Renganaden Padayachy : « Apporter qu’un avantage fiscal aux investisseurs, mais de l’intelligence »

Maurice a brillé dans le Doing Business de la Banque mondiale pour son attractivité en matière d’investissements. Après les griefs fiscaux, les secousses qu’ont connues la planète ces deux dernières années et auxquelles se greffent désormais le défi climatique, cet Etat insulaire d’Afrique de l’Est revoie sa « recette ».

Alors que le pays abritait ce week-end la Conférence économique africaine, nous avons rencontré son ministre des Finances, de la Planification économique et du Développement, Renganaden Padayachy. Dans cet entretien, ce Docteur en économie diplômé de la Sorbonne revient notamment sur l’orientation stratégique pro-climat de l’île ou encore la renégociation des accords fiscaux avec les pays africains.

Vous soutenez l’idée selon laquelle Maurice veut devenir un centre financier durable. Qu’entendez-vous concrètement par-là ?

RENGANADEN PADAYACHY – Notre approche politique depuis quelques années est réellement d’apporter un développement économique inclusif et durable. Dans toutes les décisions que nous sommes en train de prendre, l’aspect durabilité est pris en compte. Je prends l’exemple de notre politique énergétique. Il s’agit pour nous d’aller vers plus de renouvelable, essayer de diminuer le nombre de voitures qui utilisent du fioul et aller vers les voitures électriques etc. Nous sommes en train d’accélérer ce processus en mettant en œuvre des incitations fiscales et en travaillant sur le coût à l’achat des énergies renouvelables avec les partenaires du privé. Concernant le financement durable, qui est également très important, nous avons développé un cadre réglementaire pour mettre en place les « Blue Green Bonds » et nous pensons le dévoiler dans les semaines à venir. Il est important pour nous de montrer cette volonté d’aller vers la durabilité, de prendre en considération les enjeux climatiques, les enjeux de la bonne gouvernance et les enjeux sociaux dans un petit pays insulaire comme le nôtre. Il s’agit pour nous de réconcilier le tissu économique et social à Maurice.

L’île a développé une stratégie pro-environnement ambitieuse avec un objectif de 60% d’énergies renouvelables d’ici 2030 et l’adoption des véhicules électriques avec une incitation à l’achat pour le citoyen… Aujourd’hui, à combien s’élèvent vos besoins de financement climatique annuel et comment évolue la mobilisation ?

Après plusieurs travaux, nous avons estimé nos besoins actuels de financement climatique à 20 milliards de roupies, soit 500 millions de dollars. C’est ce dont nous avons besoin actuellement pour aller vers cette étape de 60% d’énergies renouvelables sur l’étendue du territoire. Il y aura donc des investissements à hauteur de 500 millions de dollars. Mais nous irons encore plus loin, parce que le pays va continuer de se développer. Nous aurons besoin de plus de fourniture électrique, etc. Il est possible que nous débouchions sur le milliard de dollars, d’autant que nous sommes en train d’aller vers l’utilisation des voitures électriques.

Votre gouvernement a récemment conclu un accord la Chine et décrit cela comme un « pont stratégique pour le commerce ». Comment l’expliquez-vous étant donné que la Chine est déjà le premier partenaire économique de plusieurs pays africains ?

Pour nous, il est d’abord question d’attirer les entreprises chinoises à Maurice. Après, il n’y a pas que la Chine, il y a aussi l’Inde. Notre objectif est de les faire venir à Maurice et mettre en place leurs compétences pour le continent. Nous bénéficions déjà de certains accords avec le continent et nous faisons de la Zone de libre-échange continentale africaine [Zlecaf] au niveau de l’Union africaine. Nous sommes donc en train de travailler avec nos partenaires chinois et nos amis indiens, afin de créer cette plate-forme qui permettra plus d’échanges entre l’Afrique et l’Asie. Je ne parlerai pas de hub, mais nous aimerions être partie prenante de cette collaboration entre les deux continents. Nous aimerions à Maurice utiliser notre centre financier, notre potentiel d’accueillir plus de personnes, d’accueillir plus d’investissements pour voir comment mettre cela à profit pour toute l’Afrique. Nous sommes en train de travailler là-dessus.

Nous développons aussi nos relations avec le continent de plusieurs autres manières. Au niveau du gouvernement, nous avons à titre d’exemple mis en place des bourses d’études pour le continent. Quand je suis devenu ministre des Finances, j’avais dit que j’aimerais qu’un jour lorsqu’on poserait la question de savoir où il veut poursuivre ses études supérieures à un étudiant sortant de l’école secondaire en Afrique, qu’il réponde : Maurice. Car, c’est également de cette manière que se créé cette fraternité entre tous nos pays.

Depuis quelques années, des pays du continent (Sénégal, Rwanda, Afrique du Sud, Togo …) renégocient leurs accords fiscaux avec Maurice notamment dans le sillage des Mauritius Leaks en 2019, modifiant la configuration des partenariats de l’île avec les grands investisseurs. Aujourd’hui, comment cela vous a-t-il poussé à revoir votre stratégie ?

Le secteur financier est un secteur dynamique. C’est un secteur qui nécessite en permanence une certaine révolution. A un certain moment, nous nous sommes basés sur une faible taxation pour démarrer le secteur. Nous allons être francs, c’était une taxation pour attirer les investisseurs, vraiment pour démarrer le secteur. Maintenant, ce n’est plus le cas. Depuis que nous sommes rentrés sur la liste FATF [Financial Action Task Force, NDLR], les listes de l’Union européenne et les listes de la Grande Bretagne, la décision a été prise au niveau du gouvernement de mettre en place un comité ministériel pour travailler sur tout le secteur financier et revoir notre mode de fonctionnement.

C’est la raison pour laquelle, voyez-vous, nous sommes aujourd’hui parmi les premiers signataires du Global Minimum Tax (GMT). A Maurice, nous ne voulons plus être parmi ces pays qui n’accordent qu’un avantage fiscal aux investisseurs. L’important pour nous est vraiment d’apporter de l’intelligence, de la créativité aux investisseurs, pas uniquement les avantages fiscaux. Et nous travaillons étroitement avec l’OCDE dans ce sens. La donne fiscale est un point de départ pour lancer un secteur en économie. On accorde certains avantages et l’investisseur vient s’implanter. Au bout de quelques années, il est suffisamment stable et durable pour poursuivre sa croissance. C’est la même chose concernant le secteur financier. Nous avons réalisé des réformes au niveau de ce secteur et nous continuons. Notre but est réellement que notre secteur financier ne profite pas uniquement à notre pays, mais profite au continent africain dans sa globalité. Pourquoi ? Parce que nous sommes à Maurice un des seuls centres financiers internationaux dans cette région qui a un investment grade au niveau des agences de notation. Et cela est important pour canaliser les investissements vers les pays africains.

Outre les services financiers, Maurice vit également du tourisme qui après l’épisode de la Covid-19 est menacé par les changements climatiques avec notamment la montée des eaux de la mer au-dessus de la moyenne mondiale. Ces dérèglements du climat n’exercent-ils pas une certaine pression sur Maurice en termes de diversification économique ?

En effet, ce sujet nous préoccupe. Quand est apparu la Covid qui a entrainé l’arrêt complet de certaines transactions, il fallait réfléchir à notre futur et surtout ce que nous ferions par rapport à notre secteur touristique : comment le revoir, le corriger, le remodeler ? Comment préserver l’architecture de Maurice, les structures, les fondamentaux de Maurice, pas simplement économique, mais ce que nous offrons aux visiteurs qui viennent à Maurice, mais surtout pour nos enfants et les générations à venir. Cela a donc aussi été un « wake-up call » comme dit-on. Nous nous sommes dit que nous devions nous mettre au travail. Nous avons donc profité de ce moment pour mettre en place un certain nombre de mesures. Vous savez, quand vous avez des challenges pareils, il s’en dégage aussi des opportunités d’accélérer la mise en place de projets. Dans notre cas, il s’agit de limiter les impacts du changement climatique sur notre tissu économique et social, ainsi que sur notre environnement.

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