L’industrie 4.0 permettra, à terme, de créer des produits uniques avec de faibles volumes de fabrication tout en maintenant les profits des entreprises.
Avec la crise sanitaire mondiale que nous traversons depuis maintenant presque 2 ans, les interrogations autour des systèmes industriels sont nombreuses. En Afrique, plus qu’ailleurs, les conséquences de la pandémie sur les économies locales ont été dévastatrices et ont éloigné les projets de libre circulation indispensables à la mise en place de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine, ce marché unique des biens et des services censés favoriser le commerce intra-africain, qui ne représente à ce jour que 16% des échanges (contre 60% en Europe ou en Asie). Les chiffres sont clairs : en 2021, selon le Fonds Monétaire International, l’Afrique subsaharienne est la région du monde où la croissance est la plus lente. Ainsi, nous risquons de nous enliser et de nous faire distancer par le reste du monde.
Il est donc impératif de travailler pour mettre en place les jalons d’un développement économique durable, décorrélé de l’exploitation des matières premières et des hydrocarbures. A ce titre, l’industrie 4.0 répond à certains des grands enjeux du secteur. L’industrie 4.0 est avant tout une nouvelle manière d’organiser les moyens de production : elle est un point d’équilibre entre la conception numérique, le virtuel et la gestion des objets, tant sur les plans financiers et marketing qu’opérationnels. A termes, cette nouvelle révolution industrielle permettra de créer des produits uniques avec de faibles volumes de fabrication tout en maintenant les profits des entreprises.
Il est vrai que le secteur industriel africain connait de grandes difficultés : selon l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, la part de l’Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale n’est que d’environ 1,6 %. En effet, le déficit d’infrastructures dans les secteurs des transports, des télécommunications ou encore de l’énergie constitue un obstacle majeur au renforcement de l’industrie africaine. Mais dans une compétition internationale où notre continent a été absent des trois premières révolutions industrielles, l’industrie 4.0 peut répondre aux spécificités des écosystèmes économiques d’Afrique subsaharienne et nous permettre de rattraper notre retard en matière d’industrialisation comme nous l’avons fait dans la pénétration des services mobiles. En effet, ce « leapfrog » est facilité par l’absence de structures industrielles préalables puisque là où les grandes aires géographiques industrialisées doivent repenser leurs modèles, convertir des millions de personnes aux emplois de demain, transformer de nombreux emplois remplacés par la robotisation, nous avons la liberté de passer directement à l’industrie du futur et capitaliser sur le digital déjà bien présent dans de nombreux pays africains.
Nous nous devons de prendre le train en marche puisque partout dans le monde les projets autour de l’industrie 4.0 se multiplient : la France, les Etats-Unis, l’Allemagne ou encore le Japon avancent sur des concepts de « e-usine » pour répondre au besoin d’ultra personnalisation exigée par les clients d’aujourd’hui et de demain. Grâce aux technologies de l’information et de la communication, les machines des chaînes de productions du futur collecteront et traiteront les données en temps réel pour une amélioration continue des process.
Aussi, dans un monde où les entreprises se doivent de mettre en place des stratégies pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux afin de satisfaire les attentes toujours plus importantes des consommateurs tout en créant des produits au cycle de vie toujours plus court, le maintien de leur compétitivité passera par l’agilité sur les plans organisationnels et opérationnels. De fait, 90% des entreprises africaines étant des TPE et des PME – contre 65% en Europe et 53% aux Etats-Unis – contribuant à hauteur de 40% au PIB du continent et proposant déjà des produits fortement personnalisés, miser sur l’industrie 4.0 c’est leurs permettre de conserver leurs spécificités tout en augmentant leurs profits. L’usine africaine pourra donc être numérique, flexible et économe sur le plan énergétique tout en restant compétitive.
En outre, le saut technologique vers l’industrie 4.0 va créer de nouveaux emplois plus qualitatifs ; nous devons donc collectivement saisir cette opportunité pour proposer des débouchés professionnels aux 10 à 20 millions de jeunes africains qui arrivent sur le marché du travail chaque année. A l’inverse du Computer-integrated manufacturing du début des années 80, l’industrie 4.0 est un mode de production qui met en avant les compétences des hommes et des femmes – puisqu’ils sont amenés à être plus flexibles et autonomes – et nécessite de nombreux travailleurs. Experts en intelligence artificielle, cybernéticiens, ingénieurs analytiques, technicien de maintenance prédictive, coachs de robots, technicien de maintenance prédictive ou encore ingénieur en conception additive sont autant de métiers qui pourront être préemptés par la jeunesse africaine déjà en pointe sur le numérique. Ainsi, les profils alliant numériques et industrie vont être de plus en plus recherchée et les initiatives publiques ou privées pour démocratiser l’univers digital, à l’instar de la fondation Génération Numérique doivent se multiplier.
La formation des populations est la clé de voûte de ce changement de paradigme ; certains ayant déjà saisi cet impératif mettent en place des programmes pour répondre aux réalités de demain. Ainsi, au Maroc, l’Ecole 1337 fondée par Xavier Niel et l’Office chérifien des phosphates enseigne gratuitement le code informatique. Au Rwanda, une formation diplômante en partenariat avec Google et Facebook prépare les futurs ingénieurs à répondre aux défis de l’intelligence artificielle (l’African Masters of Machine Intelligence). Enfin, le groupe Orange à travers ses Orange Digital Centers propose un accompagnement 360° avec des programmes allant d’une école du code (Orange Académie) à un accélérateur (Orange Fab) en passant par un laboratoire de modélisation ( FabLab Solidaire) jusqu’à un fonds d’investissement pour financer les startups les plus prometteuses.
Toutes ces initiatives doivent tisser une toile soutenue par les gouvernements africains car ce changement de paradigme ne se fera pas sans le soutien des pouvoirs publics : en premier lieu, les entreprises ont besoin d’infrastructures réseaux pour un accès généralisé à internet. Or selon la Banque Mondiale, en 2019 moins d’un tiers des Africains étaient connectés à l’internet haut débit. Pour répondre à cette urgence de connectivité, des opérateurs réseaux comme le groupe Orange travaillent pour permettre à tous d’avoir accès au haut débit. A titre d’exemple, Orange Côte d’Ivoire a investi plus de 300 milliards de francs CFA pour améliorer la connectivité au cours des cinq dernières années. Nous devons à cette jeunesse intuitive, vibrante et qui a soif d’un mieux-disant pour leur avenir de faire mieux que nos prédécesseurs. L’Afrique a besoin d’entrer dans cette révolution industrielle par la grande porte et pour se faire, toutes les parties prenantes doivent poser les jalons de l’industrie de demain dès aujourd’hui.
(*) Directeur Orange Business et Broadband
(**) Fondateur de Génération Numérique