La Côte d’Ivoire ravit la vedette au Rwanda. Le nouveau rapport SIGI de l’OCDE désigne cette économie ouest-africaine comme étant la plus engagée d’Afrique dans la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes et des filles, tant au niveau social, politique qu’économique.
Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Euphrasie Kouassi Yao, Conseillère spéciale du Premier ministre chargée des questions de genre détaille les facteurs déterminants de cette distinction, évoque les ambitions du pays et sa disposition à partager son expérience.
LA TRIBUNE AFRIQUE – Comment la Côte d’Ivoire – qui détrône le Rwanda – accueille-t-elle son classement ?
EUPHASIE KOUASSI YAO – Je pense que la population ivoirienne, les autorités, le président de la République, tout le monde est content. Nous avons fait une émission radio qui couvre tout le territoire national et les retours étaient très positifs. Je suis satisfaite parce que la Côte d’Ivoire est vraiment fière d’être championne d’Afrique. L’année dernière, nous avons remporté la Coupe d’Afrique de Football, cette année nous remportons la Coupe de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes et des filles. En effet, la Côte d’Ivoire devance le Rwanda, un pays africain souvent apprécié pour ses avancées en termes d’égalité genre et qui était d’ailleurs leader sur le continent. De plus, les scores dévoilés par l’OCDE montrent que la Côte d’Ivoire figure même devant le Canada ou les Etats-Unis…
En 2011, le Président Alassane Ouattara disait que chaque fois que des femmes accèdent à des postes de responsabilité dans les entreprises, dans la fonction publique, dans le secteur privé, les analyses sont faites avec une plus grande conscience, elles sont mieux élaborées, les décisions deviennent faciles, les conflits s’apaisent et l’équilibre revient. Ce sont des mots qui nous ont considérablement boostés dans notre travail. Personnellement je suis dans le domaine depuis 35 ans et les résultats que nous obtenons actuellement m’encouragent davantage.
C’est un véritable bond en avant, puisque la Cote d’Ivoire est partie du 40ème rang mondial au 5e. Concrètement, quels sont les principaux éléments majeurs qui ont joué en faveur de cette accélération ivoirienne ?
Je dirais que c’est d’abord notre stratégie. En Côte d’Ivoire, avec la chaîne des décisions qui existe depuis 18 ans, nous avons créé une approche qui est propre à notre pays, à notre contexte. Cette approche – qui est transversale impliquant diverses sphères – permet de relever les inégalités entre les sexes et de les corriger, tant sur le plan social que politique et économique. Le volet lié à la masculinité positive est aussi très regardé et sur certains éléments, la Côte d’Ivoire se démarque au niveau continental. Concernant par exemple les mutilations génitales féminines, 34% des hommes en Afrique sont pour, contre seulement 18% en Côte d’Ivoire. Il y a encore du travail à faire, mais c’est positif. La transversalité a beaucoup aidé la Côte d’Ivoire.
Après la stratégie, le deuxième élément déterminant est la volonté politique. On peut être expert dans tous les domaines, mais si le cadre juridique, les réformes ne sont pas là pour dire : »attention, il faut criminaliser le viol », »il faut lutter contre », »il faut voter des lois pour aller contre »…, cela ne servirait à rien. Si je prends le cas du système foncier, notre culture africaine dira de manière générale que ce sont les hommes qui possèdent les terres, mais la loi en Côte d’Ivoire est claire à ce sujet : les hommes et les femmes ont les mêmes droits. En ce qui concerne la loi sur le mariage, l’âge minimum du mariage dans notre pays de18 ans pour les hommes et les femmes. En d’autres termes, il n’y a plus de mariage précoce en Côte d’Ivoire au regard de la loi. L’Etat protège les filles et les femmes et cela donne libre cours aux experts pour sensibiliser, conscientiser, pour finalement que les choses changent.
Cela fait 35 ans que je suis dans le domaine. Nous avons également le Compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire au sein duquel nous travaillons depuis 13 ans. Nous avons été le meilleur programme africain en termes de développement et nous répondons à neuf objectifs de développement sur dix-sept de l’OCDE. Nous disposons en outre du fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire, mis en place par la Première Dame et qui soutient les femmes, avec un financement conséquent. C’est toute une stratégie que nous avons mise en place.
La Côte d’Ivoire est-elle ouverte au partage d’expérience avec d’autres pays africains, afin que le continent dans son ensemble brille davantage de ce point de vue ?
Absolument ! D’ailleurs cela est déjà évoqué en interne. Je dis toujours que notre expérience peut largement être exportée, exactement comme nous l’avons fait pour le Compendium. Je suis allée en Guinée, le Cameroun nous a sollicités, la Mauritanie est en train de suivre, le Sénégal également. Nous pouvons partager cette expérience. L’Afrique doit aller dans le sens de la coopération Sud-Sud, ensuite nous pourrons faire Sud-Nord. J’étais d’ailleurs au Sénat français pour parler du Compendium et je n’ai reçu aucune question qui m’ait bloquée. C’est pour dire nous avons ce qu’il faut pour la coopération tant à l’échelle intracontinentale et qu’extracontinentale. D’autant plus que nous travaillons avec les partenaires au développement tels que la Banque africaine de développement (BAD) et nous avons nous-mêmes des experts que nous avons nous-mêmes formés au niveau national. Ils sont aujourd’hui au nombre de 400 experts dont 20% d’hommes.
La Côte d’Ivoire a été choisie comme pays pilote par l’OCDE pour mener une étude sur la masculinité positive. Il y a déjà eu des rencontres dans ce sens-là. Concrètement, sur le terrain, en quoi consiste cette étude ?
J’aimerais rappeler que par masculinité positive, nous entendons le fait d’être pleinement homme, mais avec un regard différent sur les relations hommes-femmes, un regard exempt de toute restriction pour les femmes.
Lorsque nous avions fait l’étude qui a permis d’aboutir au rapport Institutions sociales et égalité femmes-hommes en Côte d’Ivoire, nous avions déjà constaté que les hommes, quelques fois, avaient des attitudes négatives vis-à-vis du combat que nous menons. A titre d’exemple, je disais précédemment que 18% des hommes ivoiriens estiment que les mutilations génitales féminines devraient continuer. Selon le même rapport, près de la moitié de la population estime que les enfants souffrent lorsque leur mère travaille pour un salaire. De telles données poussent à s’interroger. Etant donné que la Côte d’Ivoire s’est montrée bon élève en bien des aspects, l’OCDE a voulu être sur le terrain, afin de nous aider à nous mettre en ligne avec les normes en la matière.
Vous êtes aujourd’hui classés championne d’Afrique, mais certainement, vous ne comptez pas vous arrêter là. Quels sont les objectifs, les ambitions que la Côte d’Ivoire poursuit sur ces questions du genre ?
Le Premier ministre [Robert Beugré Mambé, Ndlr] a été très clair là-dessus. La machine que nous avons mise en marche ne doit plus s’arrêter. Il a notamment insisté sur la participation des femmes aux postes de décision où nos chiffres ne sont pas satisfaisants. Nous allons travailler à inverser cette tendance dans le cadre du Compendium, en formant les femmes à vouloir elle-même se lever et être ambitieuse en matière de leadership. L’État aussi doit prendre ses responsabilités pour nommer encore plus de femmes. C’est ainsi que nous continuerons à grandir dans ce score qui plaît à tous.
Il y a aussi la question des violences basées sur le genre qui constituent une atteinte à l’intégrité physique. il faut que les gens se forment à l’outil genre et développement pour en connaitre les causes profondes, afin de savoir quels outils appliquer pour changer la donne.