Tech : l’AfricArena Summit 2022 à la croisée des cultures numériques

Du 8 au 10 novembre, Le Cap accueillait le Sommet AfricArena qui connecte les startups africaines aux fonds de capital-risque. Cette année, outre la présence remarquée de la délégation sud-coréenne, la francophonie était à l’honneur. Entre frilosité conjoncturelle des investisseurs francophones, et timide progression de leurs homologues anglophones en terra incognita, quel bilan pour les startups francophones ?

En cette matinée du 8 novembre, The Old Biscuit Mill est en pleine effervescence. Le lieu emblématique du quartier de Woodstock s’apprête à recevoir plusieurs centaines de visiteurs durant les trois prochains jours (et plus de 1 000 spectateurs en ligne), à l’occasion de l’AfricArena Summit 2022.

« En 2017, lorsque nous avons lancé AfricArena, il n’existait pas vraiment de rendez-vous tech qui permettait aux entrepreneurs et aux investisseurs de se rencontrer en Afrique, en dehors des grandes conférences internationales », explique Christophe Viarnaud, à l’origine d’AfricArena et pionnier de la French Tech dans la nation arc-en-ciel (French South African Tech Lab-« FSATLab »).

Installé au Cap depuis bientôt vingt ans, l’entrepreneur à la tête de l’entreprise Methys (spécialiste de la digitalisation des entreprises) créé des ponts entre les startups africaines et les fonds de capital-risque. Le Français est un homme d’affaires avisé qui est parvenu au fil des années à créer un programme multidimensionnel structuré autour de plusieurs étapes régionales, d’une VC Night, d’un Bootcamp et de l’Innovation Night, sans oublier le VC Unconference Weekend qui a réuni des investisseurs de poids tels qu’Amazon Web Services (AWS), AfricArise ou Breega, au cœur des vignes de Stellenbosch, à la veille de l’AfricArena Summit du Cap.

Les rendez-vous d’AfricArena qui rassemblent fonds de VC (venture capital) et startupers ont réussi à séduire des participants venus de tous les horizons. Cependant, loin de se cantonner aux frontières sud-africaines, l’initiative s’internationalise. « Pendant la pandémie de Covid-19, nous avons initié un circuit de sommets régionaux (…) Nous avons d’abord signé un partenariat avec l’Etat sénégalais qui a donné lieu à l’Africa Summit de Dakar. Cet événement s’adresse à l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble. Nous avons ensuite décliné cette initiative dans chaque grande région, pour répondre à une demande qui nous venait de toute l’Afrique », explique Christophe Viarnaud. Aujourd’hui, l’AfricArena Tour passe par Dakar, Tunis, Nairobi, Johannesburg avant de s’achever au Cap.

Cape Town, la nouvelle capitale africaine de la Tech !

Le mois de novembre est celui du digital au Cap ! L’Africa Fintech Summit a ouvert le bal des festivités numériques, suivi par l’AfricaCom, le grand rendez-vous des télécommunications au Cape Town International Convention Center (CTICC). En marge, l’Africa Tech Festival a drainé un large public d’amateurs d’innovations africaines. Plus confidentiel, mais très prisé par les investisseurs, l’AfricArena Summit a su tirer son épingle du jeu en attirant investisseurs et startupers internationaux, autour des questions de ClimateTech, d’AgriTech, de smart-cities, d’énergie et de régulation. Entre débats, keynotes et challenges, les investisseurs se sont penchés sur la soixantaine de startups triées sur le volet dans plus d’une vingtaine de pays africains, mais aussi en Europe et en Corée du Sud.

Né dès la fin des années 1990, l’écosystème Tech du Cap s’est véritablement révélé au milieu des années 2010. En 2016, la Standard Bank devenait actionnaire majoritaire de Firepay (développeur de la plateforme de m-Payment SnapScan) et l’année suivante, EdTech Giant 2U acquérait GetSmarter pour 103 millions de dollars (EdTech).Depuis, l’attractivité de la ville ne se dément pas. C’est d’ailleurs au Cap que l’on retrouve le siège du géant Naspers valorisé à 104 milliards de dollars en juillet 2021.

En 2022, le Cap talonne Lagos et se hisse au deixième rang des villes africaines les plus attractives pour les startups dans l’indice StartupBlink (qui évalue l’écosystème de 1 000 villes dans 100 pays). « Avec Naspers qui investit massivement dans les entrepreneurs technologiques sud-africains et des sociétés de capital-risque comme Knife Capital qui s’engagent à financer des start-ups, l’Afrique du Sud a connu une forte croissance », indique le dernier rapport Global Startup Ecosystem Index de StartupBlink, qui souligne par ailleurs que « la Silicon Cape Initiative, Endeavour South Africa et Digital Collective Africa ont été parmi les principaux catalyseurs et promoteurs de cette croissance ».

Cette attractivité numérique n’est pas sans générer de la création de valeur. Selon Wesgro, l’agence de promotion du tourisme, du commerce et des investissements dans la région du Cap-occidental, le corridor Le Cap-Stellenbosch abriterait 450 entreprises technologiques générant environ 40 000 emplois, ce qui en fait un écosystème plus vaste que ceux de Nairobi et de Lagos réunis.

Des Coréens à l’AfricArena Summit : Séoul attiré par le potentiel de la Zlecaf

La Corée du Sud manifeste un regain d’intérêt pour l’Afrique. En 2020, Séoul fournissait une aide de 160 millions de dollars aux pays africains pour lutter contre les effets du Covid-19. A cette solidarité sanitaire vinrent se greffer des appétits commerciaux revigorés par l’opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) (un marché qui représente plus de 1,2 milliard de consommateurs pour un PIB cumulé de 2 500 milliards de dollars selon le FMI).

« Le gouvernement cherchera activement à conclure des accords de libre-échange (ALE) avec des pays africains dans le cadre des efforts visant à approfondir les liens avec le nouveau marché riche en ressources et à diversifier le portefeuille commercial », faisait savoir le ministère sud-coréen du Commerce, de l’industrie et de l’énergie, le 16 février dernier.

Les Sud-Coréens misent en particulier sur leur expertise technologique pour pénétrer le continent du « Next Billion Users ». Après le Kenya, le Nigeria, le Maroc et la Tunisie, le directeur de la Korea-Africa Foundation (KAF) avait donc décidé de poser ses bagages au Cap pour assister à l’AfricArena Summit, accompagné d’une dizaine de startups.

africaarena 2022 cap

« L’Afrique représente un marché immense (…) La mission de la KAF est de renforcer les liens entre la Corée et les pays africains, tout en soutenant les PME sud-coréennes afin qu’elles trouvent de nouveaux débouchés. Nous cherchons aussi à créer des synergies entre les startups sud-coréennes et africaines (…) Pour l’instant, nous nous intéressons surtout au Kenya, à l’Ethiopie, au Nigeria, à l’Egypte et à l’Afrique du Sud », explique Lee Jongkil, directeur de la fondation Corée-Afrique, avec pragmatisme.

Dès l’ouverture du sommet, les entrepreneurs coréens s’agitent avec enthousiasme derrière les stands du Old Biscuit Mill. « Notre société fabrique des drones », explique Seok Bin Yim, le directeur financier d’Intosky, en dévoilant sur son ordinateur, le modèle PREX9-H16 hexa-copter conçu à des fins agricoles. « Nous travaillons déjà avec des fermiers chiliens et nous réalisons des tests de drones au Rwanda, en ce moment », précise l’entrepreneur qui cherche à lever 3,5 millions de dollars pour développer de nouveaux prototypes.

A quelques pas, Sung Moses accueille les visiteurs dans un large sourire. Il présente Huject, une startup fabriquant des vêtements à usage professionnel qui clignotent dans la nuit, résultat de technologies piézoélectriques et électromagnétiques. « C’est de l’énergie textile sans batterie. Une simple pression suffit à allumer les lumières intégrées au vêtement », explique-t-il, amusé par l’effet de surprise produit chez ses interlocuteurs.

Un peu plus loin, un startuper commente la vidéo d’une voiture d’occasion surannée, transformée en véhicule autonome. Les innovations les plus inattendues attisent la curiosité des visiteurs. Toutefois, si l’Afrique représente un « marché immense » et riche en promesses d’avenir pour la tech made in Korea, elle ne figure pas encore sur la carte des investissements prioritaires du pays. « Nous n’allons pas investir maintenant », confirme le directeur de la fondation Corée-Afrique, en phase d’observation.

Le volume commercial entre la Corée du Sud et l’Afrique culminait à 20 milliards de dollars en 2018, selon le gouvernement sud-coréen, soit seulement 2 % des échanges commerciaux du pays. Depuis l’entrée en vigueur de la Zlecaf (1er janvier 2021), le pays cherche à renforcer ses relations avec les pays du continent africain. Cette tendance profite avant tout au Nigeria, qui vient de détrôner l’Afrique du Sud comme premier partenaire commercial de Séoul, avec des investissements qui ont bondi au 1er semestre 2022, pour atteindre 1,1 milliard de dollars (soit +20 % par rapport à l’année dernière sur la même période).

Plus de 500 millions de dollars levés depuis la création d’AfricArena

« Depuis sa création en 2017, AfricArena a permis de lever plus de 500 millions de dollars pour les startups », souligne Christophe Viarnaud, non content d’avoir mobilisé des partenaires comme Saint-Gobain, Great Britain & Northern Ireland Campaign, International Trade Centre ou l’Américain Amazon Web Services (qui a promis 25 000 de dollars de crédits AWS aux startups sélectionnées pour le Grand Summit 2022).

« Launch Africa Ventures qui est l’un des fonds les plus dynamiques dans l’early-stage en Afrique a d’abord utilisé AfricArena comme plateforme. Aujourd’hui c’est l’un de nos sponsors : la boucle est bouclée ! », se réjouit Christophe Viarnaud. « Notre objectif n’est pas de créer des événements, mais de participer à structurer tout un écosystème », ajoute le directeur de Methys qui peut compter sur de nombreux soutiens dont celui de FMO, la banque néerlandaise de développement dédiée au secteur privé. « FMO nous accompagne actuellement dans le développement d’un programme d’accélération centré sur l’AgriTech et la ClimateTech, pour aider des startups du Maroc, du Ghana et de Tanzanie », souligne-t-il.

Claude-Sébastien Lerbourg Saint-Gobain

Pour Claude-Sébastien Lerbourg, directeur d’investissement capital-risque Europe-Moyen-Orient-Afrique de Saint-Gobain, AfricArena est un acteur majeur d’identification des startups africaines alors que «  le groupe nourrit de grandes ambitions de croissance en Afrique ». L’objectif est clair : « Nous cherchons à identifier des startups pour conclure des partenariats d’Open innovation (…) AfricArena nous aide à organiser un challenge pour répondre à des problématiques intéressantes pour le groupe, comme le sourcing des matériaux et tout ce qui relève de l’habitat durable, par exemple ».

Cette année, le Prix Saint-Gobain a été attribué à Bosso, une startup zambienne qui aide les petits magasins de hardware en Afrique à s’approvisionner auprès des fournisseurs de matériaux, en s’appuyant sur la dématérialisation. « Cette solution permettrait à terme de mieux couvrir le besoin très fragmenté de la construction en Afrique (…) Sans AfricArena, nous ne les aurions sans doute jamais identifiés », assure Claude-Sébastien Lerbourg.

Talents francophones, les « parents pauvres » de l’écosystème africain ?

Pour cette édition 2022, AfricArena en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), avait organisé une matinée 100 % francophone. Keynote de Laurence Arnould, spécialiste de programme au sein de la direction de la francophonie économique et numérique de l’OIF, mais aussi challenge et débat autour du financement des startups francophones avec Hannah Subayi Kamuanga, experte en equity et responsable pays (République démocratique du Congo) au sein de Proparco : tous les sujets ont été abordés.

Hannah Subayi Kamuanga proparco

« Le VC sur le continent ne représentait que 350 millions de dollars quand nous avons commencé AfricArena. Aujourd’hui, ce sont 5 milliards de dollars pour 54 pays. C’est en progression, mais cela reste moins que ce que la France lève à elle seule, en un an. Par ailleurs, les startups francophones concentrent toujours trop peu de fonds », rappelle Christophe Viarnaud.

Bien que l’écosystème tech en Afrique ait enregistré la croissance la plus rapide au monde en 2021, pour atteindre 5,2 milliards de dollars, les startups francophones peinent à mobiliser les investisseurs. L’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Egypte et le Kenya concentrent encore plus de 80 % des fonds investis dans la tech africaine, selon le rapport Partech Africa 2021.

Pour Cynthia Mandjek, directrice de l’investissement chez Saviu Ventures, « le potentiel en Afrique francophone est peu exploité, mais il intéresse de plus en plus les investisseurs anglophones qui cherchent à diversifier leurs portefeuilles. Aujourd’hui, plus d’un tiers des investisseurs dans la tech en Afrique viennent des Etats-Unis (ils représentaient 37% en 2021, selon Maxime Bayen, Africa : The Big Deal, ndlr) ».

Entre une certaine tendance à l’aversion au risque qui s’éternise chez les investisseurs francophones, la barrière linguistique et les complications réglementaires du côté des anglophones, les startupers francophones d’Afrique, sont à la peine. Pourtant, les talents ne manquent pas. C’est le cas de Farès Belghith, diplômé de l’Ecole polytechnique et de la Columbia University, qui a reçu le prix Seed Startup of the Year pour son entreprise Kamioun présentée comme l’ « Amazon des épiceries tunisiennes », ou celui de la jeune franco-malienne Mélanie Keïta, distinguée du prix Most promising entrepreneur of the Year avec la société Melanin Kapital qui accompagne les PME dans leur transition climatique. C’est aussi l’exemple de Sédric Degbo, prix Challenge de la Francophonie, un médecin béninois qui a lancé la plateforme REMA pour connecter les personnels de santé en Afrique en pleine pandémie de Covid-19,  ou celui du Sénégalais Oumar Basse, honoré du prix Serie A Startup of the Year pour Yobante Express (une marketplace qui connecte les coursiers au commerce local).

« En dehors de Partech Africa et de Breega, il y a encore trop peu d’investisseurs de poids sur l’Afrique francophone », considère la directrice de l’investissement de Saviu Ventures qui s’intéresse précisément aux startups francophones du continent. Néanmoins, l’Afrique francophone a intégré le top 5 des startup-nations les plus attractives d’Afrique en 2021, et sa croissance a été 2,6 fois plus rapide que sur le reste du continent, d’après le dernier rapport Partech Africa.

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