Orpaillage artisanal, futur facteur de crise en Mauritanie ?

Depuis 2016, la Mauritanie connait une ruée vers l’or inédite sur son territoire. A défaut d’attirer des opérateurs miniers internationaux, le pays encourage l’orpaillage. Si le secteur extractif formel contribue à la croissance économique du pays, la faiblesse réglementaire qui encadre les Exploitations minières artisanales à petite échelle (EMAPE) implique des risques qui dépassent les bénéfices à court terme.

L’extraction d’or, secteurs formel et informel confondus, est une source de revenu non négligeable pour l’Etat mauritanien, de l’ordre de 780 millions de dollars en 2020 (ministère des Finances). Le secteur informel a généré, sur ce total, près de 130 millions de dollars en 2020. L’ouverture de l’exploitation aurifère aux orpailleurs traditionnels en 2016 en Inchiri (Chami), et à partir de 2017 dans le Tiris Zemmour (Chegatt, Zouerate) a par ailleurs permis la création de près de 45 000 emplois directs (orpaillage) et près de 100 000 emplois indirects, selon les chiffres officiels. Si l’on se fie aux statistiques officielles, l’ouverture de l’exploitation aurifère dans un pays où le chômage des jeunes atteint 31%serait une aubaine véritable. Cependant, le vide réglementaire et le déficit de gouvernance favorisent la prolifération d’une pratique dangereuse pour les orpailleurs et pour les populations locales. En l’absence de normes, d’équipements et de formations appropriés pour exercer l’orpaillage en toute sécurité, cette pratique pourrait rapidement représenter une menace écologique, sanitaire et sécuritaire.

Dommages environnementaux

Selon une étude publiée en 2017et menée conjointement par l’institut fédéral allemand de géoscience (BGR) et l’agence de développement allemande (GIZ), les orpailleurs en Mauritanie constituent le plus important facteur de risques environnementaux. L’Intergovernmental forum (IGF) souligne certaines insuffisances en matière de réglementation. En effet, contrairement aux grands opérateurs miniers actifs en Mauritanie, les mineurs artisanaux ne sont pas soumis aux normes environnementales internationales.

Il semble opportun de rappeler que la mauvaise manipulation du mercure et du cyanure est néfaste pour les écosystèmes. Les processus d’orpaillage impliquant de rejeter du mercure dans l’environnement, les sols et les ressources en eau s’en trouvent alors pollués. Certains experts n’excluent pas la contamination de cours d’eaux souterrains et nappes phréatiques, voire du parc naturel maritime du banc d’Arguin. Ce dernier paramètre devient doublement problématique à considérer la part de la pêche dans le PIB mauritanien, qui s’élève à 30%.

Danger sanitaire

Le mercure, utilisé pour amalgamer et concentrer le minerai préalablement broyé, libère des vapeurs toxiques invisibles et inodores. En raison de sa grande volatilité, les orpailleurs et les personnes à proximité peuvent être exposés à une intoxication au mercure, entrainant des troubles neurologiques, rénaux et auto-immuns. Les enfants et les femmes enceintes sont particulièrement vulnérables à ces risques sanitaires. Il est difficile d’avoir un chiffre précis et fiable des victimes à ce jour ; même si de nombreux témoignages du Ghana ou du Mali témoignent d’une forte mortalité chez les orpailleurs. Un phénomène que l’on retrouve aussi en Guyane française. Selon un rapport publié en 2018 par l’organisation WWF, des études menées sur les populations indigènes amazoniennes (femmes et enfants) auraient mis en valeur de taux de concentration [de mercure] largement supérieurs à la moyenne dans 90% des cas ; voire quatre fois supérieures à la normale dans certaines populations selon une autre étude de 2013.

Menace sécuritaire

Entre 2016 et 2021, l’arrivée exponentielle d’orpailleurs a entrainé un choc démographie dans leTiris Zemmour et en Inchiri. A Chami, la population a largement augmenté, passant de 5000 à 48 000 individus en seulement 4 ans. Cette ville nouvelle, à l’origine érigée pour favoriser la sédentarisation des nomades et des pasteurs, est aujourd’hui peuplée par des Mauritaniens en provenance de tout le pays – ainsi que de travailleurs émigrés en provenance du Soudan, du Mali et du Soudan) – au risque d’envenimer les relations entre orpailleurs perçus comme « étrangers » et pasteurs nomades. Ces incidents, réguliers, sont de nature à envenimer une situation inter-ethnique déjà tendue en Mauritanie et plus largement dans le Sahel.

L’été dernier, c’est un bureau de police de Chami qui a été livré aux flammes par des orpailleurs protestants contre le système de taxation. Plus récemment, en janvier 2021, des tensions ont eu lieu sur la zone frontalière avec la Mauritanie, opposante les orpailleurs et les forces armées marocaines. Cet événement est extrêmement représentatif de la perméabilité entre les différents acteurs perturbateurs de la zone : trafics divers, grand banditisme, séparatisme sous influence et radicalisation religieuse. Cela prouve également à quel point la présence du Maroc dans ses provinces du Sud est un facteur clef de stabilité pour la zone sahélo-saharienne occidentale, zone aussi sensible qu’une poudrière. Répondant à la triple problématique de sécurisation, de développement social et de promotion d’un Islam dit du « juste milieu », le Royaume chérifien doit être soutenu dans ces efforts et la Mauritanie devrait soigner la coopération militaire envisagée entre les deux États.

Autre problématique, peu prise en compte par la Mauritanie : la fuite de prés de 70% de la production d’or artisanale sur le marché noir. Celle-ci finance indirectement le terrorisme et la criminalité endémique de la zone, tout en constituant une perte de revenue importante pour le pays, de l’ordre de 300 millions de dollars, soit près de 40% du revenu du secteur aurifère en 2020.

En définitive, l’extraction artisanale mauritanienne semble bien, dans sa matrice, un outil destiné à maintenir un statu quo social plus qu’un vecteur de création de richesses. L’Etat mauritanien tente cependant de réagir pour organiser de manière plus minutieuse la production d’or des mineurs artisanaux. C’est la raison de la création, en 2019, d’un système de licences d’exploitation, ou bien la constitution d’une entreprise publique, la MAADEN, chargée d’organiser la pratique de l’orpaillage dans la zone d’extraction du Tiris Zemmour. Si l’on peut naturellement s’attendre à des résultats, il n’en demeure pas moins que les moyens mis en œuvre sont trop limités à ce stade pour gérer l’afflux d’orpailleurs et leurs conséquences sur la sécurité et l’environnement de la région.

(*) Ronan Wanlin est expert en intelligence économique. Il est également secrétaire général de l’Observatoire d’études Géopolitiques.

Par Ronan Walin

 

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