La spéculation sur le bitcoin s’apparente à la « tulipomanie », selon la Banque de France

Le gouverneur de la Banque François Villeroy de Galhau a comparé la spéculation autour du bitcoin à la « tulipomanie » aux Pays-Bas au XVIIème siècle, qui a été la première bulle spéculative économique de l’histoire moderne. Ce n’est pas la première fois que les cryptomonnaies sont critiquées par les dirigeants de banque centrale. Ces derniers se méfient de leur volatilité et opacité. Ce qui ne les empêchent pas de plancher sur leurs propres projets de monnaie numérique.

De prime abord, difficile de voir le rapport entre le bitcoin, la doyenne des cryptomonnaies créée en 2009 au lendemain de la crise financière, et les tulipes néerlandaises. C’est pourtant bien avec elles que le gouverneur de la Banque de France a comparé la première cryptomonnaie. Le bitcoin « ne constitue pas (…) une réserve de valeur, mais plutôt un actif spéculatif, qui s’apparente un peu aux bulbes de tulipes aux Pays-Bas au XVIIe siècle », a déclaré François Villeroy de Galhau lors d’un forum sur l’innovation organisé par la banque des règlements internationaux (BRI) mardi 22 mars.

Cette comparaison avec le phénomène d’hyper-spéculation des tulipes n’est pas la première. Avant lui, Nassim Nicolas Taleb, auteur des Cygnes noirs l’avait faite.

Explications : la « tulipomanie » aux Pays-Bas constitue la première bulle spéculative économique et financière de l’histoire moderne. La spéculation était fondée sur le commerce des bulbes de tulipe dont les prix ont atteint des sommets, avant de s’effondrer en 1637. En 1642, après le krach, le prix de la tulipe n’était plus qu’au dixième de sa valeur et cent ans plus tard à deux centièmes. L’avenir montrera si le bitcoin connaîtra un tel sort.

La charge contre les stablecoins

Les banquiers centraux sont coutumiers des charges contre les cryptomonnaies du fait de leur forte volatilité, de leur utilisation possible au profit d’activités criminelles et plus largement de leur opacité. Ils se méfient également des stablecoins, ces moyens de paiement qui utilisent certaines des technologies développées par les cryptomonnaies au cours libre, comme le bitcoin, mais dont les émetteurs assurent qu’elles sont adossées à une devise. Les stablecoins « créent une certaine fragmentation et sont entachés d’incertitudes réglementaires et opérationnelles », a affirmé François Villeroy de Galhau lors de son discours.

Cette charge intervient quelques jours après le vote de la Commission des affaires économiques du Parlement européen qui a adopté lundi 14 mars le projet de règlement « Market in Crypto Assets » (MiCA). Son but est d’harmoniser les réglementations nationales en matière de crypto-actifs en Europe et de créer un cadre réglementaire pour ce marché. Le but affiché est de soutenir l’innovation et tirer parti du potentiel des crypto-actifs d’une manière qui préserve la stabilité financière et protège les investisseurs.

Les banques centrales veulent leurs propres e-monnaies

Le gouverneur de la Banque de France a néanmoins précisé : « Résister à l’innovation ne fait pas partie de notre ADN, bien au contraire ». Les banques centrales multiplient en effet les expérimentations autour des monnaies numériques. La Banque de France planche sur un projet d’euro numérique depuis fin 2019-début 2020. Le 16 décembre 2021, elle a annoncé avoir réussi à valider l’interopérabilité entre différentes plateformes, une étape indispensable au fonctionnement de la monnaie numérique de banque centrale (MNBC) pour les opérations interbancaires.

Plus récemment, début mars, le président américain Joe Biden a signé un décret pour lancer, avec prudence, des travaux concernant un potentiel dollar numérique, demandant au ministère de l’Économie de lui remettre un rapport sous six mois sur « le futur de la monnaie ». Il s’agirait d’une monnaie numérique développée sur une blockchain privée et contrôlée par l’État.

Selon le dernier recensement de la Banque des règlements internationaux (BRI), datant de juin 2021, environ neuf banques centrales sur dix ont indiqué avoir lancé des études autour d’une MNBC. Au mois d’octobre dernier, seulement deux MNBC de détail avaient déjà été déployées (le Sand Dollar aux Bahamas et le DCash pour l’Organisation des États de la Caraïbe Orientale) mais plus d’une vingtaine de projets pilotes étaient en cours dans le monde.

En pointe se trouve d’ailleurs le e-yuan, contrôlé par la banque centrale de Chine et déjà utilisé dans les achats lors des JO de Pékin en 2022. La banque centrale de Russie expérimente également un rouble numérique auprès de certaines banques.

Les cryptomonnaies sont dans le même temps regardées en coin depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs observateurs s’inquiétant de leur possible utilisation pour contourner les lourdes sanctions financières qui pèsent sur Moscou.

ZOOM : QUAND LA CRYPTOMONNAIE ENCOURAGE LA SOLIDARITE

Les cryptomonnaies jouent depuis peu un rôle jamais vu auparavant. Depuis le début de la guerre en Ukraine, elles permettent au gouvernement ukrainien de récolter des millions de dollars pour financer sa réponse à l’invasion russe. Plus de 100 millions de dollars, notamment par le « Fonds crypto pour l’Ukraine », créé par la principale plateforme ukrainienne du secteur Kuna et depuis fusionnée avec le fonds gouvernemental. « Nous récoltons toujours des cryptomonnaies, et nous les dépensons pour acheter des rations » pour les soldats, « des gilets pare-balles ou des casques », explique à l’AFP Michael Chobanian, patron de la plateforme.

Les montants récoltés en cryptomonnaies sont minimes par rapport aux milliards d’aides débloqués par les États-Unis, les pays de l’Union européenne ou les grandes organisations internationales, mais permettent à des particuliers de s’impliquer. L’ONG américaine « The giving block » (« Le bloc qui donne »), qui lève des cryptomonnaies à travers le monde pour les envoyer en Ukraine, estime que c’est « une option que les donneurs les plus jeunes utilisent de plus en plus pour soutenir de multiples causes ». Par ailleurs, les Ukrainiens s’étaient tournés vers ces devises décentralisées pour se protéger de la baisse de leur devise.

Si pour l’instant, la banque centrale ukrainienne est parvenue à stopper l’effondrement de son cours, les conséquences de l’invasion risquent de faire perdre de sa valeur au hryvnia local. En utilisant des stablecoins, ces cryptomonnaies adossées au dollar, les donateurs évitent ainsi autant que possible les fluctuations du marché des changes.

Un autre avantage des dons en cryptomonnaies est la rapidité des transferts. Là où une transaction bancaire peut prendre jusqu’à 24 heures pour être validée entre deux pays, les envois en cryptomonnaies sont quasi instantanés et sans frais. Néanmoins, encourager à l’utilisation de cryptomonnaies pourrait se retourner à long terme contre le gouvernement, incitant les Ukrainiens à utiliser un système monétaire parallèle.

Avec AFP

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