En 2019, la Côte d’Ivoire a réussi à mobiliser en un temps record une dizaine de milliards de dollars de promesses d’investissement dans son secteur touristique grâce au vif intérêt suscité par sa stratégie « Sublime Côte d’Ivoire » et l’accompagnement de Gide Loyrette Nouel, un cabinet d’avocats d’affaires international actif à travers le monde. Si la crise de Covid-19 a considérablement freiné l’élan de la première économie de l’UEMOA, tout est fait désormais pour redémarrer la machine à toute vitesse.
Le ministre du Tourisme et des Loisirs, Siandou Fofana et Nicolas Jean, avocat associé de Gide Loyrette Nouel, pour La Tribune Afrique, reviennent sur quelques aspects stratégiques, au moment où la relance devient « La » priorité. Interview croisée.
Avec sa stratégie « Sublime Côte d’Ivoire », le pays ambitionne de réduire la pauvreté au niveau national, créer 650 000 emplois et devenir la 5ème destination touristique en Afrique d’ici 2025. Où en est ce plan stratégique à ce jour et que représente-t-il dans le plan global de développement ?
Siandou Fofana – La stratégie « Sublime Côte d’Ivoire » a été définie et mise en œuvre à partir de 2018 en vue de contribuer au PIB à hauteur de 8% et ainsi permettre au secteur du tourisme de s’imposer dans l’économie ivoirienne comme créateur de valeur, producteur de points de croissance et vecteur de création d’emplois. Nous y reviendrons plus tard, mais l’orientation de cette stratégie a été très largement consacrée par le marché à travers la mobilisation record des acteurs et des financiers internationaux à l’occasion des deux tables rondes successives de Dubaï (20 et 21 octobre 2019) et Hambourg (22 novembre 2019) sur l’investissement dans le secteur du tourisme et des loisirs ivoiriens que le Ministère a organisé avec l’assistance du cabinet Gide. Le succès de cette stratégie s’est également illustré par la nomination de la Côte d’Ivoire comme membre du Conseil Exécutif de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), par son accession à la présidence du Comité de validation des membres affiliés de l’OMT, mais aussi par sa désignation comme pays hôte de la Journée mondiale du Tourisme 2021. Cette Journée mondiale du Tourisme et la place centrale qu’occupe désormais notre pays dans le tourisme mondial sont autant d’occasions pour nous de révéler la formidable dynamique du tourisme ivoirien !
Il ne faut toutefois pas oublier que le contexte international dans lequel cette stratégie a été dévoilée était extrêmement favorable. En 2019, l’industrie touristique mondiale était l’une des plus importantes à travers le monde, avec 10% de contribution au PIB mondial et représentant 1/11ème des emplois créés, 7% des exportations et 30% des exportations de services. Depuis le début de l’année 2020, la pandémie de la Covid-19 a très fortement impacté le tourisme mondial, et donc nécessairement le tourisme ivoirien et son essor. D’ailleurs, d’après l’OMT, la pandémie constitue la crise la plus grave à laquelle le secteur du tourisme international ait été confronté depuis le début des relevés en 1950.
Le défi auquel nous faisons face aujourd’hui est donc de faire preuve de réactivité et de souplesse afin de permettre à notre stratégie Sublime Côte d’Ivoire de s’imposer comme un outil incontournable de la relance économique nationale et de catalyseur de la réforme structurelle de l’économie ivoirienne impulsée par son Excellence le Président de la République Alassane Ouattara.
Nicolas Jean – La mise en œuvre de cette stratégie a considérablement progressé depuis son lancement. A ce jour, de nombreux projets touristiques structurants ont été identifiés et présentés aux acteurs du secteur à l’occasion des tables rondes de Dubaï et Hambourg en 2019, mais également lors du premier forum mondial de l’OMT sur l’investissement touristique en Afrique organisé en février 2020 à Abidjan. Comme évoqué par le Ministre, ces trois évènements et l’ampleur des financements mobilisés ont confirmé l’intérêt de l’industrie du tourisme pour la destination ivoirienne, et donc l’efficacité de la mise en œuvre de la stratégie « Sublime Côte d’Ivoire ».
Dans ce contexte, nous travaillons avec les équipes du ministère du Tourisme et des Loisirs sur la réforme du secteur, dont l’objectif principal est de parvenir à son autonomisation institutionnelle et financière. Les textes afférents à l’organisation du secteur du tourisme ivoirien ont d’ores et déjà été rédigés, et l’objectif est aujourd’hui d’accélérer ce processus de sorte à doter le gouvernement des moyens d’adopter des mesures d’urgence au soutien des acteurs ivoiriens du secteur, tout en favorisant et renforçant l’attractivité de la destination à l’échelle régionale comme internationale à très court terme.
Justement après une crise comme celle provoquée par la Covid-19 qui a profondément affecté ce secteur, quelle place devrait occuper le tourisme dans les plans de relance économique, au vu du potentiel du continent africain en la matière ?
Siandou Fofana – Le tourisme est effectivement le secteur le plus affecté par la crise que nous traversons, et doit donc nécessairement être érigé en priorité absolue des Etats et organismes internationaux dans le cadre des plans de relance économique.
Cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un secteur créateur d’emplois et de richesses qui innerve de nombreux pans de l’économie : l’aérien, les infrastructures, le foncier, la santé, la sécurité, la formation…Soutenir le tourisme, c’est réduire la pauvreté, promouvoir le développement territorial et améliorer la compétitivité de l’économie nationale à grande échelle.
Nicolas Jean – Le tourisme africain a été affecté par les effets de la crise, mais le continent demeure cependant l’un des moins touchés par le virus. Alors que l’industrie touristique est à l’arrêt en Europe et ailleurs, les opérateurs du secteur, et les financiers notamment, regardent vers l’Afrique, et prennent pleinement conscience de la nécessité de diversifier leur exposition géographique. Ces plans de relance doivent permettre aux pays africains à potentiel touristique de confirmer l’intérêt de ces acteurs et de capter les financements aujourd’hui disponibles.
A cette fin, les Etats doivent intégrer des réformes sectorielles attractives à leurs plans de relance, et contribuer au rayonnement du tourisme africain. C’est précisément au soutien de cette dynamique globale que le Ministre Fofana a souhaité penser un véhicule d’investissement porté par les Etats de l’Union Africaine et exclusivement dédié au secteur du tourisme en Afrique. Ce projet est soutenu par l’OMT, et devrait prendre la forme d’un fonds panafricain du tourisme destiné à soutenir des entreprises locales ou régionales indépendantes porteuses de projets, de développement et d’innovation dans tous les domaines de l’industrie touristique, et à mobiliser les fonds privés destinés au secteur.
Qu’en est-il de la Côte d’Ivoire ? quelle place occupe réellement le tourisme dans le plan national de relance économique ?
Siandou Fofana – La prise de conscience par le gouvernement ivoirien de la place centrale que doit occuper le tourisme dans son économie n’est pas récente. Nous sommes pleinement conscients du gisement de valeurs que ce secteur représente, mais également du rôle de catalyseur qu’il peut jouer au profit de l’économie ivoirienne toute entière. L’objectif est donc de conserver notre position de destination phare du tourisme d’affaires, tout en développant un tourisme de loisirs durable et écoresponsable.
Pour ces raisons, le tourisme se trouve au cœur du plan national de relance économique sur lequel travaille actuellement le gouvernement. Outre l’ajustement de la stratégie « Sublime Côte d’Ivoire » et l’accélération du processus de mise en œuvre de la réforme du secteur entamée avec l’assistance du cabinet Gide, des mesures d’urgence au profit des acteurs du secteur continueront d’être adoptées.
Nicolas Jean – Ce plan de relance est par ailleurs identifié comme l’occasion de contribuer à la conversion d’une partie de l’économie informelle en économie formelle, en dirigeant les aides économiques vers les acteurs et les secteurs devant être encouragés en prévision de la reprise des flux touristiques.
Le partenariat entre Gide et le ministère ivoirien du Tourisme a permis la levée d’une dizaine de milliards de dollars en octobre 2019. Dans le contexte économique actuel, quels pourraient être les défis à relever pour aisément mobiliser des financements pour relancer le tourisme à travers le continent ?
Siandou Fofana – Ce sont en réalité 11,4 milliards d’USD de promesses d’investissement pour le secteur qui ont été mobilisées auprès d’acteurs et de financiers internationaux à l’occasion des deux tables rondes successives de Dubaï et Hambourg. Ces résultats s’expliquent par de nombreux facteurs que sont certes le potentiel du pays (réserves foncières, diversité de la faune et de la flore), mais également l’ampleur et la pertinence de la réforme amorcée, la qualité de la stratégie Sublime Côte d’Ivoire et la stabilité politique du pays.
De très nombreux pays du continent ont la chance de bénéficier d’un patrimoine naturel et culturel hors du commun, ce qui constitue un acquis certain mais n’est cependant pas suffisant s’il n’est pas porté par un contexte juridique et institutionnel solide permettant de mobiliser les financements nécessaires à son essor. Ces Etats doivent se donner les moyens de mener les réformes nécessaires afin d’améliorer le climat des affaires, de mobiliser les fonds nécessaires au financement du secteur, d’orienter sa croissance et de promouvoir efficacement leur destination. La Côte d’Ivoire a parfaitement cerné ces enjeux, et s’entoure depuis plusieurs années des meilleurs experts de leurs domaines afin de réaliser ses ambitions.
Nicolas Jean – Réformer ce secteur implique de mobiliser une large gamme de compétences et d’expertises juridiques, en ce qu’il se trouve au croisement de diverses matières hautement techniques, telles qu’énumérées plus tôt par Monsieur le ministre (financement, immobilier, infrastructures, transports, santé, éducation, sécurité, foncier…). Dans le cadre de notre accompagnement du Ministère ivoirien du Tourisme et des Loisirs, nous avons précisément dessiné les contours d’une réforme au service de ses objectifs, qui œuvre à autonomiser le secteur en renforçant sa gouvernance, en valorisant le foncier et en mettant en place des mécanismes destinés à capter les fonds internationaux en faveur du secteur.
La réforme institutionnelle comprend ainsi notamment la création d’une agence de gestion des zones d’utilité touristique (intégrant une société d’ingénierie dédiée au secteur), ainsi qu’un fonds de garantie destiné à favoriser le financement des études techniques et l’aménagement des terrains en vue de l’exploitation de ces zones. Ensemble, ces outils permettront la réalisation de projets stratégiques, et contribueront par les effets du cercle vertueux instauré à garantir la conversion des fonds mobilisés en engagements d’investissements sans peser sur le bilan de l’Etat.
Comment percevez-vous la reprise tourisme en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier ? Etes-vous optimistes ? Pour quelles raisons ?
Siandou Fofana – Je suis naturellement optimiste ! S’agissant de la Côte d’Ivoire, nous avons déjà redéfini un calendrier ambitieux mais pour autant réaliste, et prévoyons dès l’année prochaine l’inauguration de nombreux projets parmi lesquels « Belles Plages pour tous » (à Mondoukou, Azurretti, Assinie, Jacqueville et Port Bouet), ou encore des premiers segments de la Route des Eléphants, de la Route des Esclaves et de l’Akwaba Park. Ces projets pilotes ont vocation à stimuler le tourisme aussi bien local que régional et international, et nous permettront de suivre notre feuille de route jusqu’à 2025.
Nicolas Jean – Il est évidemment plus difficile d’apporter une réponse à l’échelle du continent. Sans en faire une maraude, j’aime cependant à rappeler que parler du continent africain, c’est évoquer plus de cinquante pays aux économies diverses et aux niveaux de développement inégaux.
S’agissant plus spécifiquement du tourisme et outre les disparités qui peuvent exister en matière de patrimoine naturel ou encore de sécurité, de nombreux pays ne se sont à ce jour pas dotés des outils nécessaires au développement et donc, a fortiori, au rebond du secteur. La fragilité de certains environnements juridiques (textes obsolètes ou n’offrant pas une sécurité juridique suffisante), le manque d’infrastructures associées au tourisme (voies d’accès, aéroports, énergie…) ou encore l’insuffisance de certains cadres institutionnels sectoriels (autonomie du secteur) sont autant de facteurs qui freinent l’accès aux financements et donc au développement. Il faut toutefois noter que le nombre de projets de développement dans le secteur a très largement diminué en Europe, aux Etats-Unis et en Asie du fait de la crise, tandis que les montants disponibles dédiés au secteur demeurent très élevés. C’est une occasion pour les Etats et opérateurs africains de capter ces financements, et d’ainsi accentuer l’effet du rebond !
Propos recueillis par Ristel Tchounand.