Le défaut de paiement, un risque limité pour la Russie

Le montant de la dette russe détenue à l’étranger reste actuellement relativement faible, ce qui minimiserait les conséquences de son non-remboursement sur le reste de l’économie. Par Aurore Burietz, IÉSEG School of Management et Jérémie Bertrand, IÉSEG School of Management.

En réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux pays ont décidé de mettre en œuvre plusieurs paquets de sanctions, dont l’exclusion du réseau d’échanges financiers Swift ou encore le gel de ses réserves détenues à l’étranger et ce, pour un total de 300 milliards de dollars.

L’ensemble de ces sanctions économiques a contribué à augmenter l’isolement de la Russie non seulement d’un point de vue politique mais aussi économique. Or cet isolement économique peut avoir de graves conséquences sur la stabilité financière du pays, avec entre autres un impact sur la gestion de sa dette externe, c’est-à-dire sur la part de dette détenue (environ 23 %) par les investisseurs étrangers, institutionnels et particuliers, toutes nationalités confondues.

Une dette publique constitue un instrument financier avec un mode de fonctionnement très simple : d’un côté l’emprunteur, ici la Russie, émet des titres dits « obligataires » ou « souverains » que des investisseurs vont acheter. Ces titres constituent un contrat, dans lequel l’emprunteur, ici le pays, s’engage à respecter un échéancier de remboursement incluant non seulement le paiement de la dette elle-même (le capital) mais également des intérêts (les coupons) liés à cette dette.

Pas de recours possible

Cela ressemble donc fortement à n’importe quelle dette immobilière que tout individu pourrait avoir. Et, comme tout emprunteur, un pays peut être sujet à des difficultés financières augmentant le risque de défaut, autrement dit, le risque que le pays lui-même ne puisse pas rembourser les sommes empruntées.

Cependant, l’une des principales différences repose sur la manière de traiter ce défaut éventuel sur une partie ou la totalité de la dette. En tant qu’individu, seule la justice peut reconnaître un défaut éventuel, via l’ouverture d’une procédure judiciaire demandée par la banque ou par le créancier lui-même. Dans ce cas, la banque a alors plusieurs recours possibles pour recouvrir le montant dû (saisie de garantie par exemple).

A contrario, dans le cas d’une dette publique, l’État est déclaré en défaut seulement s’il se déclare lui-même en défaut de paiement ou si l’annonce est faite par des représentants de ses créanciers (généralement des agences de notation) dans un délai de 30 jours après le non-paiement des sommes dues. La justice n’a donc aucun pouvoir. De plus, un état souverain n’est pas sujet aux règles régissant la banqueroute, et ne craint aucune pénalité légale.

Le défaut, une notion pas si claire

Début juin, certains détenteurs d’obligations russes ont déclaré ne pas avoir perçu les intérêts de retard dus par le gouvernement russe, représentant un montant de 1,9 million de dollars. À cela s’ajoute le non-respect de l’échéance du 27 juin pour le versement de 100 millions de dollars de coupons liés à deux euro-obligations qui augmente de manière significative la probabilité que le pays soit déclaré en défaut dans un futur proche.

Dans ce genre de situation, connaître la définition précise du terme « défaut » et les conditions exactes pour qu’un pays soit considéré en défaut apparaît comme essentiel. Malheureusement, il faut savoir que cette notion de défaut n’est pas forcément si claire et dépend de plusieurs paramètres.

La littérature avance plusieurs situations pouvant s’apparenter à un défaut souverain. Cela va de la simple extension de maturité, permettant de rééchelonner la dette sur une plus longue période, cette dernière étant payée plus tard (exemple de l’Argentine en 2019), à la répudiation partielle ou totale de cette dette (comme la Grèce en 2012), en passant par une dégradation de la notation de crédit de l’emprunteur.

Quelle que soit la définition, elles s’accordent toutes néanmoins sur un point commun : un État est déclaré en défaut à partir du moment où celui-ci a des difficultés à rembourser sa dette, ce qui se traduit par un changement des termes négociés au départ.

Ainsi, du point de vue des investisseurs, le non-paiement des intérêts pendant le mois de juin est un exemple de difficultés de la Russie à honorer les termes du contrat établi avec ses créanciers ce qui peut, selon la littérature être considéré comme un défaut. Cependant, les choses ne sont pas si simples et le contexte très particulier du cas russe doit être pris en compte avant de tirer des conclusions.

Un défaut contesté par Moscou

En effet, la Russie se défend et ne reconnaît pas être en situation de défaut. Au contraire, le gouvernement explique que les fonds ont été versés le 20 mai 2022 en prévision d’un éventuel blocage des fonds. Pour Moscou, les sanctions visant à isoler la Russie du système international de règlements et à interdire le paiement en devises étrangères auraient donc contribué à la création d’un défaut « artificiel » empêchant les détenteurs d’obligations de percevoir leurs coupons. À travers ce discours, la Russie tente de rassurer les investisseurs en mettant en avant la disponibilité des fonds qui sont simplement bloqués.

De manière générale, un défaut de paiement va avoir des conséquences à la fois sur les créanciers et sur l’emprunteur lui-même. Dans le cas des créanciers, ils vont devoir supporter une perte en capital, partielle ou totale, les obligeant à réévaluer le risque lié à la dette du pays en défaut et à ajuster leurs investissements en conséquence.

 

Dans le cas de l’emprunteur, cela peut alors se traduire par un refus des créanciers de prêter à l’avenir ou à un taux nettement plus élevé, augmentant son coût de financement futur, le tout combiné à une dégradation de sa notation de crédit reflétant le risque de crédit plus élevé. Ces difficultés de financement peuvent alors avoir un impact sur l’économie du pays, les relations entretenues avec ses différents partenaires, exposant l’État à d’éventuelles sanctions futures, qu’elles soient politiques, commerciales ou financières.

On peut également évoquer un risque de réputation. Cependant, on note une diminution des effets d’un défaut avec le temps. À titre d’exemple, la Grèce a fait défaut sur sa dette à cinq reprises entre 1821, quand elle a obtenu son indépendance vis-à-vis de l’Empire ottoman, et aujourd’hui, ce qui représente 90 ans durant lesquels le pays a été considéré en défaut soit pratiquement 50 % du temps. Après son défaut en 1843, elle a effectivement été exclue des marchés financiers internationaux pendant plusieurs années. Néanmoins, cela n’empêche pas les investisseurs de continuer à lui prêter de l’argent de nos jours, phénomène connu dans la littérature sous le nom de « mémoire courte » des marchés de crédit.

La Russie reste peu endettée

Dans le cas de la Russie, si les fonds sont effectivement bloqués comme le prétend Moscou, on peut alors penser qu’il ne s’agisse que d’une question de temps et que les versements dus seront réalisés dans un futur proche. Les conséquences resteront donc minimes, avec essentiellement un problème de gestion de liquidité pour les créanciers n’ayant pas reçu leur argent et d’éventuelles répercussions pour d’autres placements qui seront alors différés si le paiement tarde à venir (principe de contagion).

En revanche, si la Russie n’arrive pas à débloquer ses fonds afin d’effectuer ses paiements, on devra alors envisager des conséquences beaucoup plus importantes pour les créanciers et le pays lui-même telles qu’évoquées ci-dessus.

Dans ce dernier cas de figure, la Russie peut soit bénéficier d’une aide extérieure, provenant des créanciers eux-mêmes, accordant un délai à l’État pour le règlement des sommes dues, ou bien d’une tierce institution prenant le relais des créanciers en rachetant leur dette ; soit le pays devra faire face à de nouvelles sanctions venant des créanciers lésés ce qui pénalisera davantage le pays en restreignant son accès au marché du crédit.

Au-delà de l’effet choc que l’annonce peut avoir, il est à noter que la Russie est un des pays les moins endettés au monde : sa dette publique représente environ 17 % de son PIB. En comparaison, celle de la France atteint plus de 112 %. La Russie possède par ailleurs encore plus de 200 milliards en réserves internes. Ainsi, il semble peu probable dans un avenir immédiat qu’un défaut survienne, et si celui-ci devait arriver nous pourrions y voir un choix stratégique de la Russie.

Par Aurore Burietz, Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management et Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of Management.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

 

 

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