Le président du Nigéria, Muhammadu Buhari, estime qu’il n’y pas de raison que le quartier général de l’Africom soit maintenu en Allemagne, alors que l’Ouest et le Centre du continent, le golfe de Guinée, la région du lac Tchad et le Sahel font face à des défis sécuritaires inédits.
Il est temps que le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) ait son siège sur le continent. C’est la conviction de Muhammadu Buhari, qui l’a exprimée mardi 27 avril lors d’une rencontre virtuelle avec le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken. « J’ai demandé aux États-Unis d’envisager de relocaliser le siège de l’Africom de l’Allemagne vers l’Afrique – près du théâtre d’opération ; dans un contexte de défis sécuritaires croissants en Afrique de l’Ouest et centrale, dans le golfe de Guinée, dans la région du lac Tchad et au Sahel », a tweeté le président du Nigéria.
13 ans que la « transition allemande » dure !
Depuis sa création en 2007 et sa mise en service en juillet 2008, l’Africom -entité qui coordonne toutes les activités militaires des Etats-Unis sur le continent africain à l’exception de l’Egypte- a son quartier général à Stuttgart. A plusieurs reprises, la pertinence d’une telle orientation a été questionnée. D’autant qu’au lancement des activités du Commandement, cette localisation jugée « transitoire » ne devait durer qu’une année. Mais depuis lors, 13 longues années sont passées.
Au démarrage de l’Africom, les autorités américaines avaient engagé des discussions avec certains pays africains pour abriter le siège de l’Africom, mais faisaient face à certaines réticences. Et suite à la polémique que soulevait le siège allemand pour des affaires sécuritaires africaines des Etats-Unis, le général William Ward, alors chef de l’Africom en janvier 2010 coupait court : « On me demande souvent si mon quartier général va déménager de l’Allemagne vers l’Afrique. Et la réponse est qu’on n’a pas l’intention de le faire. Et à l’avenir, autant que je puisse le dire, nous allons rester où nous sommes, à Stuttgart. Pour l’instant, cela fonctionne. Les personnes qui participent à nos programmes et à nos exercices vont continuer à se rendre régulièrement sur le continent africain, comme je le fais », expliquait-il.
Sous l’administration Trump, la relocalisation de l’Africom est fortement revenue au goût du jour, face aux ambitions d’influence des Etats-Unis et la montée en puissance de la Chine avec notamment l’installation de sa première base militaire sur le continent africain dans le très stratégique Port de Doraleh à Djibouti. Ceux qui étaient pour le déménagement de l’Africom sur le continent mettaient en avant la nécessité d’y renforcer la présence sécuritaire américaine. Ceux qui étaient contre en revanche faisaient valoir le coût de l’opération pour le déménagement des 1 500 employés de l’entité, ainsi que la double polémique que risquerait d’engendrer le choix d’un pays plutôt qu’un autre.
Les derniers plans ne ciblent toujours pas l’Afrique
Le 31 juillet 2020 et ce malgré le débat interne, le général Stephen Townsend, patron de l’Africom, annonce les plans de relocation du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique. Mais, le continent n’est toujours pas ciblé.
« En réponse à la directive du président [Trump, NDLR], des efforts sont en cours pour développer des plans et des options pour relocaliser l’Africom hors d’Allemagne. Le Commandement examinera d’abord les options ailleurs en Europe, mais aussi aux États-Unis », indiquait-il dans un communiqué.
La relocalisation de l’Africom est donc un sujet très actuel sur lequel l’administration Biden a désormais la possibilité de donner des orientations. Dans son appel, le président Buhari a insisté sur le fait qu’il est nécessaire pour les forces américaines d’être au plus près des foyers de tension.
Et si le Nigéria devenait le QG de l’Africom ?
Dans le Golfe de Guinée, la situation reste de plus en plus préoccupante. Devenue la zone maritime la plus dangereuse de la planète, le Golfe de Guinée a enregistré à lui seul 95% des enlèvements de membres d’équipage perpétrés dans le monde en 2020. En mars dernier, le Danemark s’est positionné avec l’envoie d’une frégate, appelant cependant à une mobilisation internationale pour combattre l’insécurité dans cette zone hautement stratégique pour le commerce international notamment.
Dans le Sahel, les inquiétudes sont exacerbées par la disparition d’Idriss Déby Itno du Tchad où toute insécurité serait dangereuse pour toute la région déjà fragilisée par divers foyers de tension.
Les gouvernements africains ont-ils des chances de convaincre Joe Biden et son administration de ramener enfin le QG de l’Africom en Afrique ? Rappelons que lors de sa sortie médiatique en 2010 signifiant que Washington n’avait pas l’intention d’installer l’Africom sur le continent africain, le général William Ward ajoutait :
« Nous n’allons que là où nous sommes invités. Nous ne nous imposons nulle part. »
Si ce n’est qu’une question d’invitation, l’appel du président Buhari peut bien cacher la volonté du Nigeria -très engagé sur les questions sécuritaires au plan régional- d’être le pays hôte du nouveau quartier général de l’Africom. D’autant que depuis le décès de Déby, plusieurs analystes identifient le chef d’Etat nigérian comme le prochain allié principal des forces internationales, notamment françaises, au Sahel.
Par Ristel Tchounand