La stratégie commerciale de la France en Afrique est en pleine mutation. Fini la relation surannée qui liait l’hexagone aux plus hautes autorités publiques des anciennes colonies, l’heure est à l’Europe, à la co-construction, au secteur privé et aux sociétés civiles africaines. Franck Riester, ministre français du Commerce et de l’Attractivité mise sur un partenariat renouvelé et élargi aux pays anglophones, pour accompagner l’ambition présidentielle d’un « New Deal » avec l’Afrique.
Du 1er au 4 juin, vous étiez à Dakar puis à Abidjan. Quel était l’objet de ces déplacements ?
Franck Riester – Je me suis rendu au Sénégal puis en Côte d’Ivoire pendant 5 jours, avec une délégation d’une vingtaine d’entreprises à Dakar et d’une quarantaine à Abidjan – Bouygues, JCDecaux, Egis, Poma,… – dont celles de l’accélérateur Afrique de Bpifrance et Business France et la task force « ville durable » du Medef international. Nous avons organisé avec Bpifrance, « Inspire&Connect », ce grand événement qui a rassemblé plus de 400 entrepreneurs de France et d’Afrique de l’Ouest. L’événement a été créé pour pousser et financer le développement de partenariats entre nos secteurs privés, et a signé le retour d’échanges physiques, qui sont clés pour nouer des relations d’affaires.
Ces rencontres ouest-africaines ont-elles abouti sur des engagements ?
Un tel déplacement est toujours une opportunité de confirmer des engagements et d’accélérer des projets. Dans ce sens, j’ai rencontré le Premier ministre, Patrick Achi et 15 ministres du gouvernement ivoirien. Au Sénégal, nous avons par exemple fait le point sur le TER de Dakar afin de veiller à ce que les délais soient tenus. J’ai également eu un échange approfondi avec Papa Amadou Sarr, le Délégué général à l’Entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes au Sénégal. Nous avons partagé nos convictions sur le financement de l’entrepreneuriat, en particulier des femmes, et sur la formation de la jeunesse africaine, qui représente une véritable richesse qui ne demande qu’à être formée. Nous avons aussi lancé le dispositif de formation numérique, Trace Academia, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Enfin, j’ai rencontré des entrepreneurs bénéficiant de l’initiative française « Choose Africa », qui a mobilisé 2,5 milliards d’euros pour financer l’entrepreneuriat africain, à laquelle s’ajoute le dispositif « Choose Africa Resilience », mis en place avec 1 milliard d’euros supplémentaire pour pallier les effets de la Covid-19.
Que recouvre l’initiative « Choose France » lors de laquelle le Nigéria était à l’honneur lundi 28 juin à Versailles ?
Depuis 2018, à l’initiative du Président de la République, le Sommet Choose France, événement phare dédié à l’attractivité de notre pays, accueille chaque année à Versailles plusieurs centaines de dirigeants des plus grands groupes mondiaux pour les encourager à investir dans notre pays. Le 28 juin, la 4e édition du Sommet a réuni plus de 120 dirigeants d’entreprises. A cette occasion, nous avons réuni le Conseil d’affaires France-Nigéria, visant à faire émerger des partenariats concrets entre des dirigeants nigérians et français.
Un sentiment anti-français se développe dans plusieurs pays francophones de l’ouest du continent africain. Comment cela se mesure-t-il en termes d’attractivité commerciale française ?
La concurrence existe, bien sûr, mais je suis convaincu que l’offre française se distingue par sa qualité. Nous sommes déterminés à renouveler en profondeur l’image de la France en Afrique. C’est la raison pour laquelle dès 2017, à Ouagadougou, le Président a affirmé l’ambition de refonder la relation Afrique-France.
Quatre ans plus tard, en organisant le Sommet pour le financement des économies africaines, à Paris le 18 mai dernier, la France a été aux avant-postes pour trouver, avec les Etats africains, les organisations internationales et les grands bailleurs internationaux, les voies et moyens d’assurer la soutenabilité de la dette, de continuer à investir dans les infrastructures malgré la pandémie et d’accompagner le financement du secteur privé africain. Cette ambition va bien au-delà de l’économie et du commerce : le discours du Président à Kigali a trouvé un écho très large, tout comme le processus de restitution des œuvres d’art au Sénégal et au Bénin. Enfin, l’initiative européenne Covax, pour favoriser l’accès au vaccin contre la Covid-19 dans les pays du sud et notamment en Afrique, portée par le Président de la République, a également été largement saluée. Nous travaillons d’ailleurs actuellement avec le gouvernement sénégalais sur la construction d’un site de production de vaccin.
Il a été question de la dette lors du Sommet sur le financement des économies africaines. Le problème ne pose pas t-il pas davantage au niveau des intérêts de la dette que de la dette elle-même qui, selon le FMI, représente 41% du PIB de l’Afrique, contre plus de 120% aux Etats-Unis et dans la zone euro ?
C’est une question complexe, car la Covid-19 a accentué les difficultés économiques et financières dans certains pays. Il était donc indispensable d’alléger le poids de la dette à court terme [suspension de la dette de plus de 40 pays jusqu’à fin 2021, ndlr]. Il faut ensuite s’assurer que la dette soit soutenable pour ces pays qui doivent investir dans leurs infrastructures. C’est essentiel pour assurer un développement économique pérenne. Les réallocations des droits de tirage spéciaux – DTS – dont il a été question lors du Sommet du 18 mai donneront notamment, des marges de manœuvre supplémentaires aux pays africains.
Quelles seront les conditionnalités de réattribution des DTS ?
Il a été décidé de réallouer les DTS des pays riches vers l’Afrique pour un montant total de 100 Mds$, triplant ainsi l’enveloppe mécaniquement dédiée au continent. La France est très engagée sur cette question et nous espérons obtenir un consensus autour de cet objectif, qui a d’ailleurs été évoqué lors du G7 il y a quelques semaines. Les choses vont dans le bon sens. Par ailleurs, le Gouvernement est déterminé à accélérer encore la politique française d’aide publique au développement. C’est l’objet de la loi de programmation sur le développement, qui consacre l’engagement du Président de la République de porter notre aide publique au développement à 0,55 % de notre richesse nationale en 2022, contre 0,37% en 2017.
Dans le cadre d’un « New deal » Afrique-France, les pays africains anglophones sont de plus en plus plébiscités. Quels sont les atouts dont disposent les entreprises françaises pour y gagner des parts de marché ?
Si nous voulons capitaliser sur la proximité que nous avons avec l’Afrique francophone, nous voulons aussi aller plus loin dans nos relations économiques avec les pays d’Afrique anglophone. Et nous avons une volonté très forte de nouer une relation « gagnant-gagnant » sur du long terme, avec ces pays qui connaissent un très fort dynamisme économique. Au plus fort de la pandémie, les entreprises françaises sont restées en Afrique, là où nombreuses sont les entreprises étrangères à être parties. Nous voulons bâtir des partenariats industriels mutuellement bénéfiques, à l’image de ce qu’a fait l’entreprise Cémoi sur la structuration de chaînes de valeur dans le cacao en Côte d’Ivoire. Les entreprises françaises disposent de savoir-faire très attendus dans l’agroalimentaire, la ville durable, les biens de consommation ou encore l’énergie.
L‘Europe est-elle la clé de la nouvelle stratégie africaine de la France -que ce soit en termes militaires avec la fin de l’opération Barkhane et le maintien de la force européenne Takuba, ou au niveau économique avec MEET Africa II, par exemple ?
La France, qui présidera bientôt le Conseil de l’Union européenne, souhaite faire de la relation Afrique-UE, un enjeu clé de sa présidence parce que nous sommes convaincus qu’elle est complémentaire de la relation Afrique-France. Je crois fermement à l’intégration régionale, et à la perspective de nouer des relations entre l’UE et l’Afrique, de continent à continent, en particulier en matière de commerce et d’investissement. C’est le sens de notre soutien au développement de la Zone de libre-échange continentale africaine qui établira à terme un véritable marché intérieur africain.
Si nous sommes parfois en concurrence avec nos amis européens, nous sommes aussi bien souvent en partenariat, et nous poursuivons des objectifs communs dans le cadre de notre projet européen. Nous travaillons beaucoup par exemple sur notre autonomie stratégique afin d’être moins dépendants de zones comme l’Asie pour certains produits stratégiques. Nous voulons diversifier nos approvisionnements et nous pensons beaucoup à l’Afrique pour « co-localiser » certaines productions, en particulier au Maroc où je retournerai bientôt pour accompagner la dynamique engagée. Une partie de nos chaînes de valeur y sont en effet déjà implantées dans l’aéronautique ou l’automobile, par exemple.
Quels sont les derniers mécanismes mis en place pour accompagner les entrepreneurs français qui souhaitent s’implanter en Afrique ?
Nous avons lancé plusieurs outils, de l’accélérateur Afrique de Bpifrance et Business France, jusqu’à notre Plan de Relance Export. Dans ce dernier, nous avons renforcé les dispositifs d’assurance-crédit et doublé l’enveloppe du FASEP [Fonds d’études et d’aide au secteur privé, ndlr] qui permet notamment de financer des projets pilotes pour des programmes d’innovation. L’un des projets phares financés par le FASEP est l’« Agora », en Côte d’Ivoire, un écosystème unique qui propose une offre culturelle, sportive, éducative de proximité, dans certains quartiers sous-équipés. Demain, 10 stades supplémentaires, co-financés par la France, verront le jour en Côte d’Ivoire. Parallèlement, « Choose Africa », notre dispositif public français de financement des PME africaines, mis en œuvre par Proparco, vient compléter nos outils de soutien à l’entrepreneuriat. Concrètement, il s’agit soit de garanties octroyées à des partenaires bancaires pour sécuriser leurs prêts aux entreprises, soit de financements en fonds propres dans des startups ou des PME africaines via des fonds d’investissement partenaires.
En octobre 2021, l’entrepreneuriat sera à l’affiche du prochain Sommet Afrique-France de Montpellier. Quelle sera en substance la teneur de ce rendez-vous ?
Artistes, universitaires, sportifs et entrepreneurs ont rendez-vous à Montpellier. Un forum d’affaires permettra des échanges entre entrepreneurs français et africains. Les diasporas africaines seront également représentées. Elles sont au cœur de la relation renouvelée entre la France et l’Afrique. Nous voulons aussi nous appuyer davantage sur les entrepreneurs français installés en Afrique, pour bâtir de nouveaux partenariats.
Pour conclure, quels seraient les arguments que vous opposeriez à la surestimation du risque qui freine encore souvent les entrepreneurs français en Afrique ?
Nous avons créé de multiples outils pour accompagner les entreprises, et partager avec elles le risque inhérent à toute démarche export. C’est le sens des assurances-crédits et assurances-prospection, qui, permettent le remboursement des investissements réalisés lorsque le succès n’est pas au rendez-vous. Je suis déterminé à emmener toujours plus d’entreprises à travailler avec l’Afrique et je porte une attention quotidienne au suivi des projets.
Avec mes homologues africains, nous partageons la même volonté de créer des conditions optimales pour permettre à nos entreprises de saisir toutes les opportunités qui s’offrent à elles. J’ai pu mesurer in situ à quelle vitesse se modernise l’environnement d’affaires de pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
Propos recueillis par Marie-France Réveillard