L’élection du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye met un point final à la grande tension politique intérieure, et à l’imbroglio pré-électoral. Mais le projet de sortie du franc CFA et la très probable renégociation des accords militaires risquent de générer un climat politique et économique difficile avec la France. En comparaison, la situation en Côte d’Ivoire, sans être exclue de difficultés, est plus apaisée. Elle a permis à ce pays d’obtenir de très bons résultats économiques, ces 10 dernières années. Par Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils.
Le véritable leader de l’opposition sénégalaise, depuis des années, Osmane Sonko, avait été placé dans l’impossibilité de se présenter par la justice sénégalaise. Il a donc mené campagne en faveur de Bassirou Diomaye Faye. Le slogan électoral « Faye c’est Sonko » résumait avec force cette stratégie, gardant intact le leadership de l’opposant historique. La nomination de Sonko comme Premier ministre confirme l’importance du pouvoir qui sera le sien. On est ainsi proche d’une « inversion institutionnelle » entre président et Premier ministre. Comment dans le temps, les institutions et le pays vivront cette situation ? Inconnue non négligeable….
La présence à la cérémonie d’investiture du nouveau président des représentants des régimes putschistes guinéen, burkinabé et malien illustrent la volonté de rupture des futurs choix politiques du Sénégal.
Sortie du Sénégal du franc CFA et des accords militaires
Le nouveau président a fait du projet de sortie du franc CFA un argument de campagne, s’inscrivant ainsi dans le courant anti-français de la région sahélienne.
Un tel choix politique et économique, pour tous les pays utilisant le Franc CFA, est en réflexion depuis 2019, autour d’une monnaie dénommée Eco. Ce projet regroupe 15 pays, et 350 millions d’habitants de l’Afrique de l’Ouest. La présence du Nigéria, et ses 225 millions de citoyens constituerait un atout, mais aussi un problème de négociation pour les 14 autres membres.
Le nouveau président a déjà signifié son intention de « revisiter » le partenariat avec la France, et donc sa présence militaire. Cette « revisite » s’appliquera aux accords déjà conclus avec d’autres pays, concernant les accords de pêche, et dans les très prometteurs secteurs pétroliers et gaziers. La crédibilité contractuelle du Sénégal en sera donc affectée. Les incertitudes politiques ont impacté les résultats économiques du pays.
Les résultats économiques du Sénégal
En 2022, la croissance économique s’est ralentie à 4,2% en raison des pressions inflationnistes, et des conditions pluviométriques défavorables à son agriculture. Elle a diminué de 2% par rapport à 2021 par la baisse de l’investissement privé, des exportations, et de la production industrielle.
Cette situation défavorable a poussé la dette publique à 76,6% du PIB. Les recettes attendues des hydrocarbures devraient permettre de réduire le déficit budgétaire à 3% du PIB. Mais, la volonté de modifier les accords déjà signés pourraient retarder l’arrivée des recettes gazières.
La situation économique ivoirienne
La Côte d’Ivoire montre un profil différent. Elle affiche, depuis plus de 10 ans, un des taux de croissance les plus élevés et soutenus des pays de l’Afrique subsaharienne. Sa croissance a atteint 6,7% en 2022, grâce aux investissements publics et une forte consommation intérieure. Sa population proche de 30 millions d’habitants, et 50% supérieure à celle du Sénégal, contribue à cette tendance.
Au cours des 12 dernières années, la Côte d’Ivoire a réduit sa dette de 69% à 58% du PIB, tendance suffisamment rare pour être notée et mise en avant. Cette diminution s’appuie sur un fort taux d’investissements, atteignant 24% du budget 2024. L’organisation réussie, en janvier dernier, de la Coupe d’Afrique des Nations, avec stades et infrastructures dédiées (transport, hôtellerie, sécurité) en est une très visible illustration.
Les analyses de viabilité de la dette (AVD) menées sur toute cette période, ainsi que les dernières conclusions du FMI de décembre 2023, permettent de « classer comme modéré » le risque de surendettement de la Côte d’Ivoire.
Outre ce niveau de risque, appréciable, il existe une véritable stratégie de gestion de la dette à moyen terme (SDMT), les emprunts 2023-2026 étant prévus à 55% locaux. En corollaire, le risque de change est réellement maîtrisé, puisque 88,5% du montant de la dette n’est pas sujette aux fluctuations de change.
La situation politique
La Côte d’Ivoire a organisé, il y a 6 mois, des élections municipales et régionales. Elles ont été remportées confortablement par le parti au pouvoir (RHDP) en place depuis 2011. Autre contraste avec le proche voisin sénégalais.
Cette double élection avait valeur de test en vue du scrutin présidentiel de l’an prochain. Elle fut saluée comme inclusive et paisible par l’ensemble des observateurs. Depuis la résolution des tensions liées au scrutin présidentiel de 2020, et la réélection du président Ouattara, la Côte d’Ivoire connaît stabilité politique et sociale. Le pays doit cependant faire face à un défi humanitaire dans sa région nord, frontalière avec le Burkina Fasso, en raison du flux de réfugiés fuyant les violences djihadistes.
La situation est donc contrastée entre ces deux pays, tous deux en relation étroite avec la France, dans une région fortement agitée d’un point de vue politique, sécuritaire et économique, et où le rôle de notre pays est fortement contesté.
L’apaisement politique, et une saine gestion économique, orientée sur l’investissement dans la transformation des ressources, et la création des nécessaires infrastructures constituent les bases du modèle de développement attendu par les populations.
La Côte d’Ivoire semble correspondre, au plus près, à cette attente.
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(*) diplômé de l’ISC Paris, DEA Finances Dauphine PSL, Fondateur du média web : www.le-monde-decrypte.com Chroniqueur géopolitique sur IdFM 98.0