La mondialisation est-elle bonne pour la santé ?

Un travail de recherche confirme que l’ouverture internationale génère des effets positifs sur la santé des populations jusqu’à un certain degré à partir duquel la tendance s’inverse. Par Raphaël Chiappini, Université de Bordeaux; François Viaud, ESSCA École de Management et Marine Coupaud, ESSCA École de Management.

Souvent décriée pour ses effets sur les inégalités, la mondialisation a également joué un rôle central dans la pandémie de Covid-19. En effet, cette dernière a fait émerger aux yeux de chacun comment la mondialisation pouvait également être un vecteur de diffusion des maladies.

Néanmoins, les conséquences de la mondialisation sur la santé des populations ne se résument pas à cet unique effet. Les économistes se sont penchés depuis plusieurs décennies sur la question du lien entre ouverture au commerce et aux capitaux étrangers et santé des populations, notamment des travailleurs. Dans une étude récemment publiée dans la revue Social Science and Medicine, nous montrons que cette relation est loin d’être linéaire et monotone.

Ainsi, il semble que l’ouverture internationale soit bénéfique pour les pays émergents et en développement. L’argument principal derrière cet effet positif réside dans le lien sous-jacent entre ouverture internationale et croissance des revenus. En effet, l’ouverture au commerce international et aux capitaux étrangers permet d’améliorer le niveau technologique et de capital humain des pays en raison des transferts de technologie ; deux moteurs de l’amélioration des services de santé.

Pollution et obésité

De plus, l’accès à de nouvelles technologies via le processus de mondialisation permet un accès plus facile aux services de santé, alors que l’ouverture au commerce international, elle, permet d’avoir un accès privilégié aux équipements médicaux et aux médicaments. Ainsi, les transferts de connaissances en matière de santé, de meilleures infrastructures, un accès aux soins facilité ou permis par l’augmentation des revenus plaident à première vue en faveur d’un lien positif entre mondialisation et santé.

En outre, au niveau politique, l’ouverture internationale permet d’améliorer la qualité des institutions et donc des mesures effectives de santé publique. Un pays comme la Corée du Sud illustre très bien ce processus. L’espérance de vie du pays qui était seulement de 55 ans en 1960 a connu une progression fulgurante et a atteint 83 ans en 2020. Dans le même temps, la Corée du Sud s’est progressivement ouverte au commerce et aux capitaux étrangers.

Néanmoins, sur ces différents points, les travaux de Samuel H. Preston datant de 1975 apportent une première nuance : le démographe américain montrait que l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) par tête est, certes, associée à une meilleure espérance de vie, mais uniquement jusqu’à un certain niveau de développement à partir duquel l’effet est neutre.

D’autres études plus récentes exposent, en outre, les externalités négatives du processus de mondialisation : outre la pandémie récente de Covid-19, la santé des populations se détériore du fait de la diffusion de maladies comme le VIH et l’obésité.

Les conséquences environnementales sont aussi à prendre en considération. L’intégration commerciale et financière a favorisé la pollution de l’eau dans les pays en voie de développement et plusieurs études montrent les effets désastreux de certaines formes de production sur la mortalité infantile. Par exemple, la délocalisation des productions de textile et de papier fut une source importante de pollution des écosystèmes. Malgré ces externalités négatives, la plupart des études concluent en faveur d’un effet net positif dans les pays à bas et moyens revenus.

Hausse du stress

Pour les pays à plus haut revenu, la mondialisation semble avoir des effets plus néfastes sur la santé des populations. Deux mécanismes sont intéressants à analyser concernant cette singularité. Le premier s’appuie sur le phénomène d’inégalités accrues, qui en plus d’entraîner un accès aux soins différencié, génère des difficultés d’ordre psychosocial qui affectent la santé. Le second est l’insécurité économique qui est associée à un plus grand risque de stress psychosocial dont les effets sur la santé physique et mentale ne sont plus à démontrer.

Les travailleurs du secteur manufacturier des pays développés sont en première ligne, car subissant les effets de la concurrence internationale à la fois via l’accroissement des inégalités salariales et de l’insécurité en matière d’emploi. Au Royaume-Uni par exemple, l’accroissement de la concurrence des importations a entraîné une hausse du stress des travailleurs, notamment en raison d’un accroissement de la probabilité de délocalisation de leur emploi, d’une croissance plus faible des salaires, d’une réduction de leur satisfaction au travail et d’une vision du futur plus pessimiste en termes d’évolution de carrière ou de salaire.

Ces résultats ont également été démontrés sur les États-Unis. En effet, la concurrence des importations a engendré une détérioration significative de la santé dans les zones géographiques où les emplois sont routiniers (facilement délocalisables). La concurrence des importations à engendré non seulement une hausse des suicides et de la toxicomanie dans ces zones, mais aussi une hausse des problèmes cardiovasculaires et des maladies endocriniennes qui peuvent être liés au stress et à de mauvaises habitudes de santé.

En clair, ces études mettent en évidence les conséquences de l’intégration commerciale accrue des économies sur la santé et le bien-être de la population par le biais des effets sur le marché du travail.

L’arme de la protection de l’emploi

Il semble donc que la mondialisation ait toujours un impact positif sur les pays à bas et moyens revenus, même si celui-ci est nuancé par les effets sur certaines populations, comme les enfants et par l’existence d’un seuil au-delà duquel le principal argument, le niveau de revenu permis par la croissance économique, n’est plus efficace. En conséquence, pour ces pays il convient de continuer à attirer les capitaux étrangers tout en mettant en place des mesures pour favoriser le transfert de technologie.

En revanche, dans les pays plus riches, les développements économiques passés ont permis d’atteindre des niveaux de santé publique relativement élevés, notamment en termes de mortalité infantile qui n’est plus un problème majeur de santé publique. Au contraire, la mondialisation semble être dorénavant néfaste pour les travailleurs de ces pays.

Cependant, certaines mesures de politique économique peuvent venir atténuer cet effet négatif. En effet, dans notre étude, nous montrons que la protection de l’emploi permet de réduire les effets négatifs de la mondialisation sur la santé des populations, en diminuant le stress lié à la perte d’emploi. D’autres mesures d’accompagnement doivent également être mises en place pour soutenir les travailleurs au niveau de leur santé mentale.

Si la mondialisation n’est plus une aubaine pour la santé des travailleurs dans les pays développés, un repli sur soi ne peut pas être une réponse adaptée. Les échanges internationaux de produits médicaux et les transferts de technologie sont nécessaires pour favoriser l’accès à la santé. En effet, la pandémie de Covid-19 a non seulement mis en avant les effets de contagion des maladies, mais aussi et surtout comment la coopération internationale permettait de lutter contre les effets de la propagation de la maladie.

Par Raphaël Chiappini, Maître de conférences en économie, Université de Bordeaux ; François Viaud, Professeur assistant d’économie, ESSCA École de Management et Marine Coupaud, Professeure associée en économie, ESSCA École de Management.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

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