Macron, le tragédien, et son rêve de puissance

Emmanuel Macron s’est enfin lancé dans sa « drôle de campagne ». En chef de guerre dans un climat de tragédie en Ukraine et de risque de guerre totale en Europe, il va devoir laisser de la place au débat démocratique dans les semaines qui nous séparent des deux tours de la présidentielle. Or, le chemin est encore long d’ici le 24 avril, même si les circonstances lui donnent un avantage certain… qu’il ne se prive pas de mettre en scène, au grand dam de ses concurrents. En brandissant le thème de la « puissance », il se voit en leader de l’Europe de demain qui doit nous garantir l’indépendance face aux turbulences du monde.

Quelle drôle d’ambiance pour une entrée en campagne présidentielle… La perspective d’une guerre totale plane sur l’Europe, mais les responsables politiques français ne semblent pas réellement prendre la mesure de la situation. Exemple parfait avec le ministre des Finances et de l’Economie Bruno Le Maire : cet ancien collaborateur de Dominique de Villepin, formé au Quai d’Orsay, n’a pas pu s’empêcher de sortir les canons en déclarant mardi dernier que la « guerre économique et financière » à la Russie allait être « totale », afin de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ».

Ces paroles guerrières interviennent au moment même où la diplomatie française annonce vouloir entamer une « désescalade » autour du conflit ukrainien. La réponse russe ne sait pas fait attendre. L’ancien président et Premier ministre de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, actuellement vice-président du Conseil de sécurité de Russie, a réagi en postant, en français et en anglais, un tweet menaçant : «Un ministre français a dit aujourd’hui qu’ils nous avaient déclaré la guerre économique. Faites attention à votre discours, messieurs ! Et n’oubliez pas que les guerres économiques dans l’histoire de l’humanité se sont souvent transformées en guerres réelles ». Finalement, après le tollé provoqué par ses déclarations, Bruno Le Maire tente de corriger le tir plusieurs heures après via une dépêche AFP dans laquelle il regrette le terme « inapproprié » de « guerre économique ».

Pour que les choses soient plus claires, un peu plus de 24 heures après la sortie irresponsable du ministre de l’Economie, lors de son allocution présidentielle, Emmanuel Macron tient alors à dire : « Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie ». Le président français rappelle à cette occasion qu’il a toujours cherché le dialogue avec son homologue russe depuis le début de son quinquennat : « Je resterai en contact autant que je le peux et autant que c’est nécessaire avec le président Poutine ».

Dans cette intervention empreinte de solennité, le président français tente pourtant de dramatiser la situation alors qu’il est alors à deux doigts d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Il dit, notamment : « À ce retour du tragique dans l’histoire, nous nous devons répondre par des décisions historiques ». Ce « retour du tragique », Emmanuel Macron ce n’est pas la première fois qu’il l’annonce dans ses interventions, discours et écrits. À plusieurs reprises, il a expliqué, comme s’il s’en félicitait et voulait en tirer parti : « L’Histoire en Europe redevient tragique ».

À l’épreuve des événements, cette intuition se révèle particulièrement juste. Pour le président français, qui excelle dans son rôle de président, la bascule de l’histoire et du monde à laquelle on assiste lui permet enfin de se hisser à la hauteur des grands hommes, ces destins qui pouvaient éclore quand l’Europe faisait encore la grande histoire, ces grands hommes chers à Hegel, un philosophe qu’il a étudié dans sa jeunesse. Dès août 2017, dans une grande interview au Point, il en appelle au retour de « l’héroïsme ». Cette remarque fait étrangement écho à l’heure où les médias occidentaux saluent avec force « l’héroïsme » du président ukrainien Zelensky.

Le magazine Le Point justement présente ce dernier sur sa couverture comme « le héros de la liberté », lui qui fut raillé à ses débuts en politique comme un médiocre acteur qu’il était dans une autre vie. Chez Emmanuel Macron, de nombreux commentateurs l’ont relevé, il y a également un grand talent de théâtre. Depuis son adolescence, la figure du « héros » lui parle à travers la littérature qu’il aime alors dévorer. N’a-t-il pas écrit un roman picaresque, Babylone, Babylone, dans lequel il racontait l’aventure d’Hernán Cortés, le conquistador espagnol qui s’est emparé de l’Empire aztèque ?

Depuis qu’il est arrivé à l’Elysée, ce souci de mise en scène ne l’a jamais quitté. Quand François Hollande manquait cruellement de cette conscience du choc des photos, son jeune successeur a très vite compris que dans notre monde ultra médiatisé, seules les images « impriment » dans la tête des gens (et des électeurs). C’est ainsi qu’en cette semaine de très grande tension pour l’Europe (les militaires de toutes nations craignent sincèrement un dérapage vers un conflit nucléaire de grande ampleur, l’ONU a fait un statement dans ce sens…), le président français tente de s’imposer diplomatiquement, y compris en usant des médias.

Jeudi, on apprenait ainsi, via l’Elysée, qu’il avait eu longuement au téléphone le président Poutine, durant « une heure trente ». À la fin de cet entretien, le château n’a pas hésité à dévoiler une partie des échanges et à exprimer la forte inquiétude du président français qui estime désormais que « le pire est à venir ». Des paroles étranges, là-encore, lorsqu’on souhaite instaurer un climat de « désescalade ». La communication de l’Elysée est allée jusqu’à faire publier dans la presse une partie du verbatim de la conversation : on découvre alors qu’Emmanuel Macron tutoie son homologue russe, et qu’il a invité ce dernier à «cesser de se mentir». Déclarant«Tu te racontes des histoires, tu cherches un prétexte dans tous les cas. Ce que tu me dis n’est pas conforme à la réalité et ne peut justifier ni les opérations militaires en cours, ni le fait que ton pays va finir isolé, affaibli et sous sanctions pour une période très longue.»

Que signifie cette «révélation » ? Pourquoi mettre en scène cet échange forcément « viril » ? Que signifie ce tutoiement entre deux chefs d’État dont l’un est engagé dans une guerre ? Une manière de faire comprendre aux Français que seul l’actuel président français est capable de se hisser à la hauteur de, et de se confronter à ces « grands » de ce monde, sans complaisance ni concession ?

Protecteur de la Nation

Quelques heures plus tard, le changement d’ambiance est radical. Comme si Emmanuel Macron aimait jouer avec les nerfs des Français, en soufflant le froid et le chaud. Dans sa « Lettre aux Français » dans laquelle il annonce sa candidature, il (ré)écrit l’histoire de son quinquennat à l’aune des crises que le pays a traversé : « Rarement, la France avait été confrontée à une telle accumulation de crises. Nous avons fait face avec dignité et fraternité », rappelle-t-il. Cette présentation des choses lui permet de jouer avec le « tout se vaut » de l’époque, mettant sur un même plan le mouvement des Gilets Jaunes et la pandémie…

Comme si la gronde populaire lui avait été imposée de l’extérieur comme le virus. Cette façon de considérer le « tragique », à la mode grecque antique, est en réalité totalement anti-historique et anti-politique. Le propre du tragique est de situer l’humanité dans un destin impossible à dériver, de se réfugier dans la fatalité de dieux qui nous dépasseraient. Elle permet surtout à Emmanuel Macron de se présenter comme le grand « protecteur » de la Nation. En guise de projet, il annonce vouloir « bâtir une Europe-puissance, capable de se défendre et de peser sur le cours de l’Histoire. »

Dès aout 2017, tout le monde l’a oublié, mais le jeune président affirmait au Point : « la France doit redevenir une grande puissance tout court ». Car seule une grande puissance pourra lui permettre de devenir un grand président. Un macroniste de la première heure nous souffle : « son ambition pour le prochain quinquennat est de devenir le leader de l’Europe, son seul président ». Sans l’Union Européenne, le déluge donc. Sans Emmanuel Macron, le chaos.

S’il reconnait dans sa lettre n’avoir « pas tout réussi », il se félicite que « notre industrie a pour la première fois recréé des emplois » et que « les transformations engagées durant ce mandat ont permis à nombre de nos compatriotes de vivre mieux, à la France de gagner en indépendance. » Il y a quelques semaines, interviewée par La Tribune, Agnès Pannier-Runacher, la ministre délégué à l’industrie s’en félicitait de cette manière : « En 2017, quand Emmanuel Macron arrive, un million d’emplois industriels net ont été supprimés entre 2000 et 2016. Par notre action, notamment vis-à-vis des investisseurs étrangers, on recrée de l’emploi industriel avec 37 000 emplois industriels net créés ».

Ce renversement de tendance apparait bien léger. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’a pas encore présenté son projet, ni son programme, à un peu plus d’un mois de l’élection présidentielle. Les éléments de langage, eux, sont pourtant prêts. La députée LREM Aurore Bergé expliquait ainsi dès ce matin sur RFI : « la transformation du pays que nous avons entreprise dès le début du mandat nous a permis de protéger les Français, d’affronter et de surmonter les crises. C’est avec ce bilan  que le président s’engage dans cette campagne ». Cette habilité sémantique ne pourra pas pourtant faire l’économie d’une grande explication auprès des Français avant les votes fatidiques de la présidentielle. Et comme le rappelait, dès 2017, l’historien François Hartog, celui qui aime bien être présenté comme le « maitre des horloges », « mobilise-t-il et illustre-t-il uniquement le kairos grec, celui qui est saisi du moment favorable, fait appel à la mètis, mais n’ouvre nullement un nouveau temps » ? En 2017, Emmanuel Macron nous promettait un « nouveau monde ». Qu’en sera-t-il en 2022 ?

Marc Endeweld.

Marc Endeweld

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