Jacques-Jonathan Nyemb : « L’Afrique doit pouvoir tracer sa propre voie »

Jacques-Jonathan Nyemb a pris la tête du Conseil pour le Suivi des recommandations du nouveau sommet Afrique France (CSRN). Après avoir exercé au sein du cabinet d’avocats américain Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, rejoint le cabinet d’avocats familial au Cameroun, intégré le Conseil d’administration du Groupement Inter-patronal du Cameroun (GICAM) puis lancé le think tank The Okwelians « pour un nouveau pacte social au Cameroun », l’avocat d’affaires est à la manœuvre aux côtés des sociétés civiles, dans la redéfinition de la relation euro-africaine.

De quelle façon votre parcours vous a-t-il conduit à prendre la tête du Conseil de suivi des recommandations du nouveau sommet Afrique-France ?

Jacques-Jonathan Nyemb : De père avocat et philanthrope et de mère enseignante, j’ai étudié au Cameroun jusqu’à la classe de seconde. Après avoir obtenu mon baccalauréat en France, j’ai intégré l’Université d’Assas (Paris 2) puis la London School of Economics (LSE). Je suis devenu avocat d’affaires. J’ai commencé ma carrière au barreau de Paris avant de rejoindre le barreau du Cameroun en 2016, dans le cabinet familial à Douala, après un passage à l’université Harvard aux États-Unis. En 2008, j’ai lancé la Fondation Mackenzie en mémoire de ma grand-mère dont c’était le surnom. Orientée vers l’autonomisation des femmes et l’accompagnement des jeunes en milieu rural, cette initiative s’inscrit dans la droite ligne des valeurs et traditions familiales.

Parallèlement, je me suis engagé sur les questions relatives à l’entrepreneuriat des jeunes en Afrique et au climat des affaires à travers le collectif « Oser l’Afrique » et l’African Business Lawyers Club. Rentré au Cameroun, je me suis impliqué dans le groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) sur des questions de dialogue public-privé, de gouvernance d’entreprises ou encore de développement des PME.

En pleine pandémie, vous fondez le think et do tank The Okwelians. Quel en est l’objet ?

J’ai lancé The Okwelians, un think do tank dédié à la promotion de l’innovation sociale, en février 2020. « Okwelians » vient d’un verbe en douala qui signifie « apprendre » (« Okwele, ndlr). L’idée est de bâtir une communauté de leaders engagés pour la transformation du Cameroun. Notre communauté regroupe environ 450 personnes au Cameroun et dans la diaspora. Nous avons développé deux axes : un laboratoire d’idées qui publie des rapports, des notes et des tribunes et anime des groupes de travail (villes durables, « Made in Cameroun », diasporas). Parallèlement, nous déployons trois programmes de leadership à destination des jeunes professionnels, des étudiants et des lycéens, grâce à l’appui de nos partenaires : Groupe Castel, Groupe Azur, Fondation MAM, Institut français du Cameroun,…

Que recouvre le Conseil pour le suivi des recommandations du nouveau sommet Afrique France (CSRN) ?

Une délégation composée de 80 jeunes Camerounais était présente au Nouveau Sommet Afrique-France de Montpellier. Au retour, les discussions se sont poursuivies sur l’institutionnalisation de notre démarche pour assurer un suivi plus efficace. C’est ainsi qu’est né le CSRN en avril 2022, une plateforme de sensibilisation, de plaidoyer, de formation et d’expérimentation au service de la relation Cameroun-France d’une part et Afrique-Europe d’autre part. Le CSRN compte 12 membres, tous acteurs des sociétés civiles camerounaise et française (…).

Quel est l’agenda du Conseil pour le suivi des Recommandations du Nouveau Sommet Afrique France (CSRN) ?

Nous participerons très prochainement au lancement officiel de la Fondation pour l’Innovation de la Démocratie qui se tiendra à Johannesburg du 6 au 8 octobre 2022. En octobre, le CSRN sera à Paris et à Bruxelles à la rencontre des acteurs de la société civile française et européenne (…). À cette occasion, nous présenterons notre forum sur le thème de l’engagement qui rassemblera les acteurs de la société civile d’Afrique centrale et d’Europe à Yaoundé, du 1er au 3 décembre 2022. Enfin le 3è forum devrait se tenir en Algérie, début 2023.

Le déplacement récent du président Macron au Cameroun a permis à 24 acteurs des sociétés civiles camerounaise et française de travailler ensemble, pendant 48 heures sur différents thèmes comme la gouvernance locale, l’entrepreneuriat vert, ou encore la culture et les patrimoines… Un comité de suivi basé en France devrait bientôt voir le jour et son lancement pourrait intervenir à la rentrée prochaine. Nous espérons d’ailleurs qu’une telle initiative se multipliera dans de nouvelles géographies.

Précisément, vous étiez récemment à la manœuvre du déplacement présidentiel en Afrique, aux côtés des acteurs de la société civile. Quel bilan en tirez-vous ?

Le président français a réaffirmé son intention d’aller à la rencontre des sociétés civiles. Désormais, la gouvernance doit être partagée et la société civile y a toute sa place. Elle est un acteur de diplomatie et de coopération et doit être au cœur de la transformation de nos pays. Le déplacement du président Macron fut aussi l’occasion de rappeler que la coopération s’écrivait désormais sur la base de défis communs. Nous sommes sortis de l’époque de « donneur de leçons », « aide » ou « assistance » (…) Concrètement, ce déplacement a été l’occasion de l’annonce de la mise en place d’une commission conjointe pour entamer un devoir de mémoire autour de la période coloniale. Le président Macron s’est engagé à apporter son concours à cette initiative et à ouvrir la globalité des archives. Cette commission réunira notamment historiens et artistes français et camerounais. En matière de développement durable, une délégation conjointe de scientifiques français et camerounais sera mise en place pour préparer la COP27. Les acteurs de la coopération seront également mobilisés autour de la création d’un fonds d’amorçage pour les entrepreneurs verts des deux pays, afin de créer des communautés d’intérêt et de nouvelles synergies. Enfin, la société civile sera davantage partie prenante dans la redevabilité des différents projets de coopération au Cameroun, notamment à travers l’open data.

Quel regard portez-vous sur le renforcement du sentiment anti-français en Afrique ?

Ce sentiment anti-français est d’abord le résultat de frustrations et d’incompréhensions. La plupart des jeunes Camerounais avec lesquels le CSRN a échangé en prélude à la visite du président Macron plaçaient le devoir de mémoire au cœur de leurs préoccupations. Il faut régler cette question pour que la jeunesse puisse se projeter dans un avenir commun avec la France. Nous devons purger ce passé commun (…). Quant au poids de la présence militaire française en Afrique, la sécurité représente un défi commun. La question se pose de savoir si les décisions ont été prises sur la base d’un consensus au sein des pays concernés. En tout état de cause, la jeunesse africaine doit se garder de vouloir s’en remettre systématiquement à des acteurs extérieurs. L’Afrique doit pouvoir tracer sa propre voie. Nous ne sommes plus au temps du choix de l’alignement ou du non-alignement.

L’Afrique a pourtant montré un certain « non-alignement » sur la guerre en Ukraine…

Nous sommes entrés dans un monde multipolaire avec une redistribution des cartes géostratégiques qui crée des opportunités pour l’Afrique. Le monde tel qu’il est en train  de se redessiner, fait de l’Afrique, son centre de gravité. Comment pouvons-nous dès lors, construire une trajectoire non seulement pour nous, mais aussi pour le reste du monde ? Telle doit être notre priorité.

Qu’est-ce qui constitue le lien entre les Africains dans leur diversité et les membres des diasporas ?

Au-delà de la « couleur de peau », quel projet culturel, économique et politique avons-nous en commun ? Telle est la question. Je pense néanmoins que les diasporas africaines à travers le monde partagent un socle culturel commun qu’il faut pouvoir définir. La zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) peut d’ailleurs s’imposer comme un moteur pour véhiculer cette culture commune.

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