Financement du PND 2021-2025 : ce que nous attendons du gouvernement ivoirien »

Le Vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique de l’Ouest et du Centre, Ousmane Diagana, a effectué du 15 au 18 juin 2022 une visite de haut niveau en Côte d’Ivoire. Une visite marquée par des rencontres avec le Président de la République, le Vice- Président, le Premier ministre et des membres du gouvernement ivoirien.

cet entretien exclusif qu’il nous a accordé en marge de cette visite, M. Diagana a répondu à plusieurs questions sur le financement du PND (plan national de développement) 20221-2025, les perspectives économiques face à la crise mondiale aussi bien pour la Cote d’Ivoire que les pays africains, etc. Interview.

Pour un objectif de plus de 9335 milliards FCFA attendus, le Gouvernement ivoirien a pu obtenir un engagement de 15442 milliards FCFA pour le financement de son PND 2021-2025. Quel est votre regard sur cette mobilisation des bailleurs de fonds et du secteur privé ?

Cela traduit toute la confiance de la communauté internationale dans son ensemble sur la pertinence du PND (Ndr : Plan national de développement de la Côte d’Ivoire). Mais cela démontre également que le gouvernement ivoirien est ambitieux, parce qu’il a proposé des programmes de développement que ses partenaires se sont engagés à soutenir. En ce qui concerne la Banque Mondiale, c’est 8,7 milliards de dollars, en tant que groupe qu’on va mobiliser. On a des annonces. Maintenant il faut veiller à ce que des projets conséquents puissent être proposés. Nous nous y attelons dans le cadre de notre stratégie de partenariat qui est en cours de préparation et qui, j’espère, sera présentée à notre Conseil d’administration dans les six mois à venir.

Avec les 8,7 milliards de dollars, la Banque mondiale se positionne comme le plus gros pourvoyeur de ce financement. Quel est le secteur qui vous intéresse véritablement ?

 

Nous ne nous positionnons pas seulement, nous confirmons notre place de leader en ce qui concerne l’accompagnement de la Côte d’Ivoire pour son développement, parce qu’au fil des années, grâce à des reformes importantes, la Côte d’Ivoire a fait des progrès sur le plan d’abord de la stabilité macroéconomique.

Deuxièmement, au fil des années, la Côte d’Ivoire a démontré à la face du monde qu’on peut émerger d’une situation de crise politique sociale très forte et arriver vers une stabilité et par conséquent créer les conditions pour une forte prospérité qui doit être mieux partagée. Il faut donc consolider les acquis à ce niveau-là afin que la Côte d’Ivoire puisse aller encore plus loin mais également présenter cela comme un très bon exemple pour beaucoup de pays qui sont en situation de crise.

 

Les programmes que nous allons financer seront avant tout proposés par la Côte d’Ivoire c’est-à-dire ceux de la Côte d’Ivoire. Nous allons les préparer, discuter avec les Ivoiriens : les populations, le gouvernement, le secteur privé, cela va être extrêmement important, mais il faut que ce soit des programmes qui renforcent, consolident les acquis en matière de stabilité économique et sociale. Il faut que ce soit des programmes qui permettent à la Côte d’ivoire d’atténuer les conséquences des chocs divers et exogènes qu’elle subit (chocs liés à la pandémie, à la crise climatique, l’impact de la guerre en Ukraine). Il faut des programmes de protection sociale, de soutien aux populations les plus vulnérables pour qu’elles ne soient pas dans une situation de précarité sur le plan alimentaire, sur le plan social mais également il faut des financements qui participent à la transformation structurelle de l’économie ivoirienne et qui permettent à la Côte d’Ivoire d’être un pays qui avance. Il faut financer les infrastructures, il faut que l’économie numérique, que le digital soient disponibles pour tout le monde, parce que sans cela, il y a des coûts de service qui peuvent être difficiles à supporter. Il faudrait que les potentiels énormes dont la Côte d’ivoire dispose dans le secteur de l’eau puissent être transformés pour que l’accès à l’eau potable soit universel en Côte d’Ivoire. Il en a les moyens. Ces indicateurs montrent qu’il est en progression.

 

Ces 8 milliards, c’est pour les 4 prochaines années, mais en attendant, la Banque mondiale s’intéresse à certains secteurs stratégiques notamment l’énergie et surtout l’accès à l’électricité pour tous qui fait partie de ses priorités. Aujourd’hui, après les soutiens apportés au pays, quelle est la situation en Côte d’Ivoire?

 

 

En dehors des 8,7 milliards, il est vrai de noter qu’on a apporté un coût de 4,2 milliards, c’est extrêmement important, et il couvre presque tous les secteurs y compris l’énergie. L’énergie nous  y travaillons avec la Côte d’Ivoire pour arriver à mettre en œuvre de manière concrète l’agenda de l’électricité pour tous que le gouvernement a défini. Je crois qu’il y a dans les zones urbaines, un progrès incroyable qui a été fait. Il existe dans les zones rurales, et dans certaines villes un peu plus éloignées qu’on appelle des villes secondaires, des poches où le taux d’électricité est encore faible. Donc ce sont ces dernières mailles qu’il faut parcourir à travers des financements plus importants et avec un mécanisme ciblé pour que les populations les plus vulnérables puissent avoir accès à des branchements qu’il faut, à des coûts abordables. Au moment où nous parlons, nous avons un projet de 250 millions de dollars qui est en cours de préparation et qui aidera le gouvernement à réussir ce pari.

L’autre enjeu, c’est l’utilisation de l’énergie renouvelable. Il faudrait ce mix en faisant en sorte que la Côte d’ivoire arrive à avoir dans la fourniture de l’électricité à ses populations au moins 40% sinon peut être plus. Il y a une fois de plus des possibilités que ce soit dans le domaine du solaire, nous y travaillons.

 

Au niveau des crises à court terme, notamment la hausse des prix des denrées alimentaires née de la crise en Ukraine, que fait la Banque mondiale en soutien aux pays africains et en particulier à la Côte d’Ivoire ?

 

Notre Président a lancé une initiative récente, quelques semaines après la crise, de mobilisation d’à peu près 45 milliards de dollars pour aider les pays du monde entier à faire face rapidement à la crise, en plus de ce que nous faisons habituellement. La Côte d’Ivoire va en bénéficier, à l’instar des autres pays africains.

 

Nous allons aider la Côte d’ivoire par plusieurs moyens. Le premier c’est le programme de filets sociaux pour que les populations les plus vulnérables puissent avoir des revenus monétaires qui leur permettent d’avoir accès à des denrées alimentaires. La Côte d’Ivoire vient de présenter un projet au conseil d’administration qui a été signé il y a juste une semaine, sur les filets sociaux que nous finançons. Je crois que c’est un programme de 200 millions de dollars ; et celui-là il est déjà disponible et sera ouvert et utilisé dans le cadre de ce projet, tous les mécanismes qui permettent aux populations les plus vulnérables d’avoir des revenus moyens tels qu’il faut pour l’approvisionnement en denrées alimentaires.

 

Le deuxième, c’est ce que nous avons avec les mesures diverses que le gouvernement a prises (mesures de subventions et autres ). Il y a un coût du budget de l’Etat et il faut trouver un moyen de compenser ces coûts en augmentant nos appuis budgétaires pour la Côte d’Ivoire. Nous sommes en train de travailler là-dessus pour que des ressources additionnelles fraiches puissent être mises à la disposition de la Côte d’ivoire très rapidement.

 

Le secteur de l’agriculture en Côte d’Ivoire dispose de ressorts et d’expérience. Et les agriculteurs ivoiriens disposent d’une expertise et d’un savoir-faire qui fait que s’ils continuent à disposer des moyens qu’il faut, certainement, la Côte d’Ivoire peut augmenter de manière encore plus forte sa production agricole. C’est là que je nous interpelle tous, y compris la Banque mondiale, de faire en sorte que cette crise soit une opportunité de transformation structurelle très forte de l’agriculture afin que, face à d’autres crise, les autres pays puissent disposer de la production ivoirienne et que l’Afrique puisse s’autosuffire sur le plan alimentaire.

 

M. le vice-président, comment se présente la situation économique en Afrique de l’Ouest où plusieurs pays sont en proie aux attaques djihadistes et à l’instabilité politique ? Quelle est la situation en termes de chiffres ?

 

Il ne faut pas se le cacher, la situation est difficile. Il faut le reconnaitre, il y avait eu des améliorations importantes avant la Covid19. L’Afrique, en particulier l’Afrique occidentale et centrale, avait connu des décennies de croissance économique qui se sont traduites par une réduction importante de la pauvreté. Mais depuis la Covid, malheureusement à cause de la récession qui en a résultée, le niveau de pauvre avait commencé à augmenter. Vous savez, la covid seulement ,c’est plus de 15 millions de pauvres supplémentaires qu’on a eus à enregistrer. Et aujourd’hui avec la situation en Ukraine, le nombre de pauvre est passé entre 30 et 40 millions.

 

C’est énorme et c’est la raison pour laquelle il faudrait que les pays continuent sur la voie des investissements importants dans des secteur importants, dans des secteurs qui permettent aux jeunes en particulier de trouver du travail. Il faut que le renforcement de capital humain soit inclusif pour que les femmes et les filles puissent avoir leur autonomie économique renforcée. Et il faudrait, bien sûr, saisir l’occasion à investir davantage sur le digital, sur l’énergie, sur la sécurité, sur l’eau, pour que les secteurs comme l’agriculture et le développement des infrastructures, accroissent la production économique mais également facilite la distribution ou les échanges entre les zones de production et les zones de consommation, aussi bien sur le plan interne, c’est – à-dire à l’intérieur d’un pays donné qu’avec les autres pays.

 

Avec le contexte difficile décrit tout à l’heure, comment la Côte d’Ivoire peut -elle préserver durablement sa croissance ?

 

Il faut maintenir le cap et poursuivre déjà sur la voie que la Côte d’Ivoire s’est tracée et qu’elle est en train de conduire déjà bien. Une attention particulière à la stabilité macroéconomique. C’est extrêmement important. Ce ne sont pas des vains mots. La stabilité macroéconomique, c’est la bonne gestion des ressources et l’utilisation de ces ressources de manière efficiente en s’assurant qu’on ne vit pas au-delà de ses moyens, qui permet véritablement d’aider un pays à avancer. Donc la Côte d’ivoire le fait bien…

 

Quand on parle de bonne gestion, il faut évidemment une bonne gestion de ses ressources, sur les fondamentaux pour un développement durable. D’abord le capital humain, rien ne peut se faire de durable sans le renforcement du capital humain à travers des programmes d’éducation et de santé de qualité et la transformation structurelle de l’économie qui doit aussi se fonder sur ce qu’un pays a comme avantage comparatif. La Côte d’ivoire en a dans plusieurs domaines. Nous avons déjà parlé de l’agriculture, mais il y a aussi l’énergie. La Côte d’Ivoire approvisionne d’autres pays de la sous-région. Il faut une bonne gestion de cela, pour que justement, le coût de l’énergie ne soit pas rédhibitoire pour l’économie. Pour que la disponibilité de l’énergie soit constante et qu’elle continue d’investir aussi pour qu’il y ait des générations et d’autres sources d’énergies pour que la Côte d’Ivoire continue d’être un hub pour la région.

 

Sur le plan des infrastructures, le pays en a fait beaucoup, évidement il y a beaucoup de choses qui restent à faire parce que la population aussi croit et il y a toujours besoin de répondre à certaines de ses populations. Ce qui demande un investissement continu. Et bien entendu, il faut des réformes pour permettre au secteur privé de jouer un rôle complémentaire à celui de l’Etat parce qu’il n’est pas du rôle de l’Etat de faire tout. L’Etat a des fonctions régaliennes à assumer. L’Etat a une responsabilité de faire du climat d’investissement un climat favorable pour que les investissements privés et soutenus puissent arriver, et c’est cela qui sera des sources de création d’emplois durables et décents.

 

L’économie mondiale va mal, mais celle des pays du continent est encore plus difficile. Quelles pourraient être les perspectives pour l’Afrique, en l’état actuel ?

 

Je commencerais par dire que l’Afrique a fait une preuve de résilience quand on a vu la Covid19 qui a frappé tous les pays du monde, qui a frappé, arrêté des sociétés pendant plusieurs années. Le premier continent qui est venu avec des taux de croissance importants, c’est l’Afrique. Ceci a été possible, certainement grâce à un peu de chance mais également une réponse urgente des différents États. Mais un autre élément à relever, c’est la démographie. L’Afrique a une population jeune, et la jeunesse c’est une richesse. Et cette richesse pour qu’elle se matérialise, il faut qu’elle soit supportée par un accompagnement important notamment dans l’éducation, dans la création des opportunités pour que les jeunes qui sont éduqués puissent également utiliser leur savoir.

Et je ne cesserai jamais de le répéter, l’Afrique c’est le continent qui dispose de matières premières extrêmement importantes dans beaucoup de domaines. Cependant, exporter des matières premières en l’état ne participe pas au développement d’un pays, il faut une transformation sur place pour que la valeur ajoutée soit créée. Et ceci ne peut pas se faire dans un monde d’aujourd’hui, j’insiste, j’ai beaucoup parlé de l’énergie, sans énergie. Sans profiter des nouvelles opportunités qu’offrent les nouvelles technologies de l’information.

 

L’Afrique a réussi à créer la ZLECAF (Ndr : la Zone de libre-échange continentale africaine), c’est aussi une chance à saisir pour que les Africains se contactent et commercent entre eux. C’est tout cela mis ensemble et beaucoup d’autres facteurs qui permettront à l’Afrique de continuer à être une terre de promesse et d’espoir et une réalité sur le plan de l’émancipation économique, qui se réalise et qui permet à l’Afrique d’avoir une place réelle dans le concert des nations.

 

La Banque mondiale va procéder ce mardi 21 juin 2022 à Abidjan à la présentation officielle de son rapport sur le développement dans le monde intitulé « des données au service d’une vie meilleure ». Quelles sont les grandes lignes de ce rapport ?

 

C’est un rapport produit par la Banque chaque année depuis des années, sur la base d’une thématique identifiée et que nos économistes travaillent de manière approfondie par des recherches, par des interviews, etc. On met l’accent sur les données, donc la statistique comme élément fondamental pour la définition de toute politique publique qui se veut pertinente et cohérente et en même temps sur la collecte des données pour pouvoir faire une appréciation, à postériori, de ce qui a été conduit comme politique, pour mieux renseigner les stratégies de développement.

 

Par Robert KRA

Challenges Radio

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