Mines: « Il est temps que le Mali bénéficie de ses ressources »

Après l’annonce de la création d’une société publique minière, l’Etat malien a suspendu l’attribution des permis miniers « jusqu’à nouvel ordre ». Alors que les opérateurs restent dans l’expectative pour la suite, ce pays troisième producteur africain d’or pourrait-il enfin amorcer une nouvelle ère de son exploitation minière ? L’économiste malien Aboudramane Coulibaly répond .

Avec 69,5 tonnes d’or extrait de son sous-sol en 2021, le Mali reste le troisième producteur d’or en Afrique derrière l’Afrique du Sud et le Ghana. L’exploitation du métal jaune y est très importante car elle génère 80% des recettes extérieures et contribue à hauteur de 10% au PIB. Principalement exploité par des compagnies internationales, cet or emprunte majoritairement les routes de l’export vers les grandes capitales occidentales et ce, à l’état brut. Le 28 novembre dernier, le gouvernement de transition a suspendu l’octroi des permis miniers « jusqu’à nouvel ordre », dans le but d’ « améliorer le processus de délivrance et de suivi » desdits permis miniers, comme expliqué par Lamine Traoré, ministre des Mines.

Une dizaine de jours auparavant, les autorités maliennes ont annoncé la création de la Société de recherche et d’exploitation minière du Mali. Mission : développer de nouvelles mines et améliorer les recettes publiques tirées de l’exploitation minière nationale. A noter que le secteur minier malien n’est pas fait que d’or. Ce pays du Sahel, parmi les plus vastes d’Afrique de l’Ouest, dispose également du fer et de la bauxite, mais aussi des pierres fines qui occupent les miniers artisanaux dans les zones abritant les 350 sites miniers artisanaux du pays.

Alors qu’un audit des mines d’or est également en cours depuis plusieurs mois et que le Mali -dont le Premier ministre civil Choguel Maiga vient de faire son comeback- connait encore un contexte socio-politique et économique assez particulier, quelques questions émergent.

 Avec la création de cette société publique et les différentes orientations prises par l’Etat, le Mali amorce-t-il la première étape d’un renouveau dans la gestion de son potentiel minier ?

DR ABOUDRAMANE COULIBALY – Je pense que nous sommes à la troisième génération de l’exploitation minière au Mali, sachant que le code minier malien a d’abord été réformé en 2012, puis en 2019. Toutes les missions d’audit qui avaient été commanditées sont arrivées à l’évidence que l’or brille au Mali, mais l’or ne brille pas pour les Maliens. Nous avons un secteur minier dominé par les groupes miniers internationaux qui, en réalité, profitent des insuffisances en matière fiscale dans le cadre de l’optimisation de leurs résultats fiscaux en fin d’année. Le Mali souffre malheureusement de cette inégalité liée aux investissements dans notre secteur minier.

De plus, nous sommes dans une zone minière où nous sommes confrontés à la montée en puissance de certains pays voisins (notamment la Côte d’Ivoire) qui proposent des avantages fiscaux plus alléchants en termes d’investissements dans le secteur minier dont les opérateurs essayent, dans le cadre d’un arbitrage, d’en tirer profit.

Par ailleurs, il est un peu déplorable que la dernière mission d’audit en cours commanditée par l’Etat malien démontre que la gouvernance des sociétés minières est bien souvent dominée par des non nationaux. Et ce, malgré une clause qui stipule que tant qu’il y a des compétences sur le plan national, il faut les promouvoir. On se souvient aussi du contentieux fiscal de 2015 entre l’Etat et un grand groupe minier dans le cadre de reversement des droits de la TVA, lequel avait même atterri devant les tribunaux genevois en Suisse. Autant de griefs qui font qu’aujourd’hui, le Mali est dans une sorte de refondation aussi bien sur le plan politique, institutionnel qu’économie.

Les clauses minières aujourd’hui ont été notamment citées lors des assises nationales de la refondation afin qu’on puisse procéder à une relecture totale de tous les contrats miniers et la décision du Mali rentre dans cette dynamique.

La création d’une société nationale de recherche minière est également un vœu exprimé par l’ensemble de la société civile malienne. Le Mali l’avait déjà entamé dès les années 1960 avec la mise en place d’une société publique par Feu le Général Moussa Traoré. Cela n’avait pas abouti à des résultats concrets en raison de l’absence à cette époque d’un cadre légal et réglementaire solide et d’une main d’œuvre locale de qualité.

Aujourd’hui, le temps est passé, les générations se sont succédées. Il y a désormais une volonté affichée par les autorités de s’approprier ce patrimoine géologique qui constitue aujourd’hui l’une des sources importantes des recettes du pays.

La démarche actuelle est-elle donc celle qui permettra de faire briller l’or pour les Maliens selon vous ?

Pourquoi pas ? C’est une dynamique qui est déjà enclenchée. Dans le code des investissements, il est prévu que les sociétés minières investissent également dans certaines régions, dans le cadre du développement local. Mais l’évaluation des réalisations par rapport au cahier des charges montre que les sociétés minières sont à moins de 10% de leurs investissements par rapport aux bénéfices générés chaque année grâce aux titres miniers dont elles sont détentrices.

Autant d’éléments qui font qu’aujourd’hui, le pays arrive à l’évidence selon laquelle la seule alternative crédible qui puisse permettre aux Maliens de profiter de leurs ressources minières, est la solution nationale. C’est une solution qui a été réfléchie pendant longtemps. Aujourd’hui, nous avons une montée en puissance des cadres dans le secteur minier qui s’est construite au cours des décennies.

En 1985 lorsqu’il y a eu l’ouverture de la première du mine du Mali au Sud du pays, les Maliens ont pu profiter de la présence des Australiens, des Sud-africains, des néo-zélandais et autres. Une dynamique qui s’est poursuivie avec la libéralisation du secteur en 1992. De nombreux cadres maliens disposent donc aujourd’hui d’un capital-expérience et savoir-faire important qu’ils peuvent mettre à la disposition du pays. Je rappelle que nous avons aussi au Mali des mines artisanales qui sont dirigées par des Maliens. Il y a donc une certaine connaissance du secteur minier dans le pays.

Mais que dire du volet industrie. Il est souvent reproché à nos pays d’exporter à l’état brut nos matières premières si innombrables. L’or malien notamment va principalement vers la Suisse et l’Afrique du Sud, mais aussi vers les pays du Golfe. Comment le Mali peut-il mettre en place un système d’industrialisation minière qui soit efficace et ajoute de la valeur à l’économie ?

Tout d’abord, j’aimerais préciser ceci : je ne pense pas qu’il est question pour le Mali de rejeter les étrangers. Le Mali reste un pays très ouvert de par sa tradition d’hospitalité. Mais le véritable problème aujourd’hui réside dans l’architecture juridique. Une société nationale de recherche minière sera créée, mais fera appel à toutes les expertises nationales et internationales.

Prenons le cas d’un pays traditionnellement minier comme le Ghana, les miniers nationaux sont arrivés à un certain niveau d’expertise. De nombreux cadres ingénieurs géologues ghanéens travaillent au Mali. Pendant plusieurs décennies pourtant, les ingénieurs travaillant dans les mines du Ghana et du Burkina Faso étaient Sud-africains.

Dans le cadre de cette ouverture cependant, il faudrait que la souveraineté du Mali en matière fiscale soit respectée. Je crois que l’Etat est plutôt dans une logique d’accueillir à bras ouverts les initiatives, à condition que ces opérations se passent dans un cadre légal et réglementaire, conformément aux législations en cours dans le pays. Pendant longtemps, les autorités maliennes ont été trop peu regardant sur ces questions.

Par ailleurs, les responsabilités sont partagées. C’est également une responsabilité qui est partagée du fait que nos administrations fiscales et minières étaient corrompues. Les licences d’exploitation qui avaient été offertes à certaines compagnies qui ne respectaient pas le périmètre d’exploitation… les redevances payées à l’Etat du Mali étaient en dessous des prévisions qui avaient été établies dans les business plan présentées par les opérateurs miniers dans le cadre de leurs investissements… Ce sont donc autant d’éléments qui font qu’aujourd’hui, nous estimons que l’option économique actuelle pourrait favoriser le développement économique du pays.

La situation de transition politique qui devrait durer jusqu’en 2024 ne pourrait-elle freiner cette dynamique vers la construction d’un secteur minier à valeur ajoutée ?

Une transition n’a pas vocation à s’éterniser au pouvoir, mais elle doit établir les conditions préalables pour qu’un régime constitutionnel investi suite aux élections puisse aisément orienter les grandes décisions du pays. Il est important que cette transition établisse les soubassements d’une nation prospère et inclusive en termes de croissance économique. Car si cette transition passe avec la classe politique malienne qui, pendant quatre décennies a présenté des limites en termes de corruption, rien ne garantit qu’avec l’arrivée des civils au pouvoir, nous allons réussir ces réformes d’ordre institutionnel, réglementaire et sectoriel. Comment comprendre qu’un pays aussi grand producteur d’or que le Mali connaisse encore des inégalités sociales aussi extrêmes en termes de pauvreté et de dividende économique par rapport à ses investissements. Il est temps que le pays puisse bénéficier de ses ressources géologiques et entamer une autre trajectoire de son développement.

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