Une étude publiée aujourd’hui par « The Lancet » révèle les impacts de la résistance aux antimicrobiens qui tue davantage que le paludisme ou le VIH-Sida à l’échelle mondiale. Avec 255 000 décès enregistrés en 2019, le continent africain est la région du monde la plus affectée par ce phénomène.
D’après de récentes recherches menées par des experts indépendants, la résistance aux antimicrobiens (RAM) ferait, avec près de 1,27 million de décès par an, plus de victimes que le paludisme et le VIH-Sida (respectivement 830 000 et 1 120 000 décès, The Lancet). En 2019, un décès sur cinq chez les enfants de moins de 5 ans était imputable à la RAM, « souvent à cause d’infections qui étaient traitables auparavant », précise leur rapport.
L’Afrique subsaharienne paye le plus lourd tribut avec « 255 000 décès dus à la RAM en une seule année », révèle ainsi l’étude intitulée Charge mondiale de la résistance bactérienne aux antimicrobiens dans 204 pays et territoires en 2019 : une analyse pour l’étude sur la charge mondiale de morbidité, publiée par The Lancet.
Selon des prospectives antérieures, les experts estimaient à 10 millions le nombre de décès annuels qui pourraient être provoqués par la RAM d’ici 2050, mais cet horizon semble aujourd’hui se rapprocher dangereusement. « Les conclusions de ce rapport montrent que nous sommes en train de perdre la course contre la RAM et que nous devons collectivement prendre des mesures immédiates », prévient Raphael Chanda, Senior Policy Officer chez ReAct Africa (membre du réseau international ReAct, constitué d’experts spécialisés en matière de résistance aux antibiotiques).
Le professeur Benn Sartorius de l’équipe de direction du GRAM (projet de recherche mondiale sur la résistance aux antimicrobiens) à l’Université d’Oxford invite les décideurs politiques à se saisir de ces résultats pour passer à l’action et pour engager de vastes plans d’action.
A ce jour, les vaccins ne sont disponibles que pour deux (streptococcus pneumoniae et mycobacterium tuberculosis) des sept bactéries pharmacorésistantes les plus mortelles. Sur ces sept bactéries identifiées comme des « agents pathogènes prioritaires » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « deux seulement ont fait l’objet d’importants programmes d’intervention sanitaire au niveau mondial », indique le rapport.
Tim Jinks, responsable d’intervention dans l’unité des maladies infectieuses au Wellcome Trust (une fondation en médecine dont le siège est basé à Londres), considère qu’à l’instar de « la Covid-19, nous savons ce qu’il faut faire pour lutter contre la RAM, mais il nous faut maintenant nous mobiliser en faisant naître un sentiment d’urgence et un esprit de solidarité mondiale, si nous voulons réussir ».
L’Afrique, première victime de la résistance aux antimicrobiens
Plusieurs raisons expliquent l’ampleur de la résistance de l’Afrique subsaharienne aux antimicrobiens, comme le manque de réglementation dans certains pays qui conduit nombre de patients à se procurer des antibiotiques sur les marchés locaux, parfois sans notice, disposés à même l’étal du marchand, disponibles au détail à moindre coût et délivrés sans ordonnance. Les produits contrefaits y circulent abondamment.
Entre 2013 et 2017, 42 % des faux médicaments signalés venaient d’Afrique, selon l’OMS. La vente illégale d’antibiotiques conduit trop souvent à des traitements inadéquats ou à une surconsommation, participant de fait à l’émergence de la RAM.
La résistance aux antimicrobiens relève aussi d’un « manque de données produites localement sur des combinaisons spécifiques entre insectes et médicaments », estime Raphael Chanda. Par ailleurs, l’accès parfois difficile des patients aux établissements de santé les incitent également à s’orienter vers l’automédication.
Enfin, l’usage d’antibiotiques pour lutter contre certaines bactéries pourrait être évité grâce à la vaccination ou à l’amélioration de l’hygiène et des systèmes d’assainissement.
Les maladies diarrhéiques provoquent chaque année la mort de 1,5 million de personnes et représentent la deuxième cause de décès chez les enfants en bas âge selon l’OMS, dont une majorité se trouve en Afrique. « Les enfants de moins de 5 ans pourraient être protégés de la maladie pneumococcique et de la méningite à haemophilus influenzae de type B grâce à la vaccination (…) Les maladies diarréhiques provoquées par le manque d’hygiène, y compris le vibrion cholérique et la salmonella typhi, ainsi que les épidémies saisonnières de méningoccie, sont autant d’infections qui pourraient également être évitées », ajoute Raphael Chanda.
Si l’étude publiée ce jour par The Lancet donne l’alerte sur l’ampleur du phénomène, encore faudra-t-il trouver les fonds nécessaires pour endiguer la résistance aux antimicrobiens à l’heure où la Covid-19 fait déjà peser une pression inédite sur la finance sanitaire mondiale.