Quelques éléments pour une zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) réussie

Par Thomas YAPO

Héritage de l’époque coloniale, les pays d’Afrique exportent essentiellement des matières premières brutes vers l’Europe ou l’Asie mais échangent peu entre eux. En effet, seulement 16% du commerce des États africains se fait dans le continent. A l’instar de l’Europe, l’Afrique veut s’unir et augmenter le commerce intra-africain avec son marché potentiel de 1,2 milliard d’habitants. Une zone de libre échange est le premier pas vers une union économique dont les théoriciens du panafricanisme rêvent depuis des décennies.

Le 1er janvier 2021 le projet de zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) voit donc le jour avec, au moment de la rédaction de cet article, 54 pays signataires de l’accord (la totalité des pays du continent sauf l’Érythrée) et 34 pays ayant ratifié cet accord. Avec son siège au Ghana, l’objectif de la ZLECAf est de baisser les droits de douane de 90% pour les produits fabriqués à l’intérieur du continent. Cette baisse des droits de douane pourrait donc entraîner une hausse des échanges et de l’industrialisation. Le continent verrait alors son produit intérieur brut de 2’300 milliards de dollars (plus que celui de l’Italie mais moins que celui de la France) augmenter. Mais certains considèrent non viable voire utopique ce modèle de développement Sud-Sud. Aussi, il est intéressant de s’interroger sur les facteurs qui feraient le succès de la zone.

Voici donc quelques éléments nécessaires à la réussite de la ZLECAf :

  1. l’harmonisation : Cette zone est l’opportunité d’harmoniser des communautés économiques régionales (CER) qui ont du mal à apporter l’intégration au continent. Certaines CER sont en panne comme l’Union du Maghreb Arabe pour cause de mésentente entre ses membres. Les trop nombreuses CER avec des pays faisant partie de plusieurs d’entre elles en même temps ont donc fait leur temps.
  2. la solidarité : Les pays les plus développés/riches doivent aider les pays les moins développés comme la Grèce et l’Irlande ont pu bénéficier en leur temps du soutien de leurs voisins au sein de l’Union Européenne. Un mécanisme de péréquation devra être établi entre, par exemple, des pays qui ont pu se développer grâce à leur port et des pays enclavés qui n’ont pas eu cette chance.
  3. la protection des économies nationales : Les pays de la zone doivent favoriser les produits ‘made in Africa’. La clause d’origine qui détermine le pourcentage du produit fabriqué sur place prend donc toute son importance. Les droits de douane plus élevés pour toute production hors de la zone devraient permettre à des économies en voie de développement de trouver un rythme de croisière. Les économies de la zone doivent se diversifier pour offrir une complémentarité à l’intérieur de la zone. Par exemple, certains pays devraient se spécialiser dans certaines productions comme le préconise la théorie de l’avantage comparatif de David RICARDO.
  4. la transformation des matières premières : Il faut que les pays de la zone fassent plus que de l’exportation de matières premières pour apporter de la valeur ajoutée sur place. Pour remédier à cette faible transformation, il faudrait industrialiser. Il est donc primordial d’attirer les investisseurs donc indispensable d’avoir des politiques qui favorisent les investissements.
  5. la logistique : Il faut développer les infrastructures routières entre les pays pour faciliter les échanges intra-africains et les rendre compétitifs par rapport aux échanges avec l’Asie. Il n’est pas normal que faire traverser le monde d’une marchandise jusqu’à un port du golfe de Guinée soit aujourd’hui plus facile et moins cher que de faire voyager cette même marchandise de Bangui à Niamey. Les pays doivent donc faire des investissements massifs en infrastructures pour pouvoir bénéficier au mieux de la ZLECAf.

Avec un potentiel de développement économique énorme, la ZLECAf est une chance pour l’Afrique qui doit prendre son destin en main. Ce projet ambitieux devra néanmoins surmonter des défis considérables pour réussir. Des décisions cruciales devront être prises à 54 ou 55 membres. Là où l’Union Européenne rencontre des difficultés d’entente à 27, que dire des possibilités de blocage institutionnel de la ZLECAf avec autant de pays membres ?

Thomas YAPO est un consultant franco-ivoirien fort d’une expérience de plus de 20 années dans le conseil en stratégie, l’analyse économique et la protection de l’environnement en Europe comme en Afrique sub-saharienne. Il est particulièrement spécialisé sur les sujets de résilience et de recherche de financements. Sa polyvalence est très recherchée sur des problématiques financières complexes.

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