L’Afrique contrecarre les prévisions les plus alarmistes de la fondation Bill & Melinda Gates

La Fondation Bill & Melinda Gates présentait le 14 septembre son 5e rapport « Goalkeepers » axé sur l’accélération des Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Alors que l’Afrique a échappé au scénario catastrophe suite à l’arrivée de la Covid-19, la fondation révèle néanmoins de profondes disparités géographiques, économiques, sanitaires et sociales en termes d’impact de la pandémie à l’échelle mondiale.

« L’an dernier, nous avions prévu une baisse de 14% au niveau de la vaccination mondiale. En revoyant nos chiffres, cette baisse n’a été que de moitié […] nous pensons que cela est dû aux innovations », déclarait Cheikh Oumar Seydi, le directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates, à l’occasion de la conférence de presse du 14 septembre dernier.

En 2020, la fondation prévoyait en effet, un renversement inédit des progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté et les maladies, sur fond de pandémie de Covid-19 or, l’Afrique a démontré sa capacité d’innovation pour éviter un naufrage sanitaire. La pandémie a plongé 31 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté (1,90 dollar par jour), cependant les prévisions de l’Organisation mondiale de la Santé d’un abandon programmé des priorités sanitaires en Afrique, ne s’est pas produit et la lutte contre le paludisme – qui concerne à 90 % le continent africain – par exemple, s’est maintenue, voire renforcée. L’année dernière, l’OMS prévoyait une perte de dix ans sur les progrès accomplis en matière de lutte contre le paludisme qui entraînerait jusqu’à 200 000 morts. Cette prévision alarmiste a été évitée. Le Bénin notamment, a réussi à créer un système de distribution numérisé qui lui a permis d’envoyer quelque 7,6 millions de moustiquaires imprégnés d’insecticides à travers tout le pays, en seulement 3 semaines.

La Covid-19 deviendra-t-elle une « maladie de pauvres » ?

A ce jour, 80% des vaccins ont été inoculés dans les pays à revenus élevés ou intermédiaires supérieurs or, pour Cheikh Oumar Seydi la reprise économique est « liée au vaccin ».

« L’année prochaine, 90% des pays avancés retrouveront le niveau d’avant la crise, pour seulement un tiers dans les pays à faibles revenus », ajoute Natalia Africa, la conseillère principale auprès du directeur Afrique, Fondation Bill et Melinda Gates.

Ces inégalités révélées par la Covid-19 ne se limitent pas aux seuls champs économiques, sanitaires et géographiques, car elles affectent aussi le genre. Les femmes sont « touchées de façon disproportionnée par les impacts économiques et sociaux de la pandémie », souligne le directeur Afrique de la fondation Bill & Melinda Gates. A l’échelle mondiale, l’emploi des femmes devrait être amputé de 13 millions d’emplois par rapport à 2019 tandis que le taux d’activité des hommes devrait revenir à celui d’avant la pandémie.

Ce que révèle le « soi-disant » miracle vaccinal

Les vaccins contre la pandémie de Covid-19 ont été élaborés en moins de 12 mois, alors que la durée moyenne de fabrication de vaccin varie entre dix et quinze ans. Si ces performances scientifiques s’apparentent à un « miracle », dans les faits, les vaccins contre la Covid-19 sont consécutifs à des décennies d’investissement, de politiques de santé publique, de recherches et de partenariats de long terme, explique le rapport Goalkeepers. La fondation Gates soutient le CDC Afrique et l’Union africaine, en particulier pour que le continent soit en mesure de réaliser ses propres recherches ARN messager contre la malaria, le VIH ou la tuberculose par exemple.

« Beaucoup ont rejeté l’idée que l’ARN messager pourrait être utilisé pour fabriquer des vaccins », explique le rapport de la fondation qui parie sur le développement de la recherche fondamentale pour s’attaquer à d’autres maladies comme le paludisme ou le cancer. Pour ce faire, depuis quelques années, les organisations internationales ont massivement investi pour construire un réseau de surveillance génomique en Afrique dans l’objectif de séquencer des virus comme Ebola ou la fièvre jaune (CDC, Africa Pathogen Genomics Initiative).

« Il a fallu une pandémie pour rappeler à quel point il est important de soutenir les capacités des pays à faible revenu, pour recueillir et analyser leurs données, qui profiteront à tous », indique le rapport. Les vaccins contre la Covid-19 « sont un exploit incroyable de R&D mais ils sont plus efficaces lorsque tout le monde y a accès » a toutefois rappelé le directeur Afrique de la fondation Gates. Il a souligné que certains pays développés avaient reçu deux à trois fois le nombre de doses nécessaires pour vacciner leur population, provoquant une « profonde indignation », car le risque existe de voir demain, la Covid-19 s’imposer comme une « épidémie des pays pauvres ».

A ce jour, 1 % des vaccins a été administré en Afrique qui compte 17 % de la population mondiale. A titre comparatif, la population africaine est trente fois supérieure à celle de l’Etat de Californie, mais au cours du premier semestre de 2021, ces deux régions ont reçu quasiment le même nombre de vaccins (42 millions de doses pour une population californienne de 39,5 millions d’habitants contre 48 millions de doses pour 1,3 milliard d’Africains).

Convaincre les réfractaires de se faire vacciner

La pandémie a rappelé le vieil adage qu’il fallait mieux « prévenir que guérir ». « Les vaccins sauvent des vies », a martelé le directeur Afrique de la Fondation Bill et Melinda Gates, le 14 septembre. « Il faut que des autorités connues, qui ont une certaine notoriété dans nos communautés, puissent se prononcer et dire la vérité, car le vaccin peut faire la différence […] Il y a eu des situations avec des effets secondaires, mais quand on regarde leur nombre, il est plus souhaitable d’avoir été vacciné que l’inverse », a-t-il ajouté.

Fabriquer des vaccins made in Africa pourrait favoriser l’adhésion des populations, mais à ce jour, seule l’Afrique du Sud en collaboration avec Johnson & Johnson est en mesure de produire ses propres vaccins, a rappelé Cheikh Oumar Seydi. Avec des investissements massifs consentis dans certains pays africains comme l’Egypte ou le Nigéria par exemple, l’UA veut renforcer les infrastructures sanitaires en toute urgence, et ambitionne d’atteindre 60% de vaccins produits en Afrique à l’horizon 2040. Encore faudra-t-il convaincre les populations de se faire vacciner…

Pour Natalia Africa, « il existe une méfiance un peu partout dans le monde, car les vaccins ont été développés assez vite […] En Afrique, nous n’avons pas perçu de méfiance spécifique vis-à-vis de l’ARN messager, les 2 doses inquiètent davantage que le vaccin lui-même ». La « méfiance » envers les vaccins sur le continent s’est exprimée jusqu’aux plus hauts niveaux de l’Etat. « J’ai bien fait de ne pas me faire vacciner », lâchait Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo et président en exercice de l’Union africaine (UA), le 1er juillet dernier, au sujet des vaccins produits par Astrazeneca, provoquant un tollé général. Au crépuscule de sa vie, John Magufuli, l’ancien président de Tanzanie considérait que les vaccins étaient « dangereux » et préconisait les traitements à base de plantes pour lutter contre la Covid-19. Au Burundi, le gouvernement a longtemps rejeté l’initiative européenne Covax, refusant des vaccins encore « au stade expérimental ». Néanmoins, après la mort de Pierre Nkurunziza, son successeur a fait le pari inverse en qualifiant la Covid-19 de « plus grand ennemi des Burundais », acceptant les vaccins comme armes principales dans la lutte contre la pandémie.

In fine, malgré la résilience affichée par le continent africain, entre capacités de production limitées, répartition inéquitable des vaccins, variabilité prix, inquiétudes des populations et méfiance des autorités, la vaccination à grande échelle en Afrique, fait encore face à de nombreux défis.

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