Où sont les maires-stratèges d’Afrique ?

Alors que les communes africaines tracent leurs chemins dans un environnement international hautement concurrentiel, l’enjeu réel de leur compétitivité réside dans leur capacité à expliciter les axes qui en font des communes stratèges. Les maires-stratèges restent, quant à eux, attendus sur le pont de la compétitivité territoriale.

Si les Etats africains, munis de leurs plans de développement ou feuilles de routes gouvernementales poursuivent leur course vers une émergence plus ou moins définie, il n’en est pas souvent le cas pour les Communes. Celles-ci ont pourtant besoin de mettre en place des dispositifs de compétitivité qui prennent racine au sein de leurs territoires et qui aient pour vocation à porter leur croissance dans le sens de leurs intérêts stratégiques.

Les révélations sous-jacentes du 42è sommet de l’AIMF

Pour les villes, aujourd’hui devenues de véritables caisses de résonnance du potentiel de nos localités, il serait un euphémisme de dire que les défis sont multiples. S’il en va d’elles comme de véritables machines, il ne fait aucun doute que cela tient à leur complexité, laquelle amplifie la nécessité de les gérer en reniant l’abstraction de leurs contraintes multisectorielles. Car en effet, qu’il s’agisse, d’emploi, d’eau, d’assainissement, d’environnement, de population, de droits humains, de logement, d’éducation, d’alimentation ou de financement, il est toujours bénéfique d’opter pour une logique d’ensemble en explicitant les relations parfois larvées de cause à effet, mais il est surtout vital d’adopter une approche stratégique fondée sur une vision à terme défini. Mais pour cela, il importe avant tout de faire le constat des atouts et limites du territoire.

Si les maires présents au 42è congrès de l’association internationale des maires francophones d’Abidjan ont sans doute identifié les problématiques des compétences et du financement dans une chronologie incertaine, ils ont peut-être un peu trop vite (et justement) cité celle du financement comme étant une limite évidente à leur capacité de construire des villes plus durables et résilientes. Mais avant que de produire l’énoncé, il aurait peut-être fallu marquer un parti-pris : celui de la nuance entre une solution quasi tacite dont l’évocation spontanée entrave et fait chanceler la lucidité permise par la hiérarchisation des besoins et un outil dont l’usage n’est jamais aussi judicieux que lorsqu’il est précédé par l’exercice crucial du diagnostic. De fait, il apparaît manifeste que dans leur élan, plusieurs maires, pleins de volonté et non pas simplement de souhaits, aient révélé leurs fragilités, plus qu’ils n’aient dit leurs réelles nécessités. De leur donner raison, sous réserve de l’incertitude, sans déchirer à belles dents leur logique, qui du reste demeure sincère, reviendrait à leur offrir un intermédiaire entre eux et leur conviction exprimée, afin que dans l’évaluation, ils acquièrent de la réinventer dans la mobilisation des possibles de l’intelligence territoriale. C’est alors que de meilleures perspectives seraient plus accessibles aux maires de Bangui (Centrafrique), Labé (Guinée), Zinder (Niger), Port-Gentil (Gabon), Abomey-Calavi (Bénin), etc., présents à la première COP des villes. Y compris pour l’accès aux financements.

Un outil de la diplomatie des villes

L’intelligence territoriale (IT) s’impose de fait comme une nécessité rendue impérative par le besoin de dynamiser les villes africaines dans la promotion de leur attractivité et dans la quête de partenariats internationaux. Nous l’appelons de tous nos vœux, au profit des Communes en la définissant avant tout comme une volonté politique de mettre en œuvre une architecture institutionnelle optimisée pour le pilotage du développement local. Elle aurait ainsi pour vocation à permettre un meilleur rapprochement des secteurs public et privé et à favoriser l’identification et la sécurisation des atouts des territoires, engendrant au niveau local, l’émergence de poids lourds économiques capables de porter les réalités de leur milieu, de bâtir un écosystème, de créer des emplois durables, etc.

Cela suggère qu’il faille mettre l’information stratégique au cœur de l’administration territoriale, un effort au gré duquel elle pourrait se hisser en véritable unité de mesure des politiques publiques de développement local pour densifier l’attractivité, protéger les actifs territoriaux, sanctuariser les patrimoines locaux et renforcer les avantages de la city diplomacy.

Un tremplin pour l’intelligence territoriale

Une approche pareille serait implacable dans le contexte actuel de la mondialisation pour valoriser la capacité des communes et des régions africaines à construire et promouvoir l’identité et le génie local. C’est aussi en cela que l’influence prend du sens pour donner des couleurs à l’image de marque du territoire. Au demeurant, faut-il noter qu’au-delà de cet aspect, la mise en place d’une stratégie de promotion des territoires serait décisive pour mettre ces collectivités dans un sain état de coopétition. De quoi stimuler leur environnement économique, doper leurs performances, réduire les disparités interrégionales du point de vue du développement, créer des compétences locales, lutter contre l’exode et générer les champions nationaux.

La décentralisation en cours dans les pays africains, bien que longue, représente alors un tremplin, sans doute à regarder comme le socle d’une nouvelle diplomatie des villes, capable de booster l’expansion et le rayonnement concomitants des collectivités, faisant d’elles des véhicules du savoir-faire et de l’identité. Les communes et associations des communes ont ainsi un rôle à jouer dans l’implémentation d’un processus de conception et mise en place des instruments, procédés et démarches de l’intelligence territoriale, en commençant par assumer pleinement leur désir de compétitivité. Ce serait décisif pour propulser l’avancée des territoires vers la cime du progrès. Et s’il fallait avant tout des « maires stratèges » ?

(*) Ingénieur du bâtiment. Il se définit davantage comme un « socioingénieur » du fait de son engagement au profit du développement des bâtiments et villes durables en Afrique. Président de Construire pour demain, association de promotion des bâtiments et villes durables en Afrique, il est aussi cofondateur de Starksolutions, cabinet de conseil en intelligence territoriale.

Challenges Radio

Read Previous

Maroc : investissements, export, performance des EEP…, ces As de Mohammed VI

Read Next

La dépréciation de l’euro face au dollar ajoute de l’inflation à l’inflation

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.