La Chine accélère le pas sur les routes de la soie africaines

En janvier, malgré la pandémie de Covid-19, la Chine annonçait une croissance de +2,3% pour l’Annus horribilis 2020. Suite à l’entrée en vigueur d’un premier accord de libre-échange sur le continent (ALE) conclu avec Maurice, la Chine a réaffirmé sa volonté de renforcer ses relations avec l’Afrique à l’occasion de la présentation de son 14e plan quinquennal, et avance sûrement sur les nouvelles routes de la soie.

Après le raz-de-marée sanitaire de 2020, la Chine compte sur une croissance de l’ordre de +6% en 2021. La présentation du 14e plan quinquennal a révélé un désir d’indépendance technologique de Pékin, ainsi qu’une volonté de renforcer la coopération à l’international. « L’arrivée du coronavirus a fait trembler la Chine qui a réussi, à travers sa puissance de frappe économique, technologique et industrielle, à se redresser », estime Baudouin Euloge Orou-Yerima, ancien ministre-conseiller et chef de mission économique et commerciale du Bénin en Chine et au Japon.

Du pangolin stigmatisé dans les allées du marché de Wuhan suite à la découverte du SARS-CoV-2 – qui avait fait plongé le PIB de la Chine à -6,8% au 1er trimestre 2020 – à la commercialisation du vaccin Sinopharm quelques mois plus tard, le pays retrouve aujourd’hui le chemin de la croissance.

L’année 2020 aura mis en exergue une certaine capacité de « résilience » de la Chine, mais également un soft power revigoré jusqu’en Afrique, sur fond de lutte contre le coronavirus. Jack Ma, fondateur d’Alibaba (leader du e-commerce chinois) en VRP de luxe au plus fort de la pandémie, avait fait acheminer des millions de masques et de matériel médical dans les 54 pays africains alors qu’Européens et Etats-uniens se disputaient les cargaisons de masques sur le tarmac des aéroports chinois. « La Chine et l’Afrique ont toujours partagé les bons comme les mauvais moments. Cette amitié est ressortie encore plus forte face au test qu’a représenté le COVID-19 en 2020 », déclarait Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, dans une interview accordée à l’agence de presse Xinhua et China Media Group, début janvier 2020, avant de s’embarquer dans un voyage officiel qui l’a conduit du Nigéria aux Seychelles, en passant par la République démocratique du Congo, le Botswana et la Tanzanie.

Maurice, le « pionnier » du libre-échange avec la Chine en Afrique

Dès le 1er janvier 2021, Pékin lançait le premier accord de libre-échange (ALE) avec un pays africain, après de longues négociations en coulisse (le Mauritius-China Free Trade Agreement (FTA) avait été signé en octobre 2019). L’accord sino-mauricien s’intéresse au commerce des marchandises, à l’investissement, aux services et à la coopération économique. Plusieurs dizaines d’entreprises chinoises sont déjà présentes à Maurice, à l’instar de la Bank of China, du groupe Yihai ou encore de Huawei. Jin Fei, La smart-city mauricienne reflète également le dynamisme de la relation sino-mauricienne. « La zone de commerce et de coopération économique de Mauritius Jin Fei est une nouvelle étape dans la consolidation de l’amitié entre l’île Maurice et la Chine », se félicitait Joe Lesjongard, ministre mauricien du Tourisme, fin 2019 en inaugurant un parc hôtel flambant neuf.

Maurice identifié comme un hub par Pékin devrait lui permettre d’augmenter le volume d’exportations (textiles et de fruits de mer notamment), tout en favorisant l’écoulement des productions made in China, au niveau régional. Quelque 7 504 produits, soit 93 % des volumes entre les 2 pays, verront leurs droits de douane supprimés – l’acier et le textile notamment – et 130 secteurs des services bénéficieront de cet accord, en particulier la santé, l’éducation et les transports. Par ailleurs, un contingent tarifaire de 50 000t de sucre sera instauré sur 8 ans, avec une quantité initiale de 15 000t.

Si l’île Maurice ne représente qu’un « nano-marché » pour Pékin, sa situation géostratégique entre l’Afrique et l’Asie et son système fiscal avantageux représentent des atouts de poids. En 2019, suite au scandale « Mauritius Leaks », l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) révélait que l’évasion et l’optimisation fiscales à Maurice, en coûteraient 50 milliards de dollars par an à l’Afrique. Enfin, Maurice constitue un partenaire stratégique face à l’Inde déjà très enracinée localement – et avec laquelle, elle se dispute les Agaléga, un archipel situé à 1 200km au large de Port-Louis -.

Intensification de la diplomatie sanitaire chinoise

« Les pays africains seront parmi les premiers à bénéficier d’un vaccin fabriqué en Chine » promettait Xi Jinping, le président chinois lors du sommet extraordinaire de juin 2020, consacré à la solidarité face au Covid-19, soulignant « la nécessité de bâtir conjointement une communauté de santé et de destin Chine-Afrique ». Profitant de cette conférence, il a annoncé que la Chine construirait de nouveaux hôpitaux et qu’elle bâtirait le siège du Centre africain de contrôle des maladies à Addis-Abeba. L’Empire du Milieu fournit à ce jour une aide pour le vaccin contre la Covid-19 à plus d’une vingtaine de pays africains.

Aux premières semaines de la pandémie, le CDC et l’Union africaine (UA) saluaient les efforts de Pékin, tout comme l’Ethiopien Tedros Ghebreyesus, à la tête de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui applaudissait « la réactivité chinoise », s’attirant quelques mois plus tard, les foudres de Donald Trump (ndlr : « L’OMS s’est vraiment plantée » twittait le président américain début avril 2020) qui finira par faire sortir les Etats-Unis de l’institution, sur fond de guerre commerciale sino-américaine.

Alors que les investissements considérables, mais pas toujours « climato-compatibles » de la Chine (selon les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies et de l’Accord de Paris), font grincer des dents de Paris à Washington, sa perception par les Africains reste néanmoins positive. « La pandémie a permis à la Chine d’affirmer sa grandeur au niveau géopolitique face à la désorganisation de certains acteurs, notamment occidentaux » considère Baudouin Euloge Orou-Yerima. Ils sont 59% des sondés par l’Afrobarometer en 2020, à considérer l’influence de Pékin comme positive.

Enfin, s’agissant des appétits commerciaux chinois, ils n’ont rien de politique, selon François Candelon, Directeur général et Senior Partner à Boston Consulting. « La Chine doit nourrir 1,4 milliard de personnes (…) Ils veulent s’assurer des ressources dont ils auront besoin pour atteindre leur objectif de représenter 30% de l’économie mondiale en 2030 et faire décoller le niveau de revenu moyen des Chinois » déclarait-il à l’occasion de l’Observatoire BCG de la nouvelle réalité, organisé le 12 mars dernier. Une position qui n’est pas entièrement partagée par B. E. Orou-Yerima qui estime que la stratégie affichée de non-ingérence chinoise dans les affaires externes, repose sur une logique globale de long terme. « Pour la Chine, ne pas s’ingérer dans les affaires internes signifie ne pas se fâcher. Le cas échéant, cette position serait de nature à faciliter un soutien des partenaires africains au sein des Nations-Unies », analyse t-il.

La bataille commerciale sino-américaine vue d’Afrique

Alors que l’Afrique continue de pâtir d’un manque d’investissements pour soutenir son développement, la Chine devrait encore renforcer son influence et maintenir ses efforts vers le continent, après la crise sanitaire. Le pays représentait « 3% des investissements étrangers en Afrique il y a 20 ans et dépassera 20% cette année » explique Patrick Dupoux, Directeur associé senior à BCG, qui souligne par ailleurs, l’originalité de sa logique d’investissement. « Les critères d’investissements européens ou américains reposent beaucoup sur le risque-pays alors que pour les Chinois, c’est presque l’inverse. Plus un pays est risqué, moins les acteurs seront nombreux et plus leurs opérations auront des chances d’aboutir », ajoute t-il.

« Le pays qui a disparu des parts de marché sur le continent, c’est les Etats-Unis qui représentaient entre 20% et 25% des investissements en Afrique il y a 15 ans et qui ne représentent plus que 15% aujourd’hui », rappelle-t-il enfin – des parts de marché en partie récupérées par Pékin-. Pourtant, l’image des Etats-Unis reste globalement positive sur le continent africain. Le baromètre Africaleads 2021 de l’Institut IMMAR révélait le 18 mars 2021, qu’ils représentaient le pays bénéficiant de la meilleure image auprès des leaders d’opinion africains l’année dernière (43%) (ndlr : tout comme l’année précédente), devant l’Allemagne (37%), le Canada (34%) et la Grande-Bretagne (28%), la Chine (22%) n’arrivant qu’en 5e position du classement…

Premier partenaire commercial de l’Afrique, la Chine a élaboré une stratégie précise pour étendre ses routes de la soie. « De nombreux pays africains ne profitent pas encore pleinement de cette amitié chinoise, faute de stratégie. Pourtant cela fait déjà plus de 40 ans qu’une élite africaine est formée en Chine », déplore Beaudouin Euloge Orou-Yerima qui conclue optimiste, que dans « cette confrontation géopolitique entre la Chine et les Etats-Unis, les Africains pourront tirer leur épingle du jeu ».

Par Marie France Réveillard

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