Avec un objectif de 500 millions de dollars, l’Africa50 Infrastructure Accelaration Fund est le nouveau fonds d’Africa50 récemment créé afin de catalyser des flux d’investissements supplémentaires pour les infrastructures africaines. Fort d’une expérience de plusieurs décennies dans le capital-investissement sur le continent, Vincent Le Guennou -cofondateur et ex-dirigeant du célèbre fonds ECP- a pris la tête de la nouvelle structure.
Dans cet entretien , ce financier aguerri revient notamment sur les raisons de son changement de casquette, détaille les contours du nouveau fonds et livre son analyse au sujet du développement des infrastructures dans un contexte économique inédit.
Un riche parcours s’inscrit à votre actif avec notamment Emerging Capital Partners (ECP), cet important fonds d’investissement tourné vers l’Afrique que vous avez co-fondé. Pour quelles raisons avez-vous consenti à déposer la casquette d’entrepreneur pour diriger le nouveau fonds d’Africa50 ?
VINCENT LE GUENNOU – Cela s’explique par la coïncidence de deux choses. Tout d’abord, le dernier fonds d’ECP était complètement investi et mes partenaires historiques basés aux Etats-Unis ne souhaitent pas -pour des raisons qui leur appartiennent- se lancer dans un cinquième fonds. À ce moment est venue cette proposition d’Africa50 de prendre la tête d’un fonds dédié à l’investissement dans le domaine des infrastructures en Afrique. J’ai trouvé que c’était une opportunité passionnante à laquelle je pouvais apporter toute mon expérience, non seulement parce que le défi des infrastructures en Afrique est significatif -l’infrastructure gap étant conséquent dans un certain nombre de domaines, mais aussi parce qu’Africa50 est à mon avis le partenaire idéal pour accompagner un fonds dans ce secteur, eu égard à la puissance de son actionnariat constitué de 28 États africains, de deux banques centrales et de la Banque africaine de développement (BAD). Je souligne qu’Africa50 dispose également d’un département Project Development qui permet d’accélérer considérablement l’accès aux opportunités d’investissement dans les infrastructures bancables. En raison de tout cela, l’initiative faisait beaucoup de sens.
L’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund (AIAF) vise 500 millions de dollars. Quand prévoyez-vous le premier closing et quel en est l’objectif chiffré ?
Nous prévoyons le premier closing au premier semestre 2022 et espérons mobiliser le montant le plus élevé possible sur les 500 millions de dollars US.
En matière d’investissement en Afrique, la perception du risque peut parfois mettre un coup de frein à l’ardeur des investisseurs internationaux, même quand il s’agit d’infrastructures, puisque ce type d’investissement a la particularité de s’inscrire dans la durée. Comment appréciez-vous ce facteur ?
C’est un point important. Cela me permet d’évoquer notre base d’investisseurs choisis. En tant que sponsor, Africa50 va participer significativement au capital du fonds. Si à ce stade, je ne peux citer de chiffres, je peux en revanche rappeler qu’Africa50 jouit d’une excellente réputation et d’un capital confiance auprès de beaucoup d’investisseurs institutionnels africains. Nous allons mobiliser le plus possible d’investisseurs africains, ce qui devra être rassurant pour les investisseurs institutionnels internationaux intéressés à investir dans notre fonds. Et c’est ainsi que nous essaierons d’améliorer la perception du risque, avec l’institution d’Africa50, les 28 États africains et banques centrales, la Banque africaine de développement qui soutiendront indirectement les investisseurs institutionnels et du secteur privé du continent.
Vous évoquiez précédemment le déficit des infrastructures assez important dans plusieurs domaines. Le but d’Africa50 est justement de contribuer à combler au maximum cet écart, afin de booster la croissance. Alors que le continent est en pleine relance économique post-Covid, comment analysez-vous la situation et quel sera le champ d’intervention du nouveau fonds ?
Sur la situation immédiate de l’impact Covid, on note la sortie de crise remarquable que connaissent les pays du monde développé, avec un rebond extraordinaire de leurs économies. L’Afrique, étant connectée à l’économie mondiale, va également bénéficier de cette relance.
Je pense que le déficit d’infrastructures tel qu’il avait été identifié avant la crise n’a évidemment pas disparu et c’est pour nous d’autant plus d’opportunités d’investir dans ce secteur à cet instant de l’histoire du continent.
L’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund va prendre des participations majoritaires ou minoritaires très significatives dans des projets d’infrastructures dont le champ est assez large : énergie, télécommunications, réseaux de transport de gaz, transports au sens large (aéroports, routes, ponts), puis les infrastructures sociales dans le domaine de l’éducation et de la santé. On sait que ces infrastructures sont fondamentales pour assurer le développement du continent, parce que sans des infrastructures de qualité, y compris les infrastructures sociales, il n’y a pas d’industrialisation. Or, nous savons très bien que c’est l’objectif immédiat de l’Afrique. D’ailleurs cela figure en pole position dans les « High Five » tel que proposés par la BAD. Les infrastructures sont donc nécessaires à l’industrialisation du continent.
Face à ces impératifs, les Etats s’engagent-ils suffisamment afin d’accélérer le rythme de développement des infrastructures à votre avis ?
C’est un point important sur lequel nous mettons l’accent pour toutes nos transactions. Nous travaillons sur un pipeline de projets. De ce fait, lorsque nous réaliserons le premier closing du fonds, nous nous fixons pour objectif d’avoir des projets dans lesquels nous pourrons immédiatement investir.
De manière générale, les États sont présents dans la majorité des projets que nous regardons. On constate donc une politique extrêmement volontariste en matière d’investissement des ressources publiques aux côtés des investisseurs privés pour le financement des infrastructures. La situation n’est pas forcément la même dans tous les pays. L’Afrique comme on le sait est grande, mais la tendance générale se confirme.
Quels marchés avez-vous l’intention de cibler en priorité ?
Nous n’avons pas forcément une approche par pays. Nous avons un mandat panafricain, nous investirons là où les opportunités sont les plus intéressantes.
Agendas de développement, Zlecaf, … l’urgence du développement des infrastructures (exacerbée par la crise sanitaire) a placé le sujet au cœur du débat économique africain. Quels sont, selon vous, les aspects sur lesquels il faudrait davantage mettre l’accent au sujet du financement des infrastructures, non seulement en termes de stratégies, mais aussi d’actions ?
Quand on veut investir dans les infrastructures, on est toujours confronté à des délais très longs entre le moment où on regarde un projet et le moment où on atteint le closing financier. Cela peut être un sujet pour des fonds d’investissement comme les nôtres qui ont des durées de vie limitées dans le temps. C’est un aspect sur lequel il faut davantage insister. C’est vrai, les délais se réduisent doucement, mais c’est le véritable enjeu sur les prochaines années à mon avis : avoir plus de projets qui viennent à la phase de closing financier pour qu’on puisse accélérer le rythme de développement des infrastructures. C’est l’enjeu majeur et on va essayer de jouer un rôle pour aller dans ce sens. Pour rappel, Africa50 est en capacité de financer les frais de développement de nouveaux projets pour les rendre bancables plus rapidement. Le fonds aura un accès privilégié à ces projets.
Par ailleurs, les notions d’intégration économique et régionale sont extrêmement importantes pour porter les économies à un niveau supérieur de développement. La limitation des barrières quand il s’agit de mouvements de capitaux, d’équipements, de personnes me parait aller généralement dans le bon sens. Je rappelle qu’il y a des sous-ensembles économiques – je pense à la Zone UEMOA, la Zone CEMAC – qui ont franchi un cap important, car elles ont une monnaie unique. Mais une fois de plus, il est possible de mieux construire cette intégration au plan continental si la question du raccourcissement des délais dans les projets d’infrastructures est efficacement traitée.
Un aspect qu’il me semble également opportun de souligner c’est que nous sommes en 2021 et la COP26 vient d’avoir lieu, mettant en évidence les enjeux liés au climat. Il faut s’assurer que les ambitions du continent en matière de développement économique sont respectées, que les objectifs sont atteints, tout en respectant l’environnement et l’impact climatique.
Propos recueillis par Ristel Tchounand.