Pourquoi l’Allemagne aide-t-elle davantage ses entreprises que la France ?

On lance une chronique sur la guerre économique en Europe. Premier volet de cette nouvelle chronique, les aides des pays européens à leurs entreprises. Contrairement à l’Allemagne, la France n’est pas un pays qui dépense trop pour aider ses acteurs économiques, mais un pays qui dépense mal et pas suffisamment, car il ne gagne pas assez. Par Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique.

On lance une chronique sur la guerre économique en Europe. Premier volet de cette nouvelle chronique, les aides des pays européens à leurs entreprises. Contrairement à l’Allemagne, la France n’est pas un pays qui dépense trop pour aider ses acteurs économiques, mais un pays qui dépense mal et pas suffisamment, car il ne gagne pas assez. Par Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique.

Le parlement allemand vient d’entériner une aide d’État de 200 milliards d’euros destinée à amortir le choc de l’augmentation des prix de l’énergie en Allemagne. À l’opposé, considérant que les finances publiques en France ne permettent pas de suivre une logique d’aide aussi massive, le gouvernement français fractionne les aides pour un montant total bien inférieur, comme en témoigne la dernière mesure destinée aux PME pour un montant de 10 milliards.

L’Union européenne (UE), dont on a souvent dit qu’elle avait érigé la politique de concurrence en principe sacro-saint, s’en émancipe donc par la guerre économique à laquelle se livrent ses États membres à coups de milliards d’euros octroyés aux leurs.

Aides allemandes : concurrence déloyale en Europe

Et c’est comme presque toujours l’Allemagne qui déclenche les hostilités par un jeu de dupes. Alors que l’on pensait avoir un accord au sein du Conseil européen pour une réponse commune face à l’augmentation des prix de l’énergie, l’Allemagne décide seule et dans le dos de ses partenaires de distribuer des aides publiques à ses acteurs économiques. Ces aides vont forcément créer des situations de concurrence déloyale dans le marché intérieur européen et dans la compétition entre États dans les niveaux d’aide octroyés aux acteurs économiques afin de conquérir des parts de marchés dans les pays tiers à l’UE.

En temps normal, une telle aide ferait réagir la Commission européenne. Mais le contexte de la guerre russo-ukrainienne, la peur d’affaiblir la première économie de l’UE et, surtout, un système décisionnel européen sous contrôle germanique font que cette aide ne sera probablement pas condamnée et ne donnera pas lieu aux amendes habituelles.

Aucune compensation pour la France

Comble de tout, la France, qui subit déjà les choix énergiques allemands désastreux depuis des décennies (l’affaire du gaz russe et des « inquiétudes » américaines remonte au début des années 1980), n’a rien obtenu dans les négociations européennes. Les attaques venant d’outre-Rhin à travers la taxonomie européenne contre le mix énergétique français orienté vers le nucléaire sont encore dans toutes les mémoires. De plus, le prix du gaz ne sera pas plafonné, l’Allemagne ayant déjà acheté tout ce qu’elle pouvait sur les marchés et cela malgré les espoirs d’achats communs européens à prix identiques.

En outre, si en Europe on s’oriente vers un prix de l’électricité désormais découplé de celui du gaz, c’est probablement dans l’espoir que la France connaisse de nouveau une production excédentaire. Auparavant, l’Allemagne considérait que cela aurait conduit à une concurrence déloyale. Désormais, outre-Rhin et ailleurs, on pourrait ainsi espérer que la France vende de l’électricité peu chère en dehors de ses frontières et à bas prix tout en évitant aussi à EDF renationalisée de se « gaver » avec des marges reconstituées par des prix élevés.

L’Europe fantasmée par la France

En conséquence, avec les sujets d’industrie de défense et spatiale, ces tensions sur les sujets énergétiques ont provoqué une bouderie française. La réaction française d’annulation du conseil des ministres franco-allemand et d’absence de déclaration commune à l’issue de la venue du Chancelier allemand à Paris apparaît nécessaire mais pas suffisante. Pourtant, bien des commentateurs se limitent à spéculer sur la personnalité fermée et autoritaire d’Olaf Scholz pour expliquer les tensions de franco-allemandes. Cet art de la diversion et de la dissertation inutile fait oublier que le problème est bien plus profond et ancien avec une Allemagne qui s’arme économiquement pendant que la France en appelle à une Europe fantasmée plus que réelle.

Depuis la crise Covid, la réglementation sur les aides d’État a été régulièrement aménagée afin d’éviter l’effondrement des économies européennes. Les États les plus stratèges en Europe, à l’instar de l’Allemagne — que l’on ne peut pas blâmer en l’espèce — en ont profité pour aider leurs acteurs économiques. Les aides les plus efficaces ont été octroyées en fonds propres afin de protéger des prédations et permettent de croquer des concurrents fragilisés. L’option retenue en France, le « quoi qu’il en coûte » (prêt remboursable) s’est avérée moins stratégique.

Surtout, pour comprendre la logique des aides d’État en France, il faut remonter avant la crise COVID et observer des tendances lourdes. Le rapport annuel de la Commission européenne en matière de concurrence fournit tous les éléments pour comprendre que l’Allemagne hors crise (« par temps calme ») pratiquait déjà beaucoup plus les aides publiques que la France.

Aides : l’écart se creuse entre la France et l’Allemagne

Il est ainsi aisé de constater — en pourcentage du PIB, donc en données comparables — que l’Allemagne alloue beaucoup plus d’aides que la France. Étant donné que le PIB allemand est supérieur au PIB français, l’écart se creuse encore davantage en valeur absolue des montants versés.

La comparaison entre la France et l’Allemagne montre que cette réalité d’aides aux entreprises supérieures outre-Rhin est déséquilibrée depuis des années (N.B. : les échelles en milliards d’euros sont différentes entre les deux pays).

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On notera également que les aides allemandes ciblent des secteurs clefs et très stratégiques. Ainsi, dans le domaine des énergies en 2019, l’Allemagne a octroyé des aides presque cinq fois supérieures à celles allouées par la France en pourcentage du PIB.

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Non seulement l’Allemagne optimise la réglementation existante, mais elle n’hésite pas non plus, avec des partenaires européens de choix, à solliciter des autorisations exceptionnelles. À titre d’exemple, une aide d’État de 2,9 milliards d’euros a été autorisée par la Commission européenne dans le domaine des batteries, quasiment sans entreprise française impliquée.

 

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Les tomates néerlandaises inondent l’Europe

Il va de soi que l’Allemagne n’est pas le seul État membre à agir ainsi et que tous les secteurs économiques sont concernés. À titre d’exemple, l’agriculture française, censée être l’une des plus performantes en Europe, bénéficie en France d’aides publiques au même niveau, en valeur absolue, que l’agriculture néerlandaise en reçoit de son gouvernement. Les Pays-Bas ayant moins de superficie et d’exploitations agricoles que la France, on comprend mieux pourquoi nous mangeons des tomates néerlandaises dans toute l’Europe. Il appert aussi que les aides d’État par filières sont beaucoup plus stratégiques que celles de la PAC (politique agricole commune) allouées à l’hectare.

En conséquence, il ressort du mécanisme des aides d’État que plus on les pratique, plus on s’enrichit. C’est d’ailleurs ce que dénoncent plusieurs eurodéputés d’Europe de l’est et du sud à travers les aides d’État allemandes et même, dans une moindre mesure, les aides d’État françaises. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2022-003349_EN.html

Notre économie s’affaiblit

En outre, il est paradoxal de constater que la France, si souvent accusée d’être une économie étatisée, colbertiste…, est en réalité un « moyen/petit joueur » sur ce terrain. Pire, nous finançons en grande partie les aides d’État allemandes par les excédents commerciaux records obtenus par les entreprises germaniques chez nous. Et moins la France pratique les aides publiques, moins son commerce extérieur sera florissant, même si cela n’en constitue pas la cause exclusive. C’est ainsi un cercle vicieux infernal qui se retourne contre notre économie affaiblie. Sans oublier que, plus l’économie française s’effondre, plus la perte d’influence de la France en Europe est grande.

Pourtant, à Bercy, il semblerait que limiter les aides d’État constitue un satisfecit de bonne gestion et une fierté de juguler des demandes excessives en jouant le rôle de rempart protecteur des finances publiques.

Paris dépense mal et pas suffisamment

Au moment où notre pays continue de s’entre-tuer sur son budget, les dépenses sociales, les retraites…, il est donc utile de regarder nos « partenaires/concurrents » européens. En comparant avec l’Allemagne, on comprend que l’Hexagone n’est pas un pays qui dépense trop pour aider ses acteurs économiques, mais un pays qui dépense mal et pas suffisamment, car il ne gagne pas assez. Il est plus que temps de cibler les aides d’État vers des acteurs économiques publics comme privés français qui contribuent à conquérir des parts de marchés dans le marché intérieur européen et dans les pays tiers. Bien entendu, il faudra aussi sécuriser leurs activités par le droit et les stratégies de l’UE. Telle est la condition pour retrouver puissance et prospérité en Europe et, en France, un pacte social apaisé.

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