Par Rodrigue Fenelon Massala, grand reporter.
L’an 2021 débute du Tibesti au Limpopo et du Oued Draa au fleuve Congo par l’entrée en vigueur, le 2 janvier, de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA, ZLEC, Zlecaf ou, comme le dirait-on à Nairobi, AfCFTA ). Un projet dont l’objectif, au delà des peurs rationnelles et irrationnelles, des élucubrations afro pessimistes et des projections minimalistes, est d’intégrer l’ensemble des 55 États de l’Union africaine au sein d’un espace commun soumis aux mêmes règles de commerce des biens et services, à la libre circulation des personnes et au droit d’établissement. Il s’agit du plus grand marché commun au monde, intégrant 1,2 milliard d’habitants dont une classe moyenne de 400 millions, supérieure aux habitants des Etats-Unis d’Amérique.
Pour en arriver à cette cérémonie historique du 2 janvier, le chemin parcouru est immense. La Zelca fut lancée par la signature de l’accord par 44 Etats membres, le 21 mars 2018, lors d’un Sommet Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine à Kigali, au Rwanda. Ce nombre est passé à quarante-neuf au Sommet de Nouakchott en Mauritanie, en juillet 2018. Trois signatures supplémentaires seront ajoutées lors du Sommet d’Addis Abeba en février 2019, portant le chiffre à 52 Etats signataires. Il faut le dire, de Kigali à Nouakchott en passant par Niamey, ce sont plutôt les petits Etats qui se sont illustrés, donnant le coup de rein nécessaire à la concrétisation du projet.
A l’inverse de l’Union Européenne dont l’impulsion, au lendemain de la plus dévastatrice des guerres, fut donnée par le général de Gaulle et le chancelier allemand Adenauer, l’on a plutôt relevé, en Afrique, la frilosité des géants. Le président nigérian, Muhammadu Buhari et son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, à la tête respectivement de la première et de la deuxième économie africaines ont été réticents dès le départ. Il s’agit pourtant, logiquement, des deux pays qui devraient le plus bénéficier du levier du futur marché unique en raison de leurs multinationales industrielles et financières à la recherche de relais de croissance et de débouchés.
A l’inverse de la France et de l’Allemagne, qui lancèrent Airbus, l’Afrique du Sud et le Nigeria exigèrent des clarifications sur la question de la règle d’origine. Si Paris et alors Bonn, cassèrent la tirelire pour que le rêve européen se matérialise, Pretoria et Abuja se déroberont devant leurs responsabilités de leaders. Les discussions achoppaient aussi sur le calendrier des réductions des taxes douanières, la vitesse à laquelle on les faisait baisser mais aussi sur les biens importés de l’étranger par des pays ayant des accords avec l’extérieur. Ces questions n’ont pas encore été tranchées. Heureusement que, revenus de leurs premières hésitations, ces deux leaders ont rejoint le train en marche, sous le leadership du rwandais Paul Kagamé et du nigérien Mamadou Issoufou, champions de l’intégration.
Au delà des réticences de Pretoria et d’Abuja, s’ajoutaient les oppositions des grandes puissances qui savent que cette ZLECA vient mettre fin à la vieille division de l’Afrique héritée de la conférence de Berlin. En effet, selon les sources de Financial Afrik, au lendemain du sommet extraordinaire de Kigali en mars 2018, le tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union Africaine, fut saisi par correspondance écrite conjointement par les ambassadeurs des USA du Canada et de l’Union Européenne, lui demandant de notifier aux chefs d’Etat africains la nécessité de surseoir au projet de la ZLECA. Selon les diplomates occidentaux, ce projet allait à l’encontre de certaines directives de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). D’où la nécessité, aux yeux desdits diplomates, d’engager des négociations en vue d’une d’harmonisation…
Par la suite, Moussa Faki Mahamat s’en ouvrira au président Kagame lequel n’y est pas allé par quatre chemins, demandant au président de la Commission de l’Union Africaine de ne pas répondre aux courriers des partenaires et de les ranger dans les tiroirs. L’on notera parallèlement, la poursuite du projet européen des nouveaux accords de partenariat avec les pays ACP, signés finalement en décembre 2020, se présentant de facto en situation conflictuelle avec la ZLECA en de nombreux points.
Bref, le projet de la ZLECA a avancé à hue et à dia avec un jeune secrétaire général, Wamkele Mene, qui a pleinement pris son rôle. Au sommet de Niamey de juillet 2019, les partenaires s’engagèrent à accompagner le projet par des contributions financières. L’Union Africaine indiquera aux bonnes volontés de s’adresser à la Banque Africaine de Développement et à Afreximbank pour toutes les contributions de financement.
Un pas décisif vers l’intégration continentale
En lançant la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine et en la rendant effective le 2 janvier 2021, l’Afrique est en train de surmonter la fragmentation et l’isolement historiques de ses économies en s’ouvrant d’énormes opportunités commerciales et en améliorant les liens de transport et de communication entre les pays membres de l’UA. Cette agrégation et cette connectivité sont des forces pour une croissance accélérée et le développement durable des pays africains. Elle permettra à cours moyen et à long terme de concrétiser la vision de l’Union Africaine et de l’Agenda 2063: “Une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale”, déclarait l’ambassadeur Albert M. Muchanga, Commissaire en Charge du Commerce et de l’Industrie de l’Union Africaine.
La ZLECA doit favoriser le commerce au sein du continent et attirer des investisseurs. Le président Issoufou, l’un des maîtres d’œuvre du projet, a déclaré sur son compte Twitter le 2 janvier, ce qui suit: “aujourd’hui, commence pour l’Afrique, un jour historique avec le démarrage des échanges dans le cadre de la #ZLECAf. En ma qualité de champion de la ZLECAf, j’adresse mes félicitations à mes pairs africains. C’est là, un des meilleurs cadeaux de nouvel an pour tout le continent.
Dans sa mise en œuvre, la ZLECA permettra, selon les estimations, d’augmenter de près de 60% d’ici à 2022 le commerce intra-africain alors que les détracteurs du projet évoquent le manque de complémentarité des économies et craignent que des importations bon marché ne portent préjudice aux petits producteurs agricoles et industriels. Avec une fondation solide, l’Afrique est désormais mieux placée pour parler et agir en tant qu’entité unie dans les négociations commerciales mondiales et, dans le même temps, tirer parti de sa force pour obtenir des accords commerciaux et d’investissement offrant un développement durable accéléré et inclusif à ses populations.
En clair, l’entrée en vigueur de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine le 2 janvier constitue une valeur politique, économique, commerciale et diplomatique. En effet, l’Afrique, en créant la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine, signale également au monde entier qu’elle est attachée au multilatéralisme et à l’interdépendance mondiale. À cet égard, l’Afrique appelle le reste du monde à s’engager de nouveau dans l’usage et le renforcement du système commercial multilatéral afin de promouvoir une prospérité partagée entre tous les peuples du monde. L’aboutissement de ce projet marque un pas important dans la concrétisation des projets porteurs initiés à l’échelle continentale.