A la fin du XVIIe siècle en Grande-Bretagne, l’économie politique classique se construit contre l’Etat d’Ancien Régime, et dénonce les nombreux corsets qu’il impose à l’économie. Pour les « classiques », Adam Smith, David Ricardo, John Stuart Mill (ou en France, Jean-Baptiste Say), la « main invisible » de la concurrence sur des marchés libres de toute intervention publique est le mode de coordination le plus efficace entre une multitude d’acteurs qui, poursuivant leurs intérêts individuels, produisent néanmoins ainsi du bien commun et assurent « la richesse des nations ». Le rôle de l’Etat doit être réduit aux fonctions régaliennes qui maintiennent la paix civile et extérieure, et garantissent un bon fonctionnement des marchés : édicter les droits de la propriété, du commerce et du travail ; lever et entretenir armée, police, et justice. Les arguments des économistes néolibéraux ou ordolibéraux « orthodoxes », partisans d’un Etat minimum, en sont le prolongement contemporain.

Pourtant, toute l’histoire de la discipline peut se résumer à une déconstruction du postulat initial d’efficacité des marchés. Elle commence avec Marx, qui s’inscrit certes dans le cadre des classiques, mais considère que, dans la lutte entre les classes sociales pour le partage de la production collective, l’Etat est le « chargé de pouvoir de la bourgeoisie »incapable par nature de faire échapper le capitalisme à la paupérisation et aux crises engendrées selon lui par le libre fonctionnement des marchés.

Position dominante des monopoles

Les plus grands dé constructeurs furent en fait les néoclassiques eux-mêmes, dès la fin du XIXsiècle. Partant, comme les classiques et contre Marx, du postulat de la supériorité des marchés libres, Alfred Marshall (1842-1924), Arthur Pigou (1877-1959) et d’autres ne tardèrent pas à repérer et à analyser d’importantes « imperfections de marchés », qui imposent l’intervention de l’Etat.

Premièrement, il existe des « biens publics purs » qui, une fois produits, ne peuvent être appropriés, et dont la consommation par l’un n’entrave pas celle d’un autre – par exemple un système d’éclairage public : seul l’Etat peut décider du volume à produire d’un bien public et contraindre les citoyens à le financer par des taxes. Deuxièmement, certaines interactions entre acteurs économiques ont lieu hors de tout marché : ce sont les « externalités ». Certaines sont positives (par exemple la diffusion des connaissances), d’autres négatives (par exemple les pollutions). L’Etat doit les corriger, sinon elles éloignent l’économie de l’optimum que promet l’harmonieux fonctionnement des marchés. Troisièmement, des monopoles abusent de leur position dominante sur les marchés. L’Etat doit les interdire, ou les démanteler. Bref, l’idée que l’Etat doive corriger ces imperfections de marché a donc été admise dès le début du XXe siècle.

La rédaction avec Pierre Noel GIRAUD