Ex-ambassadeur de France à Maurice et ambassadeur des Partenariats économiques avec l’Afrique, Emmanuel Cohet revient dans cet entretien sur les grandes lignes de la diplomatie économique de la France en Afrique et sur quelques programmes phares de la coopération entre l’Hexagone et le continent. Cet entretien exclusif a été réalisé en partenariat avec le cabinet d’affaires publiques MGH Partners.
Votre nomination en septembre dernier a été vue comme une nouvelle traduction du discours d’Ouagadougou (discours fondateur de la nouvelle relation avec l’Afrique). Comment aujourd’hui votre mission s’articule-t-elle avec les autres outils de diplomatie économique de l’État ?
Emmanuel Cohet : En tant qu’ambassadeur pour les partenariats économiques avec l’Afrique, je travaille depuis la Direction d’Afrique et de l’Océan indien du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en lien étroit avec les acteurs de la diplomatie économique en direction de l’Afrique : avec les différents services du MEAE dont la Direction de la Diplomatie économique, avec les services du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance ainsi que les opérateurs tels que l’AFD/PROPARCO, Business France, BPIFrance. Je suis en relation constante avec notre réseau diplomatique en Afrique.
Notre diplomatie économique en Afrique a pour but d’impulser une nouvelle dynamique dans la relation économique qui unit la France et le continent. Nous travaillons collectivement pour soutenir les partenariats existants ou amorcés entre acteurs africains et français au plan économique et en favoriser de nouveaux orientés vers l’avenir.
On l’entend souvent, la coopération économique entre l’Afrique et la France doit être renouvelée. Pourtant, le pays dispose de solides implantations sur le continent, avec 1100 groupes et 2109 filiales, et le troisième stock d’investissements le plus important après le Royaume-Uni et les États-Unis. Comment Paris peut mieux faire pour renforcer sa place d’acteur économique clé en Afrique ?
Le continent africain change rapidement. Avec l’ensemble des acteurs concernés, publics et privés, nous devons comprendre l’évolution des attentes, des projets, des défis de nos partenaires africains, y répondre par un dialogue et des échanges avec eux et définir des projets d’intérêt commun par exemple dans des secteurs clés comme l’agriculture, la santé, l’énergie, le numérique. Nous devons ensemble rechercher des solutions, impliquant nos Etats et aussi les secteurs privés africain, français et européen et répondant aux défis tels que le changement climatique, les grands projets ou la relance post COVID19.
Nous souhaitons aussi soutenir l’entreprenariat et les initiatives des hommes et des femmes qui souhaitent développer leurs entreprises y compris dans les segments les plus risqués et ascendants. Je voudrais, à cet égard, mentionner le programme ChooseAfrica qui est une initiative issue du discours du Président de la République à Ouagadougou, officiellement lancée au printemps 2019 au Kenya et au Sénégal. Mis en œuvre par le Groupe Agence Française de Développement, ce programme porte sur le soutien à l’entreprenariat et au secteur privé africain.
Avec ChooseAfrica-et son volet numérique, Digital Africa qui est un programme de soutien aux entrepreneurs numériques africains orienté en vue de concevoir et de déployer à grande échelle des innovations de rupture au service de l’économie réelle-, la France a consacré plus de 2 milliards d’euros de financement engagés au service des PME, TPE et start-ups africaines. D’ici à 2022, l’ambition est de soutenir plus de 10 000 entreprises africaines. Au plus fort de la crise économique, la France est ainsi aux côtés du secteur privé africain, facteur de résilience essentiel.
La nouvelle grammaire diplomatique française vis-à-vis de l’Afrique est un continuum de la refondation du multilatéralisme voulu par le Président Macron. Comment la France peut-elle utiliser la crise sanitaire pour impulser un renforcement de l’axe Euro-Africain?
L’Afrique est confrontée à la pandémie due au Covid-19. En plus de la crise sanitaire, l’impact économique de la pandémie y est sans précédent. Il y a eu, dès le 15 avril 2020, à l’initiative du Président de la République, un appel de 18 chefs d’Etat et de gouvernement africains et européens qui ont uni leurs efforts pour mobiliser la communauté internationale afin de porter assistance aux pays africains confrontés à cette pandémie.
L’Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) du G20 a permis un moratoire sur le service de la dette due par les pays les plus fragiles, notamment africains. L’Union européenne a également apporté des aides d’urgence d’ampleur.
Les pays africains font face aux défis du sous-financement et du surendettement de leurs économies. Pour identifier collectivement des solutions nouvelles et pérennes de financement répondant à ces défis, le Président de la République a proposé l’organisation en mai 2021 à Paris d’un Sommet sur le financement des économies africaines. Ce Sommet aura aussi pour objectif d’augmenter les flux de financement privé et les investissements vers l’Afrique ainsi que de soutenir le secteur privé africain, moteur de la croissance du continent, et les partenariats entre acteurs économiques africains et non-africains.
Comme le Président de la République l’a souligné, dans son interview du 16 novembre dernier avec Le Grand Continent, « la conversion des regards avec l’Afrique et la réinvention de l’axe afro-européen » sont « un grand projet pour l’Europe ». L’Union Européenne et ses Etats-Membres sont le 1er pourvoyeur d’aide publique au développement en Afrique ainsi que le 1er investisseur. Dans le contexte post-Covid2019, nous devons identifier les voies et moyens de renforcer notre coopération dans des domaines comme l’agriculture, l’entreprenariat, l’éducation, le numérique et trouver ensemble des opportunités de développement conjoint et de partenariats.
Quelle est la place de la diaspora dans la nouvelle matrice de diplomatie économique française, vis-à-vis de l’Afrique ?
Les diasporas africaines qui vivent en France contribuent à ce dialogue, à ces échanges entre la France et l’Afrique. Les entrepreneurs et entrepreneuses des diasporas développent des projets à cheval entre l’Afrique et la France qui peuvent favoriser l’entreprenariat en Afrique et en France et créer des synergies très positives entre acteurs africains et français du secteur privé.
La France soutient des actions spécifiques en faveur de la création d’entreprises et de l’investissement productif des diasporas afin de générer des emplois, favoriser la croissance et valoriser l’expérience et le savoir-faire acquis en France par les diasporas. Il existe ainsi plusieurs programmes comme le programme de Mobilisation européenne pour l’entreprenariat en Afrique – MEET Africa – adopté en 2015, financé par l’Union européenne et la France, qui soutient des entrepreneurs de la diaspora africaine diplômés de l’enseignement français ou allemand, au travers de la création, dans leur pays d’origine, d’entreprises à fort caractère technologique ou porteuses de solutions innovantes. MEET Africa 2 a été lancé en 2019 et accompagne 1000 entrepreneurs de la diaspora, accueillis et orientés à raison de 50 à 60 entrepreneurs annuellement au sein de 6 à 8 acteurs d’appui.
ChooseAfrica, que j’ai mentionné plus haut, offre des outils et des possibilités de financement au plus près du terrain en Afrique qui peuvent bénéficier aux entrepreneurs/euses des diasporas. Enfin, le Nouveau Sommet Afrique-France qui se tiendra en juillet 2021 à Montpellier fera une large place, dans ses différentes séquences (sport, entreprenariat, culture notamment) aux diasporas africaines.