ean-Michel Ette : « Keysfinance Partners va se consolider sur le marché régional des fusions-acquisitions »

Jean-Michel Ette est Partner chez KeysFinance Partners (KFP). Depuis 2014, cette banque d’affaires arpente le secteur avec l’ambition de « démocratiser » la pratique des fusions-acquisitions en Afrique subsaharienne. Pour lui, il s’agit d’un levier catalyseur pour une croissance exponentielle des entreprises et plus globalement de l’économie.a

Comment se porte le marché des fusions acquisitions en Afrique subsaharienne francophone, après les perturbations provoquées par la crise et quelles vont être les priorités de KFP cette année (et au-delà) ?

Jean-Michel Ette – Le marché des fusions acquisitions dans la zone est très actif depuis le début de l’année 2022, à la fois porté par les opérations de private equity (déjà 5 à 6 opérations uniquement en Côte d’Ivoire par exemple), mais aussi par les importantes opérations liées aux cessions d’actifs de certains acteurs internationaux (Engie, Bolloré, BNP Paribas, JA Delmas par exemple…)

La dynamique est multisectorielle puisque nous avons observé des opérations dans le secteur bancaire, les assurances, les services (logistiques, transport), et l’industrie.

De notre côté, nous avons déjà réalisé 3 opérations depuis le début de l’année et espérons une signature d’ici la fin de l’année. Nos priorités restent donc la consolidation de nos activités de M&A dans la région mais également l’élargissement de notre réseau d’implantation avec un nouveau bureau que nous espérons pouvoir être opérationnel d’ici le début de l’année 2023.

Dédiées aux opérations financières et stratégiques des entreprises et investisseurs, les banques d’affaires se multiplient en Afrique francophone ces dernières années. Alors que le marché des capitaux régional est encore en pleine structuration et que le private equity est encore faiblement pratiqué, quels sont les défis auxquels les banquiers d’affaires (comme vous) sont-ils confrontés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ?

L’un des défis auquel nous faisons encore face est la méconnaissance du métier de la banque d’affaires. Il y a encore beaucoup de pédagogie à faire auprès des propriétaires et dirigeants d’entreprises locales pour les convaincre de l’utilité de se faire conseiller par une banque d’affaires dans le cadre de leurs opérations capitalistiques (cession, acquisition, ouverture du capital…)

Par ailleurs, dans le cadre des opérations sur lesquelles nous travaillons, l’un des enjeux les plus important demeure celui de la disponibilité et la qualité de l’information au sein des entreprises locales, et cela indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une PME qui réalise 3 millions d’euros de chiffre d’affaires ou d’une entreprise familiale qui en réalise 300 millions. Cette faiblesse dans l’organisation financière et opérationnelle complexifie considérablement la réalisation des transactions dans la mesure où le manque de fiabilité des données d’une entreprise engendre une méfiance de la part des investisseurs. Cette méfiance se traduit souvent par des processus de due diligences extrêmement longs ou in fine des divergences importantes sur la valeur des entreprises cibles.

Enfin l’enjeu du recrutement, de la formation et de l’évolution des équipes reste un défi permanent dans la région pour le métier de la banque d’affaires.

Au moment où le continent africain est devenu un centre d’intérêt majeur pour les fonds d’investissements à travers le monde et que l’Afrique subsaharienne francophone en général et l’Afrique centrale (3% en volume et 2% en valeur) en particulier captent les plus faibles parts d’investissement, quelles pistes pour accélérer le développement du private equity dans la zone ?

Il est vrai qu’il existe de nombreux enjeux liés au développement du private equity dans la zone Afrique subsaharienne francophone. Il est surprenant de constater qu’un pays comme la Côte d’Ivoire, qui représente un pôle d’attractivité économique significatif dans la région, ne capte que 2 à 3 opérations de private equity par an, avec des tickets moyens peinant à atteindre les 20 millions d’euros, alors qu’il y a plus d’une dizaine de gestionnaires de fonds basés dans le pays et que les besoins en financement sont significatifs. La différence de dynamique est flagrante par rapport à des pays équivalents en zone anglophone par exemple.

Il y a certes, comme pour le métier de la banque d’affaires, un enjeu de pédagogie sur l’existence, le fonctionnement et les bénéfices d’un partenariat avec des fonds de private equity. Cette vulgarisation doit se faire grâce à une présence locale des gestionnaires de fonds, mais surtout à travers l’existence de véritables success stories alimentant la thèse d’un partenariat mutuellement bénéfique pour l’ensemble des parties. Il est important d’effacer de l’esprit des entrepreneurs le mythe, encore bien présent, du « Fonds vautour » empêcheur, qui fait tourner en rond et susceptible d’accaparer leur entreprise…

L’un des autres écueils réside dans la problématique du ticket d’investissement. En effet, la plupart des fonds d’investissement actifs dans la zone recherchent des tickets d’investissement minimum autour de 20 millions d’euros, souvent pour des prises de participations minoritaires. Cependant, il existe peu d’entreprises dans la région disposant d’une taille suffisante pour absorber ce type d’opérations. Le modèle économique des fonds de private equity ne permet pas au gestionnaire d’aller dans le sens d’une réduction de leurs tickets, ainsi plusieurs gestionnaires de fonds ont d’ailleurs commencé à adresser cette problématique en modifiant leur stratégie d’investissement afin de se positionner désormais également sur des opérations de prise de participations majoritaires, élargissant ainsi l’univers des possibles. D’autres d’acteurs ont pris le parti de se positionner d’entrée de jeu sur des tickets d’investissement plus modestes, le renforcement de segment de marché permettra de renforcer l’accompagnement des entreprises locales dans leur première phase de développement afin qu’elles puissent ensuite se faire accompagner par des fonds plus importants. La création d’un marché de private equity secondaire, c’est-à-dire via des opérations qui verraient des fonds racheter les participations d’autres fonds d’investissement, ce qui est largement le cas dans les marchés matures, serait un moyen de renforcer le dynamisme de l’industrie dans la zone.

Enfin, demeure la problématique de l’écart entre les attentes des fonds d’investissement en termes de transparence, de qualité d’information et ce que sont capables de fournir des entreprises locales. Il existe donc un enjeu important de préparation et de structuration des entreprises locales à ce type de transactions mais également d’adaptation au marché local de certaines exigences des fonds actifs dans la zone.

L’émergence des champions africains s’est érigée ces dernières années en priorité pour l’essor économique. Vous êtes de ceux qui pensent que les opérations de M&A en sont un puissant catalyseur. Mais comment aider les entrepreneurs et PME africains à mieux se saisir de ce type d’opérations ? Quelles en sont les clés de succès ?

Aujourd’hui la culture de la croissance externe est très peu développée chez les entrepreneurs d’Afrique subsaharienne francophone. La très grande majorité de nos contreparties dans le cadre d’opérations de cession d’entreprise demeurent les fonds d’investissement et les acteurs occidentaux ou d’Afrique du Nord.

Les clés d’une opération de croissance externe résident dans la conviction sur la pertinence et l’intérêt stratégique d’une acquisition mais aussi dans la capacité d’exécution de l’opération aussi en termes de ressources humaines que financières. Il est important de disposer en interne, ou en externe, d’équipes à même d’accompagner la stratégie de développement du groupe aussi bien le sourcing des opportunités, dans l’analyse de leur pertinence que dans l’exécution des transactions. Par ailleurs, dans un environnement où les entrepreneurs sont habitués à construire plutôt qu’à acheter, il est souvent difficile pour eux d’accepter de s’aligner sur un « prix de marché » dans le cadre de l’acquisition d’une société. Ironiquement, leurs attentes se situent bien entendu au niveau, voir au-delà, des prix de marché lorsqu’ils sont eux même « vendeur » … Pour des acteurs qui ont vocation à être présents dans la région à long terme, il est crucial d’opérer un changement de paradigme par rapport à l’appréciation du prix à payer pour une acquisition.

Il est toutefois important de souligner que nous observons depuis quelques années un nombre croissant d’entreprises locales manifestant la volonté de se positionner sur des opérations de croissance externe bien que le nombre de réalisations concrètes reste encore insignifiant, sauf pour certains groupes qui de fait sont devenus des acteurs de premier plan en partie grâce à leurs stratégies d’acquisition, à l’instar du groupe Plastica que nous accompagnons.

Les PMEs étant continuellement confrontées au problème de financement de leurs activités, comment peuvent-elles efficacement lever des fonds pour les opérations de M&A ?

Tout dépend de la situation financière de l’acquéreur et de la cible mais à mon sens, le sujet du financement d’une opération de M&A est de plus en plus un faux sujet. Il est évidemment compliqué de faire financer l’acquisition d’une société qui perd de l’argent par une société qui en perd aussi…En dehors de ces situations, il existe de très nombreux mécanismes de financement d’une opération de M&A pour des projets qui font du sens stratégiquement, économiquement et juridiquement.

Il est certain que la plupart des banques locales n’ont pas encore complètement pris la mesure des opportunités sur ce segment d’opération, d’autant plus que leur structuration nécessite l’intervention d’équipes spécialisées et familières des mécanismes liés aux opérations de financement d’acquisition (estimation de la valeur, structuration des véhicules d’investissements, mécanismes de garanties etc…). Toutefois certaines banques ont commencé à s’intéresser à ce segment d’activités avec des départements spécialisés en la matière. Les banques internationales sont déjà très actives sur le segment, principalement en accompagnement des fonds de private equity et d’acteurs institutionnels. Par ailleurs de nombreux fonds de dette privée sont actifs dans la zone et en recherche d’opportunités. Enfin, l’association à un fonds de private equity peut à la fois permettre de partager le risque financier mais également de bénéficier d’une expertise importante dans la structuration et l’exécution d’une transaction d’acquisition.

Quel rôle les opérations de M&A pourraient-elles jouer dans la relance du secteur privé en Afrique francophone d’une part et d’autre part dans le dynamisme de l’Afrique subsaharienne francophone au sein de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) ?

Le défi de nos économies est de faire émerger des opérateurs industriels locaux dotés d’une empreinte régionale, d’une taille critique et d’une gouvernance leur permettant de traverser plus sereinement les chocs tels que la crise économique liée au COVID où encore celle issue de la guerre en Ukraine. L’émergence de ces acteurs aura un effet d’entraînement évident sur la myriade de PMEs locales formant l’essentiel du tissu économique dans la région.

En ce qui concerne la Zlecaf, des traités ont certes été ratifiés mais son effectivité reste encore une source de questionnements (impacts douaniers, facilités de paiement transfrontalières, comptabilité avec certaines spécificités locales etc…). Mais dans tous les cas, l’un des moyens de dynamiser les échanges au sein de cette zone serait la multiplication d’acteurs avec des intérêts économiques répartis sur plusieurs pays. Les opérations de M&A représentent un levier extraordinaire d’expansion géographique, en ce sens ces dernières constituent un moyen d’intensifier les flux à l’intérieur de la région.

 

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