Annoncé lundi 11 janvier 2021, l’International Agroecological Movement for Africa (IAM Africa) s’est fixé d’ambitieux objectifs : sanctuariser la biodiversité africaine et faire de l’agro-écologie, la nouvelle arme contre les défis alimentaires et climatiques mais aussi sécuritaires. Retour sur une initiative à la croisée d’enjeux économiques et géopolitiques, qui fait souffler un vent nouveau sur la Grande Muraille Verte en terre sahélienne.
Lundi 11 janvier, la France organisait de concert avec la Banque mondiale et l’ONU, la 4ème édition du « One Planet Summit », autour de la biodiversité. Plusieurs dizaines de personnalités étaient attendues, telles que David Malpass, le président de la Banque mondiale, Angela Merkel, la chancelière allemande, Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies (ONU) mais aussi Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne ou Tedros Adhanom Ghebreyesus, le Directeur Général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Aires protégées, agro-écologie, mobilisation de financements pour la biodiversité, lutte contre la déforestation, protection des écosystèmes et des espèces, tels étaient les principaux thèmes retenus pour cette édition 2021 entièrement dématérialisée, en raison de la pandémie de Covid-19.
A travers ce rendez-vous de haut niveau, la France cherche à reprendre pied en matière de diplomatie climatique, d’autant que le départ annoncé d’un président climato-sceptique de la Maison Blanche devrait favoriser la reprise du dialogue avec l’Oncle Sam. Donald Trump avait fait le choix de sortir les Etats-Unis de l’Accord de Paris, une décision lourde de sens (ndr : ils sont, à eux-seuls, responsables de 15% de la pollution mondiale) qui a pris effet le 4 novembre 2020. A contrario, Joe Biden n’a pas caché ses intentions de placer l’action climatique au cœur de son mandat et son élection à la présidence enthousiasme les partenaires européens engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, car elle pourrait bien être suivie d’un retour prochain des Etats-Unis dans l’Accord de Paris, assorti d’un engagement d’une réduction de leurs émissions de gaz à effets de serre (GES) de 28% en 2005 à 26% d’ici 2025. Un petit pas pour les USA, un grand pas pour la biodiversité…
IAM Africa, des adhérents VIP au service de l’agro-écologie
Dans la matinée du 11 janvier, en marge du « One Planet Summit », l’initiative eurafricaine « IAM Africa » pour la préservation de la biodiversité et le renforcement de l’agro-écologie, a été annoncée lors du forum consacré au financement de la Grande muraille verte (GMV), en présence du président Macron, de Mohamed Ould Ghazouani, le président de Mauritanie et du Prince de Galles (ndr : engagé dans un plaidoyer pour le retour à un certain équilibre entre le capital naturel et le capital financier, via la Sustainable Markets Initiative).
IAM Africa réunit plus d’une centaine d’acteurs publics et privés, africains et européens comme les groupes Advens, InVivo, Orange et Bolloré, le CIRAD, les fonds d’investissement Mirova et Moringa, Bureau Veritas, Medef International, le Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN), EBCAM et des patronats du Sénégal, du Togo, du Niger, du Mali, du Burkina Faso… Un comité d’éthique en charge de sélectionner les projets d’IAM Africa sera présenté en juillet, lors du Sommet Afrique-France à Montpellier, où l’agro-écologie devrait occuper une place de choix. A date, l’association dispose de 3 niveaux de portage : le secteur privé représenté par Karim Ait Talb (Groupe Advens Geocoton) et co-fondateur de l’initiative, le secteur institutionnel avec Wilfrid Lauriano Do Rego, Président du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) ainsi qu’un 3ème niveau multilatéral qui pourrait prendre les traits de Gilbert Houngbo, le président du Fonds international de développement agricole (FIDA), de source bien informée.
Les membres d’IAM Africa sont signataires d’une charte listant des engagements éthiques, et adhèrent au portage d’Ibrahima Thiaw, le Secrétaire Exécutif des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Cette initiative rejoint le projet de « Grande Muraille Verte », -lancée en 2007 par l’Union Africaine (UA) pour verdir la bande sahélienne à travers 11 pays sur 7.800km du Sénégal à Djibouti-, et dont les résultats peinent à se dessiner. L’initiative IAM Africa entend bien redynamiser cette ambition, en mobilisant les fonds nécessaires aux projets qui viendront demain, sur une base agro-écologique, relever les défis alimentaires, climatiques mais aussi sécuritaires dans le Sahel.
Un objectif de 10 Milliards pour financer la Grande Muraille Verte
Akinwumi Adesina, le président de la Banque Africaine de Développement (BAD), Qu Dongyu, le Directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Yannick Glemarec, le Directeur exécutif du secrétariat du Fonds vert, Rémy Rioux, le Directeur général de l’Agence Française de développement (AFD) ou encore Gilbert Houngbo, le président du Fonds international de développement agricole (FIDA), avaient répondu à l’invitation de l’Elysée pour participer à ce forum dédié à la finance verte pour mobiliser 10Mds d’euros sur la période 2021-2025 en direction de la Grande muraille verte. Selon un premier rapport d’évaluation de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, révélé le 7 septembre 2020, seulement 4 millions hectares sur les 100 millions d’hectares escomptés d’ici 2030, ont été aménagés (ndr : soit 4% à peine de la superficie globale). Entre manques de moyens et faiblesse des portages -en particulier politiques-, les mécanismes de ce projet titanesque se sont peu à peu enrayés.
« Il y a des éléments très positifs » tempère Philippe Zouati, le CEO du fonds Mirova. « De plus en plus de projets sont viables économiquement, les entrepreneurs créent de nouveaux modèles (…) la bataille culturelle est en train d’être gagnée » ajoute t-il, alors que la « bataille financière » ne fait que commencer…
Les différents projets de la Grande muraille verte n’ont en effet, rassemblé que 870M USD de financements étrangers selon l’ONU, entre 2000-2020 (ndr : les pays africains rapportent avoir mobilisé 53M USD). Le forum du 11 janvier a toutefois permis d’accélérer le nombre d’engagements. La BAD a promis 6,5Mds USD sur les 5 prochaines années pour financer la grande muraille verte, la Banque européenne d’investissement (BEI) s’est engagée sur un montant d’un milliard d’euros et l’AFD mobilisera 600M€ supplémentaires.
Mohamed Ould Ghazouani, le président de Mauritanie, actuellement chef de file africain de la lutte contre la désertification pour l’ONU, s’est réjoui de cette initiative qui relance le projet de grande muraille verte, évoquant au passage, l’épineuse question des conditions d’annulation de la dette (ndr : un sujet qui sera au programme du Sommet consacré au financement des économies africaines, en mai prochain). De son côté, le président Macron a rappelé le manque de financements de la GMV sur les 15 dernières années, estimant toutefois que le projet était désormais remis « sur les rails ».
L’agro-écologie au service du maintien de la paix au Sahel
« Le monde ferait une erreur fatale en laissant se développer l’insécurité dans le Sahel » prévient Moussa Faki Mahamat, le Président de la Commission de l’Union africaine, qui se réjouit de l’organisation prochaine d’« un Forum de haut niveau pour évaluer le suivi du lancement de la Grande Muraille Verte ». Agro-écologie et sécurité représente les deux côtés d’une même médaille pour nombre d’observateurs internationaux qui considèrent que ce secteur « est un levier qui n’a pas suffisamment été utilisé pour stabiliser le Sahel », à l’instar de Hamza Hraoui du cabinet d’affaires publiques MGH Partners, à la manœuvre dans la structuration du projet IAM Africa.
Avec 60% des terres arables mondiales disponibles, le champ des possibilités agro-écologiques est considérable en Afrique, mais les défis sont à la mesure des opportunités. L’agriculture concentre 60% des emplois mais ne représente qu’un quart du PIB africain, faute de productivité. Par ailleurs, la hausse sans discontinu des importations alimentaires et la flambée des prix des matières premières, pèsent lourdement sur les finances publiques et menacent l’équilibre budgétaire des économies africaines les plus fragiles. Selon les Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO, le déficit commercial lié aux principaux produits alimentaires tels que les céréales, la viande, les huiles ou le sucre, devrait passer de 18Mds USD en 2020 à 31Mds USD en 2029. Parallèlement, la pandémie de Covid-19 a fait craindre de dramatiques ruptures d’approvisionnement alimentaires. C’est dans ce contexte de double crise sanitaire et alimentaire, sur fond d’opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale africaine ZLECA (ndr : entrée en vigueur le 1er janvier 2021), que le renforcement des chaînes de valeur agricoles sur le continent, est revenu au premier plan des priorités géostratégiques.
« Là où l’on trouve des exploitations agricoles stables, là où il n’y a pas de conflit entre éleveurs et propriétaires terriens : il n’y a ni terrorisme, ni trafiquants d’armes qui prolifèrent. L’Agriculture est l’un des moyens pour sécuriser la bande sahélienne » avance Hamza Hraoui. Un point de vue qui est partagé par Karim Ait Talb, pour qui l’agro-écologie est synonyme de projets à impact et d’équilibre. Le porte-parole d’IAM Africa insiste sur l’importance de reconsidérer les questions liées à l’agropastoralisme et à l’agro-écologie en matière de stabilité régionale, au risque de se retrouver face à « des gens qui prennent la route pour rejoindre des bandes criminelles ou qui désertent les campagnes pour le mirage d’une vie meilleure dans les villes ou pire encore, qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie.»
Enfin, au-delà des enjeux purement sécuritaires, l’Afrique reste une terre d’opportunités. « L’Avenir du monde se joue en Afrique » peut-on d’ailleurs lire sur le site de Advens-Geocoton, dont la construction d’une usine de 15M€ à l’Est du Burkina Faso, devenue l’une des zones les plus sensibles du continent, témoigne de l’engagement du groupe, présent depuis plus de 70 ans dans le Sahel. « Les partenaires-producteurs du groupe, ont besoin d’être accompagnés (…) par ailleurs, il reste de nombreuse filière à structurer en dehors du coton comme la mangue, le karité, le sésame ou les oignons » ajoute pragmatique Karim Ait Talb.
Par Marie France Reveillard