La devise japonaise évolue à ses plus bas niveaux face au dollar qui est monté jusqu’à 135,19 yens ce lundi matin, un record depuis octobre 1998. Si la faiblesse du yen peut représenter un atout pour le Japon en dopant ses exportations, elle contribue à alimenter l’inflation dans un contexte de flambée des coûts de l’énergie. Malgré une hausse des prix qui reste mesurée dans l’archipel, la grogne des ménages japonais, peu habitués à un tel phénomène, pourrait contraindre les autorités à changer de politique monétaire.
Que se passe-t-il avec la devise japonaise ? Le yen connaît un déclin brutal de sa valeur, accentué depuis le mois de mars, et évolue désormais à ses plus bas niveaux depuis près de 24 ans face au dollar. Ce dernier est monté jusqu’à 135,19 yens ce lundi matin, un record depuis octobre 1998 avant de redescendre à 134,70 yens.
Pour comprendre ce phénomène, il faut regarder du côté des Etats-Unis où les prix à la consommation ont grimpé à 8,6% en mai sur un an, contre 8,3% en avril, du jamais vu depuis 1981, selon des données publiées vendredi dernier. Ce qui a conduit la banque centrale américaine (Fed) à resserrer sa politique monétaire. Début mai, elle a eu recours à une forte hausse d’un demi-point de ses taux directeurs pour la première fois depuis 2000 et a annoncé, au regard des chiffres de l’inflation qui ne baissent pas, qu’il était « très difficile d’envisager une pause » dans cette stratégie, en septembre. Or, l’écart grandissant entre la politique monétaire de la Banque du Japon (BoJ) et celle de la Réserve fédérale américaine, pénalise le yen. En effet, le Japon a décidé de maintenir sa politique monétaire ultra-accommodante de taux faibles. Le taux de dépôts des établissements financiers auprès de la BoJ est actuellement de 0,1%, afin de les inciter à prêter et à investir davantage dans l’économie réelle.
Au Japon, la hausse des prix (hors produits frais) a atteint 2,1% en avril sur un an. Si c’est un record national depuis 2015, le chiffre reste bien loin des niveaux observés aux Etats-Unis ou en Europe. En outre, la Banque du Japon ne s’attend pas pour l’instant à ce que ce niveau d’inflation se maintienne au-delà de l’exercice 2022/23 entamé le 1er avril.
Pourtant, cette légère hausse des prix commence à se ressentir parmi les ménages japonais, qui souffrent en particulier de la flambée des cours de l’énergie et d’autres matières premières, aggravée par la guerre en Ukraine. Le Japon est, en effet, un gros importateur d’énergies fossiles. Or, un yen faible par rapport au dollar augmente le prix des importations réalisées. Sans compter que les Japonais sont peu habitués aux hausses de prix dans un pays marqué par une déflation depuis les années 1990. Le gouverneur de la BoJ Haruhiko Kuroda a d’ailleurs dû publiquement retirer mercredi dernier des propos polémiques tenus quelques jours plus tôt, quand il avait affirmé que les Japonais devenaient plus « tolérants » envers l’inflation parce qu’ils avaient accumulé de l’épargne durant la pandémie. Les petites et moyennes entreprises, centrées sur le marché national sont, elles aussi, en difficulté comme l’a admis, ce lundi, Haruhiko Kuroda. Une « dépréciation rapide du yen » est « négative » pour l’économie nationale, dans la mesure où cela accroît les incertitudes et rend difficile pour les entreprises d’établir des prévisions sur leurs activités, a-t-il reconnu. Cela pourrait également provoquer une perte de confiance dans les actifs libellés en yen. Par ailleurs, le prix élevé des importations, provoqué par un yen faible, creuse le déficit commercial du pays qui a atteint son pire niveau mensuel en huit ans en janvier dernier.
Du positif et du négatif
Des inquiétudes nuancées par le ministre des Finances Shunichi Suzuki, ce lundi : « Il y a des côtés positifs et négatifs au yen bon marché », a-t-il assuré, plaidant comme Haruhiko Kuroda pour des hausses de salaires plus importantes pour contrebalancer le renchérissement des importations et créer un cercle économique vertueux. Car un yen faible a aussi ses avantages, notamment pour les groupes japonais exportateurs ou très présents à l’international comme le géant automobile Toyota, car cela dope artificiellement leurs bénéfices réalisés à l’étranger une fois convertis en yen. Cela pourrait aussi aider le Japon à relancer dans les prochains mois son industrie touristique, qui était devenue un facteur de croissance non négligeable avant la pandémie.
Les autorités japonaises ne semblaient donc pas décidées à agir pour l’instant. Mais cette tendance pourrait évoluer dans les prochaines semaines. Dans un communiqué commun rarissime, le ministère nippon des Finances, la Banque du Japon et le gendarme financier japonais (FSA) avaient déclaré en fin de semaine dernière qu’ils prendraient des « mesures appropriées si nécessaire » contre la chute du yen, sans préciser lesquelles. Une réunion régulière sur deux jours de la BoJ est d’ailleurs prévue jeudi et vendredi. Une intervention unilatérale de Tokyo sur le marché des changes paraît toutefois improbable, tout comme un revirement de la BoJ, qui juge que l’économie nippone n’est pas encore mûre pour resserrer les conditions du crédit.
(Avec AFP)