Par Rodrigue Fénélon Massala Kengue, grand reporter.
Le 18 mai prochain, le président français, Emmanuel Macron, organise à Paris un sommet sur le financement des économies africaines. L’initiative est certes louable mais les solutions conçues hors du continent pour impulser le développement du continent ont souvent produits des résultats en deçà des espérances des populations. Le processus de développement économique induit des besoins de financement importants pour la mise en place d’infrastructures et de services publics dont l’essentiel est couvert par l’endettement, notamment public.
L’encours de la dette publique africaine représentait 1 330 milliards de dollars en 2018, soit 57 % du PIB continental (équivalent à 60 % du PIB en parité de pouvoir d’achat) ou encore 1 060 dollars par habitant, en hausse depuis le début de la décennie 2010. Cette augmentation interroge sur la viabilité de l’endettement des États africains et pose la question du financement de leur processus de développement. À leur indépendance, dans les années 1960, plusieurs pays africains ont hérité de dettes issues de la colonisation et se sont également endettés auprès de la communauté internationale pour bâtir leurs nouveaux États. C’était très abordable, car les taux d’intérêt étaient proches de zéro.
Mais le drame, c’est que les États africains se sont endettés à des taux d’intérêt variables au fil des années dans un système financier défavorable au continent nonobstant le fait que l’Afrique regorge l’essentiel des matières premières à même de garantir et de soutenir de façon prospective son éclosion économique. En effet, avec le déclenchement de la pandémie du Covid-19, les économies des pays africains ont été secouées et mises à rude épreuve des cycles répétés d’accumulation de dette et de crise, qui se sont soldés par de graves régressions de toutes les stratégies adoptées dans le cadre de la réduction de la pauvreté, reléguant, qui plus est, aux calendes grecques les objectifs du millénaire pour le développement. Il sied à cet effet de souligner que la crise sanitaire qui a chamboulé les prévisions de la croissance économique du continent est venue accentuer la nécessité de mieux répondre à leurs besoins de financement par l’emprunt.
En début de ce mois d’avril, la Banque mondiale a réuni plusieurs experts de premier plan afin de dessiner les contours d’une nouvelle architecture financière internationale pour la dette. Le panel s’est penché sur les enseignements des efforts de restructuration menés par le passé, sur le rôle du secteur privé et sur la nécessité d’une transparence accrue en matière de dette. La dette publique n’est pas que l’affaire des gouvernements. Elle a des répercussions sur la vie des gens ordinaires, a souligné Zainab Ahmed, ministre nigérian des Finances, en lançant la discussion le 7 avril. Dans un échange avec le président du Groupe de la Banque mondiale David Malpass, la ministre des Finances angolaise, Vera Daves, a expliqué pour sa part comment les répercussions économiques de la COVID-19 ont entraîné une détérioration des niveaux de recettes et d’endettement de son pays. Or, comme l’ont souligné Kevin Watkins, directeur général de Save the Children, et K.Y. Amoako, président du Centre africain pour la transformation économique (ACET), des niveaux d’endettement non soutenables freinent les progrès des pays en accaparant des ressources qui pourraient être investies dans des secteurs comme la santé et l’éducation.
La directrice générale de Citi, Julie Monaco, et l’économiste en chef de la Banque mondiale, Carmen Reinhart, sont revenues sur les crises de la dette des années 1980 et 1990, en tirant des leçons pour aujourd’hui. L’allègement des niveaux de dette insoutenables appelle des solutions diverses et un engagement fort pour aider les pays à se concentrer en priorité sur le développement d’une économie plus verte, résiliente et inclusive. En Afrique, cette problématique est d’autant plus importante que des allègements significatifs de dette publique ont été accordés dans les années 2000. Il est temps d’une part de sortir de ce cycle vicieux d’endettement du continent et d’autre part de saisir l’opportunité de la crise sanitaire pour reformer le système financier international conçu par les vainqueurs de la seconde Guerre mondiale à une époque où l’ensemble des États africains à l’exception de l’Ethiopie étaient sous domination coloniale. Le système financier désuet qui gouverne l’ordre mondial depuis la création des institutions de Bretton Woods semble avec le temps instituer un processus cyclique qui maintient les pays africains dans un endettement chronique. Actuellement, 60 pays parmi les plus pauvres au monde dépensent plus d’argent public pour rembourser leurs créanciers que pour financer leurs systèmes de santé ». Pour les plus endettés et démunis, le remboursement des intérêts de la dette dépasse l’argent disponible pour soigner la population : alléger ce fardeau-là, c’est donc permettre de mieux répondre aux impératifs d’urgence sanitaire.