Gérardine Mahoro est CEO ACT05 , premier cabinet africain spécialisé dans les affaires africaines en Europe, basé à Paris, avec des représentations à Bruxelles et à Abidjan. Avant d’être à la tête de ACT05, elle a travaillé pour la BAD et PWC. Présente au sommet Afrique France de Montpellier, elle nous livre ses impressions.
Vous venez d’assister au sommet Afrique-France. Quelles conclusions tirez-Vous de ces retrouvailles franco- africaines ?
On ne peut pas vraiment parler de retrouvailles, la relation franco-africaine est une longue histoire continue et tumultueuse. Je retiens le format de cette rencontre qui était favorable à la discussion, et l’opportunité donnée aux entreprises africaines et françaises de se rencontrer. Les autres présidents devraient s’en inspirer. Cela dit, il est dommage que toute l’attention ait été mise sur cet échange entre les jeunes et le Président Macron puisque, les questions étaient habituelles et les réponses aussi. Les échanges sont restés sur l’aspect socio-politique, en survolant et en omettant les questions économiques alors que, j’en suis convaincu, le secteur privé est primordial pour la relation franco-africaine. J’ai eu à échanger avec beaucoup d’entreprises dans ce cadre tout au long de l’année et elles regrettent l’amalgame fait entre les relations étatiques et les relations entre citoyens et entreprises de France avec les entreprises et citoyens en Afrique. D’ailleurs, je les rejoins sur ce point. De plus en plus de chefs d’entreprises ont le sentiment de subir l’action gouvernementale et la politique française en Afrique. Autant j’ai trouvé intéressant le travail fait pendant l’année ici et là autour des entreprises et des PMEs, autant la plénière était presque contreproductive. L’ambition et la vision que nous portons à ACT05 est de montrer l’Afrique plus comme une opportunité que comme un risque, et nous accompagnons nos clients et partenaires dans ce sens. J’encourage donc l’organisation de ce genre d’événements.
D’aucuns se demandent de quelle légitimité jouit le président français pour rencontrer ces jeunes africains ? Était-ce normal de ne pas convier les chefs d’Etat africains ?
«Légitimité», «normalité» ce sont des mots qui m’inspirent la peur, le manque de créativité, l’immobilisme et le conformisme. N’importe qui, n’importe quel président ou leader peut organiser un tel événement et je les encourage à le faire. Le président Macron est le président de la France et fait son travail en essayant de faire preuve de créativité pour atteindre ses objectifs. Dont la relation de la France avec les pays africains. J’aimerais voir de plus en plus de présidents africains faire autant d’efforts pour défendre les intérêts de leurs pays. On peut imaginer X pays africain travailler activement sur sa relation avec l’Europe et avec la jeunesse Européenne leader de demain ; inviter les entreprises et la société civile à découvrir ce que ce pays X a à offrir, etc. Je donnerai volontiers un coup de main aux leaders qui iront dans ce sens. Tout le monde est légitime pour le faire. Il faut qu’on avance. Quand à la normalité, c’est décevant d’entendre ce mot dans ce contexte. En 2021 avec nos challenges, on a besoin de sortir des sentiers battus et de ne garder que ce qui marche. La normalité n’a rien à faire dans la recherche des solutions. Il faut remplacer le mot normalité par innovation et créativité.
Il a beaucoup été question de la montée du sentiment anti-français en Afrique. Est-ce un phénomène que vous percevez dans le monde des institutions et de la finance ?
Je ne dirais pas anti-français dans les affaires, mais il est vrai que l’on observe une perte de vitesse de la France ainsi que la baisse de son attractivité et de son influence. La France gagnerait à considérer en pratique, les pays africains comme partenaires en affaires. C’est ce que veut notre génération et celles qui viennent, et c’est ce sur quoi je travaille. Positionner l’Afrique comme un continent d’opportunités et y accompagner ceux qui veulent saisir cette opportunité. Quand on est dans cet état d’esprit, qui est celui du monde des affaires et de la jeunesse aujourd’hui, le passif de la France et la lenteur du changement dans son rapport aux africains, est décourageant et même repoussant. Ceux qui le peuvent font le choix de faire des affaires ailleurs. Le monde entier s’ouvre et s’intéresse à l’Afrique.
Est ce que du côté de la diaspora on peut parler d’un sentiment anti-Français ?
Le cas de la diaspora mériterait une interview entière. Je suis moi-même de la diaspora, je suis rwandaise, je passe mon temps entre l’Europe et l’Afrique, et je fais partie de celles et de ceux qui mettent la mission dans le business. Vous imaginez donc que je ne suis pas indifférente à ce qui se passe. Je suis comme beaucoup d’afropéens. Nos sentiments sont engagés et donc tout prend des proportions qui n’ont pas lieu quand on observe les relations d’autres pays avec nos pays d’origine. Mais quand c’est la France, j’ai plusieurs raisons de le prendre à cœur. D’abord le lourd passé, puis ma double appartenance, et enfin ma capacité à voir et à comprendre des choses que les personnes d’une seule culture ne vont pas percevoir ou comprendre. Nous, diaspora, sommes donc ultrasensibles et sommes une force qui est gaspillée pour le moment. Etre anti-français quand on est diaspora vivant en France, étant française et exigeant d’être considéré comme français à part entière comme tout autre français, c’est une erreur d’après moi. On ne peut pas être « anti » une partie de sa famille, et exiger d’elle qu’elle nous considère dans le même temps. Etre diaspora africaine en France, c’est comme regarder ses deux parents se déchirer, tout en ayant conscience que l’un y a plus de responsabilités que l’autre. Nous devons faire partie de la solution. En tout cas c’est mon choix personnel.
Par la rédaction avec CHARLES BILE