L’opération séduction de Sergueï Lavrov en Afrique

Simultanément à la tournée africaine d’Emmanuel Macron, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères sillonnait le continent, se pliant à une véritable opération de charme et n’hésitant pas à marcher sur les plates-bandes françaises. En Afrique, la guerre d’influence entre Paris et Moscou bat son plein.

Le 23 juillet, l’inamovible ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï  Lavrov, arrivait en Afrique pour une tournée de cinq jours, avec l’objectif de rassurer des partenaires africains inquiets des répercussions de la guerre en Ukraine sur le continent.

Un mois plus tôt, Macky Sall, le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine (UA), avait rencontré Vladimir Poutine à Sotchi, pour « faire prendre conscience » aux parties prenantes, que les pays africains étaient des « victimes » collatérales du conflit en Ukraine. Au sortir de trois heures d’entretien, Macky Sall s’était dit « rassuré ».

L’Afrique reste sous une large dépendance des importations céréalières russes et ukrainiennes. D’après l’UNCTAD (la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), 25 des 54 pays africains importaient plus du tiers de leur blé de ces deux pays, (15 pays importaient plus de 50%) entre 2018 et 2020. Aux défis d’approvisionnement s’ajoute désormais celui de la flambée des prix qui fait craindre des troubles sociaux. D’ici la fin de l’été, « 40 millions d’Africains seront en insécurité alimentaire accrue », prévient l’agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).

Quelques jours après la signature d’accords séparés entre la Russie et l’Ukraine (à Istanbul, le 22 juillet 2022) pour permettre l’exportation des 25 millions de tonnes de céréales d’Ukraine via des « corridors sécurisés » pendant 120 jours (contre la garantie de Moscou que les sanctions occidentales ne s’appliqueraient pas à ses exportations de produits agricoles et d’engrais), Sergueï Lavrov arriva sur le continent avec la ferme intention de convaincre les Africains de faire le choix de soutenir la Russie. Il y avait ces derniers jours, comme un vent de guerre froide qui traversa le continent.

Pour Moscou, l’Afrique représente non seulement un réservoir de soutiens diplomatiques important, mais aussi un marché de plus d’un milliard de consommateurs à l’heure de l’opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), doublé d’une réserve inestimable de minerais (République centrafricaine, Angola, Afrique du Sud,…).

Moscou en pleine guerre d’influence avec Paris

« Les sanctions interdisent aux bateaux russes de se rendre dans les ports européens et elles interdisent aux navires étrangers d’aller charger des marchandises, dont les céréales, dans les ports russes. Alors, jugez vous-même ! », déclarait le ministre des Affaires étrangères russe au Caire, dès sa première étape africaine, rejetant ainsi la responsabilité de l’insécurité alimentaire sur l’Union européenne (UE).

« Carabistouille, comme dirait l’autre. C’est totalement faux. C’est simplement que l’alimentation comme l’énergie sont devenues des armes de guerre russes », répondit Emmanuel Macron en conférence de presse depuis Yaoundé, profitant de l’occasion pour dénoncer, aux côtés de Paul Biya, « l’hypocrisie » des pays africains dans le conflit russo-ukrainien (suite à l’abstention de plusieurs pays -dont le Cameroun-, lors du vote de la résolution onusienne pour condamner la Russie).

« La Russie est l’une des dernières puissances impériales coloniales », a affirmé le président français qui a réussi à obtenir la condamnation de l’invasion russe en Ukraine par la voix du président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, le 28 juillet.

Enfin, indexant « les exactions commises par les éléments mercenaires déployés au Mali et dont les agissements sont désormais documentés par les rapports des Nations Unies, Wagner pour ne pas les citer », Emmanuel Macron a appelé les Etats de la région à « sanctionner les coupables et exercer leur vigilance.» Le ton est donné.

Le grand retour de la Russie en Afrique ?

Depuis plusieurs années, Moscou a renforcé ses positions sur le continent comme en témoigne le succès du Sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019, qui avait réuni une quarantaine de chefs d’Etat africains sur 54. Le rapprochement africano-russe s’est accéléré avec l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin, mais la relation n’est pas nouvelle.

Durant l’époque soviétique, les Russes procédèrent à des transferts de compétences, investirent par milliards dans le développement du continent et accueillirent des dizaines de milliers d’Africains dans leurs universités. Par ailleurs, le soutien de l’URSS aux mouvements indépendantistes reste vif dans les mémoires africaines.

D’après les douanes russes, les échanges commerciaux entre la Russie et les pays d’Afrique subsaharienne sont passés de 5,1 milliards de dollars en 2010 à près de 20 milliards de dollars en 2020. Si la présence de Moscou s’est affirmée à travers l’aspect sécuritaire (de la Centrafrique à la Libye, en passant par le Mali ou l’Algérie), la Russie entend diversifier ses partenariats en surfant sur les nouveaux rapports géopolitiques qui émergent sur fond de guerre en Ukraine.

Il est désormais question d’un élargissement des BRICS (organisation multilatérale créée en 2009 et regroupant les « puissances émergentes » : Brésil, Russie, Chine, Inde puis Afrique du Sud en 2011). Début mai, le ministère chinois des Affaires étrangères annonçait le début du processus d’élargissement.

Le 27 juin, Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, rapportait que l’Argentine et l’Iran avaient déposé leurs demandes d’adhésion. Le Sénégal, l’Egypte, l’Indonésie, le Nigéria, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite ou le Kazakhstan sont autant de potentiels candidats aux BRICS, une organisation qui représente 42% de la population et plus du quart du produit intérieur brut (PIB) mondial.

« Les Etats africains jouent un rôle de plus en plus important dans la politique et l’économie globale », rappelait Serguei Lavrov depuis le Congo, incitant à demi-mot, les Africains à prendre parti dans le conflit russo-ukrainien. Pourtant, la voix de l’Afrique dans le concert des nations résonne par son silence depuis mars, le continent ayant majoritairement choisi la neutralité.

Les observateurs de la géopolitique africaine auront toutefois noté que Vladimir Poutine était « l’invité-vedette » du dernier Sommet des BRICS alors que l’intervention online de Volodymyr Zelensky le 20 juin dernier, lors du Sommet de l’Union africaine (UA), n’a été suivie que par 4qautre chefs d’Etat africains.

Le soutien diplomatique des pays africains envers la France dans son ancien pré-carré, n’est plus assuré. Dans un climat de « guerre froide » à l’ère 2.0, la Russie signait en avril dernier, deux nouveaux accords de coopération militaire avec Madagascar et le Cameroun, alors que la guerre en Ukraine battait son plein.

Vers un partenariat russe multidimensionnel

Avec ses 100 millions d’habitants, l’Egypte demeure l’une des principales locomotives du continent et le « partenaire numéro 1 de la Russie en Afrique », a rappelé Sergueï Lavrov (5 milliards de dollars de commerce bilatéral par an, construction d’une centrale nucléaire et de zones industrielles).

Malgré cette « proximité » affichée, la relation bilatérale pourrait souffrir à terme, des répercussions du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire des Egyptiens qui importaient plus de 70% des céréales de Russie et d’Ukraine l’an dernier, selon la FAO. C’est donc en toute logique que le ministre russe des Affaires étrangères a commencé sa tournée africaine par la ville du Caire.

« Nous avons confirmé l’engagement des exportateurs russes de produits céréaliers à respecter toutes leurs obligations », rassurait le diplomate russe, dès son arrivée. Reçu par le président Abdel Fattah al-Sissi, il a également rencontré son homologue égyptien. Enfin, il a évoqué la tenue d’une rencontre qui réunira les chefs des diplomaties arabes puis annonça le prochain Sommet Russie-Afrique en 2023, avant de s’envoler pour le Congo.

Alors que Brazzaville a affirmé sa « neutralité » dans le conflit en Ukraine, Sergueï Lavrov était reçu par le Chef de l’Etat dans son fief de Oyo. A la tête du Congo depuis 1997, Denis Sassou N’Guesso est un élément central de la géopolitique africaine, à l’heure où les alliances se modifient (eu égard à l’entrée récente du Togo et à celle du Gabon dans le Commonwealth. Durant deux heures, il a été question de crise en Ukraine, mais aussi des conflits en République démocratique du Congo, au Mali et en Libye.

Parallèlement au volet sécuritaire, Sergueï Lavrov a annoncé la tenue d’une réunion intergouvernementale qui définira les opportunités d’investissements au Congo en septembre, mais aussi la construction d’un laboratoire de recherche épidémiologique et enfin, le renforcement de l’accueil des étudiants congolais en Russie.

Le lendemain, c’est aussi en « ami » que Sergueï Lavrov est arrivé en Ouganda. « Comment être contre quelqu’un qui ne nous a jamais fait de mal ? », déclarait le président ougandais, Yoweri Museveni, qui ne cache pas sa proximité avec Moscou.

Le voyage du diplomate russe s’est achevé en Ethiopie, où il a rencontré son homologue, mais aucun responsable de l’UA, officiellement pour cause d’incompatibilité d’agenda.

« C’est à nous de décider si nous voulons un monde où un Occident (…) totalement inféodé aux Etats-Unis (ce pays qui) estime qu’il a le droit de décider quand et comment promouvoir ses propres intérêts sans respecter le droit international », a-t-il lancé le 27 juillet, face aux diplomates africains présents dans l’Ambassade de Russie, à Addis-Abeba.

En Afrique, le Kremlin s’est engagé dans une véritable guerre d’influence. Cependant, si la Russie gagne du terrain sur le plan diplomatique, elle ne représente environ que 2% des parts de marché en Afrique (20 milliards de dollars par an), soit plus de deux fois moins que la France et dix fois moins que la Chine qui caracole en tête des investisseurs.

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