz aux prix de gros de l’électricité, notamment avec un plafonnement temporaire de ces derniers. En revanche, si le recours temporaire au charbon n’est pas « tabou » pour les pays voulant diminuer rapidement leurs importations de gaz russe, « cela ne les dispense pas de leur engagement à atteindre » leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 et il faut donc une accélération sur les renouvelables en parallèle, a averti Frans Timmermans.

Washington négocie avec de nombreux fournisseurs, même le Venezuela

L’impact de cet embargo semble plus absorbable pour les États-Unis. Théoriquement, Washington dispose des réserves suffisantes pour pomper l’équivalent des barils russes perdus. Mais les capacités de production sont, pour l’heure, insuffisantes. Avec la pandémie de coronavirus, les compagnies pétrolières ont brutalement ralenti l’extraction, qui ne reprend que progressivement depuis l’an dernier et reste inférieure de 1,5 million de barils par jour à son niveau de mars 2020 (11,6 millions contre 13,1 il y a deux ans).

Surtout, les Etats-Unis pourront se tourner vers le Canada, qui pourrait augmenter ses exportations vers son voisin américain, comme l’a déjà proposé, samedi, dans un tweet, la ministre de la province canadienne d’Alberta, Sonya Savage. Le Canada est la première source de pétrole étranger pour les Etats-Unis (61% des volumes).

Mais Washington a surtout cassé un tabou en ce début de semaine, en relançant des discussions avec son plus grand ennemi du continent : le Venezuela. Une délégation américaine a rencontré lundi soir le président Nicolas Maduro. L’objectif est notamment de lever l’embargo sur le pétrole de la république bolivarienne, sous sanctions américaines depuis des années.

Le pays sud-américain est toutefois très loin de pouvoir compenser les 10,5 mbj de brut produits en 2021 par la Russie, soit 14% de la production mondiale. La production du Venezuela est selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de 600.000 barils par jour en 2021, soit à peine le quart de ce que le pays produisait à la fin des années 1990. Selon des experts  cités par le Wall Street Journal, cette production pourrait monter à 1,2 mbj en 8 mois, si les compagnies présentes dans le pays, comme l’américaine Chevron, augmentaient leurs extractions.

Enfin, les Etats-Unis espèrent un accord sur le nucléaire iranien, ce qui devrait permettre de rendre disponible des millions de barils sur les marchés mondiaux. L’Iran pourrait rapidement faire grimper sa production de 2,5 mbj à 3,6 mbj au deuxième semestre de cette année, selon les calculs des experts du Oxford Institute for Energy Studies, dans une note d’analyse sur les conséquences de la guerre en Ukraine.

TotalEnergies reste en Russie

Depuis plusieurs jours, les compagnies pétrolières commencent à se retirer de Russie. Les Britanniques BP et Shell, d’abord, qui ont respectivement annoncé les 27 et 28 février leur intention de se désengager du géant pétrolier russe Rosneft pour BP (dont il détient 19,75%), et du groupe gazier Gazprom pour Shell. Mais aussi la compagnie norvégienne Equinor, laquelle a fait une croix sur sa participation dans Rosneft et dans les projets Salym et Sakhalin 2, qui valaient fin 2021 quelque 3 milliards de dollars.

Mercredi, le géant pétrogazier américain ExxonMobil a décidé de geler progressivement ses investissements en Russie, tandis que l’Italien Eni a promis de céder sa part de 50% dans le gazoduc Blue Stream, destiné au marché turc. Pour l’heure, le groupe français Total Energies a annoncé le 1er mars qu' »il n’apportera plus de capital à de nouveaux projets en Russie », sans pour autant se retirer des projets dans lesquels il est actuellement investi. Peu avant cette annonce, Bruno Le Maire, interrogé sur les activités de TotalEnergies et Engie en Russie, avait évoqué un « problème de principe à travailler avec toute personnalité politique ou économique proche du pouvoir russe ».

Le Britannique Shell a confirmé ce jour ces engagements et pris des premières mesures concrètes. Le géant pétrolier a annoncé mardi son intention de se retirer du pétrole et du gaz russe « graduellement, pour s’aligner avec les nouvelles directives du gouvernement » britannique, en réaction à l’invasion russe de l’Ukraine.

Dans un communiqué, le groupe britannique a précisé que, « comme premier pas immédiat, le groupe va arrêter tous les achats au comptant sur le marché de pétrole brut russe » et « fermer ses stations services, ainsi que ses activités de carburants pour l’aviation et lubrifiants en Russie ». Il avertit toutefois qu’au regard de « l’emplacement physique et de la disponibilité d’alternatives », ce « défi complexe » « pourrait prendre des semaines ».

Mais outre ces enjeux géopolitiques à multiples tiroirs, et les décisions des entreprises mondiales, la hausse du cours du pétrole va être répercutée aux consommateurs, notamment en Europe, via les frais de chauffage, le prix des billets d’avion, les coûts de livraison et ceux de nombreux produits réalisés à partir du pétrole, notamment le plastique.

(Avec AFP)

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