Laurent Gbagbo accordait un entretien le 19 octobre à France 24. Interrogé sur son retour en politique, et une potentielle candidature pour 2025, il s’est aussi exprimé sur sa vision de la Côte d’Ivoire et les crises qui ont secouées le pays depuis 30 ans. Quitte à donner une version très partiale des faits. Décryptage.
Lors de son entretien fleuve, l’ex-président Gbagbo affectait une posture de paix et de réconciliation. Une contenance de «vieux sage» dont la modération du verbiage dissimulait mal la virulence des attaques ou les omissions [particulièrement] opportunes. Et cela sur l’ensemble des thématiques abordées par le journaliste de France 24, comme le panafricanisme, la constitution, les présidentielles 2025 ou bien les relations avec la France. Or, face à cette posture panafricaniste proclamée, il est nécessaire de rappeler quelques vérités sur Laurent Gbagbo.
Panafricaniste de carnaval
La posture panafricaine de l’ancien président et fondateur du Front Populaire Ivoirien (FPI) est en fait très récente. Pourtant l’histoire le démontre : Laurent Gbagbo fût le président de Côte d’Ivoire le moins panafricain. En tant que concepteur et propagateur de l’ «ivoirité», excluant du corps politique les immigrés et descendants d’immigrés [africains], il fût sans conteste de ceux qui soufflent sur les braises du communautarisme. Un aspect encombrant pour une personnalité se réclamant de l’union du continent.
Prôner le panafricanisme implique aussi le respect des institutions multilatérales dédiées à cette cause. Or, durant son mandat, Laurent Gbagbo n’a eu de cesse de faire fi des prescriptions de ces dernières. On peut citer dans cette optique sa part de responsabilité dans l’échec de l’arbitrage de la CEDEAO au début de la guerre civile (octobre 2002). Ou bien la sourde oreille qu’il fit à l’UA (et la CEDEAO), en 2010, quand ces dernières lui intimaient de quitter le pouvoir après la victoire électorale d’Alassane Ouattara.
Si on devait chercher une personnalité authentiquement panafricanistes en Côte d’Ivoire, on la trouverait plus aisément chez feu le président Houphouët-Boigny. Son impact sur l’OUA ou la CEDEAO fut important, sans compter les organisations, certes éphémères, dont il fut à l’origine (UAM, OCAM, CEAO…).
Laurent Gbagbo aborde aussi la question du Franc CFA, monnaie qu’il estime dépassée. Cette posture est récente : il ne l’aborde réellement qu’à partir de 2018 dans son livre autobiographique. Pourtant il ne fit aucune démarche dans le sens d’une sortie de ce système monétaire durant les dix ansqu’il était au pouvoir. Pourquoi une telle volteface ? Dès lors, cette position sur le franc CFA semble alors teintée d’une certaine démagogie.
Boutefeu civil
L’ancien président revendique aussi, lors de l’entretien, un rôle de réconciliateur légaliste. Il assigne par ailleurs ses rivaux politiques à faire de même. Ce faisant il voudrait convaincre d’être un homme de paix et de consensus. Cependant son rôle dans la guerre civile, et ses causes, ne plaide pas dans ce sens.
Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir en 2000 suite à une élection frauduleuse. Elle était organisée par le général Robert Guéï après son putsch de 1999. Le scrutin avait été organisé en mettant de côté les principaux concurrents : Alassane Ouatarra et Henri Konan Bédié. En conséquence de quoi, l’élection fut marquée par une abstention de prés de 70% des votants et fut donc vidée de sa substance. Laurent Gbagbo arrivait donc au pouvoir avec à peine plus de 20% du collège électoral ivoirien, et contribuait à déclencher une guerre civile (2002-2011). Il se maintint au pouvoir pendant 10 ans, en reportant, illégalement, les élections de 2005. Cela pour finir par contester le scrutin de 2010, contre l’avis des observateurs de l’élection, et ainsi relancer les combats de la guerre civile pendant plusieurs mois.
Toute la période de la guerre civile fut marquée par une partition de fait du territoire. Une partition marquée par des combats entre les deux camps. Mais aussi des massacres ethniques menés par la gendarmerie [du président Gbagbo] dans le nord en 2002, des attaques sur les soldats d’interposition français (2004) et des «chasses au blanc menées» à Abidjan par les partisans du FPI.
Tous ces éléments tendent donc à démontrer que Laurent Gbago n’est ni pacifique ni légaliste. Il apparaît donc qu’il a nettement plus de gages de bonne foi à donner qu’à obtenir de ses rivaux politiques. Si sa volonté de réconciliation et pacification, déjà manifestée en 2020 lors de l’élection présidentielle, peut être mise à son crédit, elle ne doit pas se transformer en un faux-nez politique. Ce que l’interview de France 24 pourrait laisser craindre tant les outrances et les omissions du leader du nouveau Parti des Peuples Africains sont nombreuses.
Par ALBERT SAVANA